Citations de Rachel Cusk (144)
Oh, pourquoi vivre était-il si douloureux, et pourquoi se voyait-on offrir ces instants de bien-être pour ensuite devoir mesurer à quel point, le reste du temps, la douleur nous accablait ?
(page 152)
Je ne pense pas que les parents comprennent forcément leurs enfants tant que cela. On voit ce qu’ils ne peuvent s’empêcher d’être ou de faire, plutôt que leurs intentions, et cela conduit à toutes sortes de malentendus. Par exemple, de nombreux parents se persuadent que leurs enfants ont du talent, alors que ceux-ci n’entendent nullement être des artistes !
(page 79)
Cette dépendance se dresse sur le versant d’une pente douce, séparée de notre grande demeure en contrebas par un bosquet derrière lequel le soleil se lève et illumine nos fenêtres le matin ; le soir, il se couche derrière ces mêmes arbres et illumine les fenêtres de la dépendance.
(pages 30-31)
J’ai parfois l’impression que la vie nous punit de nos aveuglements et que nous forgeons notre destin sur ce que l’on manque de voir ou sur notre absence de compassion ; ce que tu ne remarques pas, ce que tu ne t'efforces pas de comprendre, c’est ce que tu seras obligé d’apprendre.
Apparemment, le succès vous éloigne de ce que vous connaissez, dit-il, tandis que l’échec vous y condamne.
J’ai alors compris, je pense, que sa maladie l’avait délivré de son identité, de son histoire et de sa mémoire de manière si brutale et absolue qu’il avait enfin été capable de voir pour de bon. Or, ce n’était pas la mort qu’il avait vue, mais l’irréalité.
(page 194)
Il était risqué de prétendre pouvoir réécrire son destin en changeant de décor ; quand certains en faisaient l’expérience malgré eux, la perte du monde qu’ils connaissaient - quelles qu’en soient les caractéristiques - était une catastrophe.
Le destin, dit-il, n’est que la vérité à l’état brut. Quand on s’en remet au destin, les choses peuvent traîner en longueur, mais il fera rigoureusement et inexorablement son œuvre. (Transit p. 405)
Mais pour espérer trouver quoi que ce soit, il faut rester exactement où l’on est, à l’endroit convenu. Après, il reste à savoir combien de temps vous pouvez tenir.
Nous inventons ces systèmes dans le but de garantir l’équité, dit-elle, mais la condition humaine est tellement complexe qu’elle échappe à toute tentative de l’embrasser. Pendant que nous combattons sur le front, c’est le chaos sur un autre, et beaucoup de régimes ont abouti à la conclusion que c’est l’individualité humaine qui est à l'origine de tous les problèmes. Si les gens étaient tous identiques et qu’ils partageaient un seul et même point de vue, il serait évidemment plus facile de les administrer. Et c’est là, dit-elle, que surgissent les vrais problèmes. (Kudos p.497)
La mère au foyer se dit souvent chanceuse : c'est son pitch, sa réplique, si jamais quelqu'un - une mère qui travaille, par exemple - venait à lui poser la question. (…) Jamais on n'entend un homme dire qu'il a de la chance de pouvoir aller travailler tous les jours. Alors qu'un mère au foyer en parle souvent comme d'un privilège, d'avoir la "permission" d'effectuer des tâches domestiques traditionnelles et tout à fait ordinaires. Elle est sur la défensive, bien sûr - elle ne veut pas qu'on la croie paresseuse ou sans ambition - et comme toute personne sur la défensive, elle dissimule (à peine) un noyau d'agressivité.
Pas question! cracha Sara. Aucune chance. Je n'aurai pas d'enfants. Je vivrai seule. Et je ne me marierai jamais jamais. Le mariage est l'autre nom de la haine.
Il me semble que les enfants, en règle générale, n’aiment guère les vérités énoncées par leurs parents : ils se forgent très tôt leurs propres idées, ou bien ils expriment des convictions fallacieuses dont on ne peut jamais les détromper, puisque leur conception de la réalité repose intégralement dessus.
(page 44)
On pourrait passer notre vie à retracer les évènements qui ont conduit à nos erreurs.
C’était une belle soirée : la lune brillait tant que nos ombres étaient projetées sur le sol sablonneux et l’air était si tiède, sans un souffle de vent, que nous le sentions à peine frôler notre peau. La marée était haute, les anses remplies d’eau, et un éclat opalescent s’étalait sur les flots, tandis que la lune, depuis l’horizon le plus lointain qui soit, gravait à nos pieds son chemin froid et blanc.
(page 187)
L’art véritable revient à s’efforcer de capturer l’irréel.
(page 200)
Il est intéressant de remarquer que les gens veulent toujours que vous fassiez ce qu’eux n’oseraient jamais, et avec quel enthousiasme ils vous poussent à votre propre destruction.
Il y a cent ans de cela une femme savait que sa vie serait finie à l'instant où elle serait enceinte.
Il y avait tant de compartiments où j'avais conservé des choses, et je décidais lesquelles montrer aux autres, eux-mêmes isolés dans leurs propres compartiments ! Jusqu'alors, il m'avait semblé que Tony était la personne la moins cloisonnée que je connaisse ; en tout cas, il s'en tenait désormais à deux compartiments seulement : d'un côté ce qu'il disait et ce qu'il faisait, de l'autre ce qu'il ne disait ni ne faisait. Mais j'ai eu l'impression que L. était le premier individu que je rencontrais à former un tout entièrement indivisé, et une impulsion me poussait à le capturer, comme on le ferait d'une créature sauvage qu'il est nécessaire de prendre au piège, tandis que je m'avisais dans le même temps que sa nature consistait à ne pas être capturé, et que je serais tout bonnement contrainte de m'incliner devant lui dans un état d'atroce liberté.
J’avais oublié, lui dis-je, à quel point le caractère anonyme de la vie urbaine pouvait être reposant. Les gens n’étaient pas constamment obligés d’expliquer qui ils étaient ici : une ville était une interface lisible, une sorte de lexique du comportement humain qui contribuait pour moitié à percer le mystère d’une personnalité, si bien qu’on pouvait communiquer de manière efficace en employant un genre de langage abrégé. Dans la région provinciale où j’avais vécu, chaque individu était l’unique, et souvent impénétrable, représentation de ses propres actes et ambitions. (Transit p. 217)