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Citations de Robert McLiam Wilson (287)


Il y a des nuits où vous frisez la trentaine et où la vie semble terminée. Où il vous semble que vous n'arriverez jamais à rien et que personne n'embrassera plus jamais vos lèvres.
J'ai erré dans les pièces de mon appartement désert. J'aime bien cet appartement. Mais perfois, quand je m'y retrouvais seul, j'avais le sentiment d'être le dernier homme sur Terre et mes deux chambres devenaient un luxe humiliant. Depuis le départ de Sarah, je n'avais guère brillé. La vie avait été lente et longue. Elle était partie depuis six mois. Elle en avait eu assez de vivre à Belfast. Elle était anglaise. Elle en avait soupé. Il y avait eu beaucoup de morts à cette époque et elle avait décidé qu'elle en avait marre. Elle désirait retourner vers un lieu où la politique signifiait discussions fiscales, débats sur la santé, taxes foncières, mais pas les bombes, les blessés, les assassinats ni la peur.
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Cette nuit-là dans Poetry Street, Jake dormit comme Chuckie et Max, comme Slat, Deasely et Spetic, comme le petit Roche et le gros Ronnie Clay, comme tous les autres citoyens de la ville - sauf les oiseaux de nuit, les insomniaques, les travailleurs de nuit et, de manière générale, les promeneurs nocturnes. Belfast, dont tant d'habitants dormaient, ressemblait à une chambre aux lumière éteintes.
La ville enfle et retombe comme une musique, comme un souffle. Dans le sud, les vitrines des boutiques et les trottoirs éclairés par les lampadaires ne répercutent aucun écho. Près de Hope Street, un poivrot égaré titube tardivement. Dans une petite maison de Moyard, un mince vieillard est allongé sans dormir. Sur Carmel Street, une jeune femme brune en chaussons cherche craintivement son chat. Il y a partout de menus événements. Sur Cedar Avenue, dans Arizona Street et la Sixième rue, les policiers du Royal Ulster Constabulary s'agglutinent en petits groupes détrempés qui ne surveillent rien, ils arrêtent de rares voitures, vérifient les permis de conduire, envoient des messages au Q.G. Allô, le Q.G. ?
Sur tous les murs de la ville, éclairés par des lampadaires, les sigles brillent : IRA, INLA, UVF, UFF, OTG. La ville chérit ses murs comme on tient un journal. Selon cette sténographie saccadée, les murs racontent histoires et haines, ratatinées et décolorées par le temps.
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Le jeudi soir de la semaine suivante. Première journée ensoleillée de l'année. Montres et horloges avancées d'une heure, le ciel immense ; d'excellente humeur, je suis rentré du boulot en voiture. Car j'avais déjà trouvé un nouvel emploi : je transportais des briques pour une rénovation d'hôtel au centre-ville. Le jour s'attardait, le soleil vieillissait, orange et bas ; la ville semblait si légère qu'un souffle aurait pu l'emporter. Les multiples fenêtres des gratte-ciel nains de Belfast viraient au rouge par paires, comme s'il y avait un incendie à l'intérieur. Entre les arbres, les chiens violaçaient dans le brusque éclat du soleil.
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Je me suis baladé un moment en voiture. Les rues étaient moins désertes que dernièrement et mon humeur s'est améliorée. C'était l'une de ces soirées où toutes les chansons de la radio vous faisaient vous sentir à l'étroit dans votre pantalon. Vraiment pas le genre de soirée à passer sans une copine. Il faisait chaud. On se serait cru un vendredi soir en été, quand les filles sortaient en mini-jupe et que les garçons portaient un pantalon de toile tâché par leur sixième pinte et que l'innocent Belfast s'offrait, enivrée et jonchée de leurs déchets alcoolisés, et que tout le monde croyait à tort que je conduisais un taxi.
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Comme 84 637 autres personnes en Irlande du Nord, Luke Findlater apprit qu'une grosse explosion venait de se produire grâce au tout premier flash info de la radio. Chaque jour, à l'heure du déjeuner, il écoutait une émission très originale de Radio Ulster intitulée 'le Point sur l'agriculture en Ulster'. Il écoutait avec délices certains détails sur l'ensilage, l'élevage des porcs ou les bains parasiticides des moutons. L'Anglais savait que son attitude relevait sans doute d'une honteuse fascination de patricien pour un kitsch pervers, mais il en était néanmoins ravi.
Douze minutes seulement après l'explosion de Fountain Street, le présentateur de l'émission s'interrompit, tripota quelques papiers et annonça d'une voix tremblante qu'il venait de recevoir une information non confirmée sur une grave explosion dans le centre de Belfast, qui aurait fait plusieurs victimes.
La voix de cet homme, si étroitement associée aux problèmes risibles et terre-à-terre de l'engrais et de l'abattage des poulets, prononça curieusement ces mots. L'effet en fut troublant. Luke eut soudain froid. Il s'adossa à sa chaise, en proie à une sensation étrange. Il regarda autour du bureau. Il ne vivait pas en Irlande du Nord depuis assez longtemps pour trouver ces informations banales, normales. Le mobilier de la pièce et jusqu'au papier à lettres lui parurent tout à coup d'une absurdité grotesque.
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Il y avait quatre groupes principaux.
Il y avait d'abord les cercles prévisibles d'Alcooliques-en-Résidence, qui donnaient leurs séminaires dans les recoins. Tous les bars de Belfast y avaient droit, ce n'était pas une surprise. Mais Lavery's abritait une énorme différence. Lavery's semblait organiser une formation, un apprentissage. Il y avait une tablée de types qui entamaient leur glissade. Ils avaient commencé chez Lavery ; après avoir passé leur examen de poivrot, ils pourraient se disperser vers d'autres bars ou chez les vrais indigents, mais ils avaient commencé ici et ils ne pouvaient plus s'arrêter. Ils seraient toujours diplômés de chez Lavery.
Il y avait ensuite une bande de types frisant la quarantaine, quadra ou même quinquagénaires, vaguement liés au monde musical ou attirés par lui. Ridés, obèses, on les reconnaissait à leur queue de cheval et à l'étonnant succès qu'ils rencontraient auprès de très séduisantes jeunes femmes de moins de trente ans. Ces succès rendaient ces hommes confiants. Jamais ils ne s'étaient dit que cette apparente anomalie - d'autant plus flagrante que mes amis relativement beaux et moi-même faisions chou blanc à tous les coups - s'expliquait par l'abrogation de toutes les lois physiques dans la bulle spatio-temporelle de chez Lavery. C'était à cause de la physique aberrante qui régnait ici que ces types cartonnaient. Dans la rue, c'était simplement d'affligeantes vieilles badernes.
Le troisième groupe était le plus nombreux. Les étudiants de Queens. Des gamins trop niais pour fréquenter une vraie université et qui se retrouvaient dans ce bar. Presque tous originaires de la campagne, ils se décarcassaient pour se donner l'air de vrais citadins branchés. Quelques semaines plus tôt seulement, ils conduisaient des tracteurs et tondaient les moutons.
Enfin, bien sûr, il y avait une splendide sélection de brunes époustouflantes qui se passaient les doigts dans les cheveux et arpentaient inlassablement le bar sans que jamais leur regard ne croise celui d'un homme.
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Quand les autres sont arrivés, je me sentais au trente-sixième dessous. J'avais seulement bu un ou deux verres. Je ne voulais pas me saouler. Lavery's était un endroit horrible. Les hommes, les célibataires en chasse et les crapules mariées. Les grands rires, les yeux brillants, à l'affût des groupes de femmes. Les pintes de bière, les coups de téléphone, les toilettes bondées. J'étais fatigué des Irlandais et de leur dissipation frelatée.
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J'ai traversé Shaftesbury Square. Bien qu'il fût encore tôt, les clients de chez Lavery's débordaient déjà sur le trottoir. Des groupes de jeunes d'une saleté peu commune traînaient jusque sur la chaussée, un verre de bière à la main. Tandis que je passais devant le bar en enjambant leurs chevilles tendues, j'ai remarqué l'odeur d'urine tiède émanant de l'intérieur. Je détestais Lavery's. C'était forcément le bar le plus crade, le plus populeux et le plus rebutant de toute l'Europe de l'Ouest. Moyennant quoi il avait un succès fou. très Belfast. Einstein avait tout faux : la théorie de la relativité ne s'applique pas à Lavery's. Le temps de Lavery's est un temps différent. On entrait un soir chez Lavery's, âgé de dix-huit ans, et on en ressortait écœuré, en titubant, pour découvrir qu'on avait trente ans bien sonné. Là, les gens tuaient leur vie en buvant. Lavery's était pour les ratés. Je bossais comme carreleur et je ne pouvais pas entrer chez Lavery's : je réussissais trop bien.
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A quoi ressemble donc une bombe ? Eh bien voila... elle explose, bien sûr. Ça fait du bruit. Et ça fait peur. Leur détonation et leur terreur vous frappent en plein ventre, comme dans votre enfance quand vous tombiez sur la tête et que vous ne compreniez pas pourquoi il en résultait tant de souffrance et tant de panique viscérale. Et puis c'était un phénomène irréversible. Les bombes ressemblaient aux assiettes qu'on lâche, aux chats qu'on frappe, aux mot qu'on prononce sans y penser. Elles étaient l'erreur. Le désordre et le foutoir. Elles étaient aussi - très important, ça - le savoir. Quand vous entendiez cette décharge sèche, la détonation animale de la bombe, lointaine et proche, vous compreniez quelque chose. Vous compreniez que quelqu'un quelque part passait un très sale moment.
Ce n'étaient pas les bombes qui faisaient peur. C'étaient les victimes des bombes. La mort en public était une forme de décès très spéciale. Les bombes mutilaient et s'emparaient de leurs morts. L'explosion arrachait les chaussures des gens comme un parent plein d'attention, elle ouvrait lascivement la chemise des hommes ; le souffle luxurieux de la bombe remontait la jupe des femmes pour dénuder leurs cuisses ensanglantées. Les victimes de la bombe étaient éparpillées dans la rue comme des fruits avariés. Enfin, les gens tués par la bombe étaient indéniablement morts, putain. Ils étaient très très morts.
(L'explosion contrôlée, soit dit en passant, a eu lieu sur une poubelle remplie de déchets du Kentucky Fried Chicken. Des petits morceaux de viande grillée ont ainsi arrosé toute la rue. C'est mon chat qui a été content).
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Il rédigea sa liste. Voici ce qu'elle contenait :

A mon trentième anniversaire j'ai
vécu 360 mois
1 560 semaines
10 950 jours
262 800 heures
1 576 800 minutes
94 608 000 secondes
J'ai
uriné environ 74 460 fois
éjaculé environ 10 500 fois
dormi pendant environ 98 550 heures (11 ans et 3 mois)
fumé environ 11 750 cigarettes
mangé environ 32 000 repas
bu environ 17 520 litres de liquides (dont 8000 environ contenaient de l'alcool)
marché environ 30 440 kilomètres
bandé pendant environ 186 150 minutes,
3 102,5 heures, 129,27 jours
eu environ 5,4 mètres de cheveux
baisé environ 175 fois
gagné environ pas un seul sou, putain.

Il fixa cette feuille au mur à l'endroit où avait trôné sa photographie du pape.
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A ce moment précis, je croise une fille qui semble se recroqueviller sur elle-même. Elle détourne les yeux, puis me regarde, en faisant bien attention de ne trahir aucune émotion. Elle rase le mur, la mâchoire crispée par la peur et l'indignation. Elle garde la tête baissée, désapprobatrice, ses pas rapides sonnent sur l'asphalte. Elle ne m'aime pas. Elle n'aime pas mon air crasseux, ma démarche d'infirme, de victime. Je la gêne et l'inquiète, ce dont elle se passerait volontiers. Je ressens ça d'autant plus durement qu'elle est jeune, jolie, et qu'elle a ces yeux humains et cléments que j'aimais tant. Elle me dépasse en trottinant d'un air soulagé. Moi, le vagabond. Je suis plus jeune qu'elle.
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La richesse sert, bien sûr à mesurer la distance qui sépare de la pauvreté. Il s'agit de savoir à quel point vous n'êtes pas pauvre.
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L'inconnu peut vous vraiment vous blesser prodigieusement, mais ce que vous n'avez jamais eu ne vous manquera jamais.
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 Seulement tard dans la nuit et d'un point de vue élevé, vous contemplez la ville comme une chose unique, un phénomène unifié. quand tous dorment, le chaos diurne trouve son unité et, au moins géographiquement, la ville apparaît comme une entité globale. On la voit entourée de ses cercles de basalte noir, de montagnes, de falaises et de plateaux. On aperçoit dans la vaste baie la mer obscure qui lape les fondations de la métropole et mouille jusqu'à son cœur. On remarque alors que Belfast est, très littéralement, une décharge. Son centre est bâti sur un terrain plat qui n'était tout simplement pas là il y a deux siècles. On a déversé de la terre dans la mer et on y a construit Belfast. Terre rapportée, artifice urbain. La ville est une plage surélevée, un contrefort. Les autochtones disent qu'elle est sortie de l'eau comme une déesse, mais en vérité elle a été jetée à la mer et n'a point coulé.

Belfast, c'est Rome avec davantage de collines ; c'est l'Atlantide sauvée des flots. Et, où qu'on soit, où qu'on regarde, les rues brillent comme des bijoux, comme de menues guirlandes d'étoiles. 

Selon certains, la ville compte 279 000 habitants, 130 000 hommes et 149 000 femmes, et tous ces gens se pressent sur 11 489 hectares. Selon certains, il y a ici un million et demi d'âmes - le Grand Belfast est aussi belfast. Deux cathédrales, quelques quais, un port, de nombreuses collines et montagnes. Une ville située au niveau de la mer et tout au bord des terres.

Mais indépendamment du nombre de ses habitants et de sa taille, elle est magique. Cette nuit là, les rues exhalent une odeur lasse et éventée, l'air est plein de regret et de désir. Le temps semble passer et passé. La ville apprend à vieillir
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Robert McLiam Wilson
Je connais les gens qui ont fait ça. Je les ai rencontrés, eux et leurs pareils, à de nombreuses reprises, à Belfast. Ces gens sont les mêmes partout dans le monde. Pérou, Colombie, Belfast, Paris. Remarquable uniformité. Les deux traits dominants qu’ils partagent sont la bêtise et l’arrogance. Intellectuellement et moralement, c’est un voyage au pays du vide. Il n’y a rien. Nous sommes au cœur d’un univers de stupidité, d’une absence totale de quoi que ce soit qu’on puisse raisonnablement appeler une pensée. L’ignominie d’aujourd’hui n’a ni raison ni explication. Il n’y a pas de thèse. Pas de politique. Pas de religion. Pas même vraiment d’émotion adulte. C’est le caprice mortel d’un bambin mégalomane doté des pleines capacités de nuire d’un adulte. Je les ai rencontrés – les ignares de l’IRA et les têtes vides de l’UVF (Ulster Volunteer Force). J’imagine qu’ils sont plutôt bien assortis avec les génies du Sentier lumineux, les Einstein de Boko Haram et les Prix Nobel de l’État islamique. Ils sont crétins et abjects à un point que nous avons, pour la plupart, du mal à imaginer.
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Mais surtout, les villes sont des carrefours d'histoire. Les hommes et les femmes qui y vivent sont des récits, infiniment complexes et intriguants.
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Toutes les histoires sont des histoires d'amour.
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Identifiés, anonymes. Présents à la mémoire, oubliés. Ils ont tous fait le grand saut, spécialité des morts. Qu'ils aient décédé aussitôt, presque aussitôt ou plus tard, tous ont fait le grand saut. Quitter le monde des vivants pour se transformer en cadavre: la transition la plus rapide du monde.
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Elle était facile à aimer. Le désir de Manfred était illimité. Les vêtements d'Emma, lâches ou serrés, incitaient son mari à les toucher. Ses fesses s'épanouissaient sous les mains de Manfred. Il observait les formes, les ondulations des muscles sous la peau de son ventre, depuis les côtes jusqu'aux hanches. Ses seins étaient comme du pain. Parfois, la nuit, elle restait allongée sur le tapis devant le feu, le dos tourné vers lui, sa colonne vertébrale nue s'incurvant comme une douce parabole. Dans la pénombre, elle avait la couleur du sable ou de certaines feuilles mortes.
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Non que Manfred eut déjà échafaudé quelque projet de suicide détaillé. Le suicide était selon lui la mort de l'idiot. Il pouvait attendre et avoir confiance. Sa douleur le faisait espérer. La mort invitée était une affaire beaucoup plus digne tant qu'on ne se l'infligeait pas soi-même.
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