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Citations de Roberto Calasso (40)


De quoi parlent les écrivains quand ils nomment les dieux? Si ces noms n’appartiennent pas à un culte — ni même à ce culte au sens figuré qui est la rhétorique —, quel sera leur mode d’existence? « Les dieux sont devenus des maladies », écrivit une fois Jung avec une brutalité éclairante. L’informe masse psychique est le lieu où tous les dieux ont fini par se rassembler, comme autant de réfugiés du temps. Mais est-ce là une diminution ? Ne pourrait-ce pas être au contraire considéré comme un retour à l'origine — ou du moins un repli à l’intérieur de l’enclos d’où, depuis toujours, les dieux s’étaient évadés? En effet, quoi qu’ils soient, les dieux se manifestent toujours d’abord comme des événements mentaux. Contrairement à l’illusion moderne, les forces psychiques sont des fragments des dieux, et non pas les dieux des fragments des forces psychiques.
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Le monde — il est désormais temps de le dire, même si la nouvelle est désagréable pour beaucoup — n’a aucune intention de se désenchanter jusqu’au bout, ne serait-ce que parce que, s’il y parvenait, il s’ennuierait trop. Entre-temps, la parodie est devenue une fine pellicule qui enveloppe tout. Aujourd’hui, ce qui était, chez Baudelaire et Heine, un fragment empoisonné d’Offenbach s’est révélé être le chiffre d’une époque. Aujourd’hui, tout ce qui se manifeste apparaît d’abord comme une parodie. La nature elle-même est parodie. Ensuite, avec de la peine et
des précautions subtiles, il se peut que quelque chose se révèle aller au-delà de la parodie. Mais il faudra toujours la
confronter avec sa version parodique originaire. Enfin : la littérature absolue. Ce qui, selon le Grand Inquisiteur de Baudelaire, se manifestait encore comme danger dans l'ombre, sourde menace, éventuelle dégénération s'est révélé être la littérature elle-même.
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Dans sa forme la plus concise, ce postulat déclare que la pensée est langage. Plus ambitieusement, que l'esprit est langage. Mais nous ne pensons pas en paroles. Nous pensons parfois en paroles. Les paroles sont des archipels fluctuants et sporadiques. L'esprit est l'océan. Reconnaître dans l'esprit cet océan semble quelque chose d'interdit, que les orthodoxies en vigueur, dans leurs différentes versions, scientistes ou seulement commonsensical, évitent presque instinctivement. C'est là que réside justement la bifurcation essentielle. C'est là qu'on décide dans quelle direction va opérer la connaissance
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S'il n'y avait pas eu Ingres, le XIX ème serait encore plus désespérément dix-neuviémesque.
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Si les dieux parvinrent au ciel à travers une forme, les hommes auront d'autant plus besoin d’une forme pour rejoindre les dieux... Les mètres sont notre teménos, la forme à l’intérieur de laquelle apparaissent toutes les formes... Nous commençons alors à comprendre pour quelle raison, par exemple, la littérature est si souvent liée à l’immortalité, en un sens bien plus radical que celui - à vrai dire plutôt modeste - de la mémoire qui s’étend sur les générations futures.
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Cercle vicieux : la légitimité est la seule force qui assure la durée d’un gouvernement ; mais pour qu’un gouvernement devienne légitime, il faut qu’il dure déjà depuis un certain temps.

(p.73)
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Un appel oscillait entre l'Asie et l'Europe : à chaque oscillation, une femme, et, avec elle, une foule de pilleurs, passaient d'une rive à l'autre.
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On ne devient jamais assez immortels
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La possession est avant tout la reconnaissance que notre vie mentale est hantée par des puissances qui la dominent et qui échappent à tout contrôle, mais qui peuvent avoir des noms, des formes et des contours.
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"Il y a une vague Baudelaire qui traverse tout. Elle a son origine avant lui et elle se propage au-delà de n'importe quel obstacle. Parmi les pics et les creux de cette vague on reconnaît Chateaubriand, Stendhal, Ingres, Delacroix, Sainte-Beuve, Nietzsche, Flaubert, Manet, Degas, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Laforgue, Proust et d'autres, comme s'ils étaient atteints par cette vague et submergés pendant quelques instants. Ou comme si c'était eux qui heurtaient la vague. Des poussées qui se croisent, divergent, se ramifient. Des tourbillons, des remous soudains. Puis le cours reprend. La vague continue à voyager, elle se dirige toujours vers le "fond de l'Inconnu" d'où elle est venue".
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La couleur opaque, ténue, comme d'une fresque, la lumière diffuse et pale, les rares accentuations de couleur: tout confirme l'irrémédiable froideur et l'aspect silencieux de l’événement.
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Au temps du Grand Corbeau, même l’invisible était visible. Et il se transformait continuellement. Les animaux, alors, n’étaient pas nécessairement des animaux. Il pouvait se trouver qu’ils fussent des animaux, mais aussi des hommes, des dieux, les seigneurs d’une espèce, des démons, des ancêtres. Ainsi les hommes n’étaient pas nécessairement des hommes, ils pouvaient être aussi la forme transitoire de quelque chose d’autre. Il n’y avait pas de procédés pour reconnaître qui apparaissait. Il fallait déjà le connaître, comme l’on connaît un ami ou un adversaire. Tout avait lieu à l’intérieur d’un flux unique de formes, des araignées aux morts. C’était le règne de la métamorphose.

Le changement était continu, comme cela n’arriva par la suite que dans la caverne de l’esprit. Choses, animaux, hommes : des distinctions jamais nettes, toujours provisoires. Quand une vaste partie de l’existant se retira dans l’invisible, il ne cessa pas pour autant d’avoir lieu. Mais il devint plus facile de penser qu’il n’avait pas lieu.

Comment l’invisible pouvait-il redevenir visible ? En animant le tambour. La peau tendue d’un animal mort était la monture, était le voyage, le tourbillon doré. Elle conduisait là où les herbes rugissent, où les joncs gémissent, où même une aiguille ne pourrait s’enfoncer dans l’épaisseur du gris.
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Tiepolo : la dernière bouffée de bonheur en Europe. Et, comme tout vrai bonheur, il était plein de côtés obscurs, qui n'étaient pas destinés à disparaître, mais plutôt à prendre le dessus.
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La puissance qui meut le terrorisme et le rend obsédant n’est ni religieuse, ni politique, ni économique, ni revendicative. C’est le hasard. Le terrorisme est ce qui rend visible le pouvoir toujours inentamé qui sous-tend le fonctionnement du tout et dont il dévoile le fondement. Il est en même temps une modalité éloquente à travers laquelle se manifeste dans la société l’immense étendue de ce qui l’entoure et l’ignore.
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Comme toute pratique sacrificielle, le terrorisme islamique se fonde sur la signification. Et cette signification s’enchaîne à d’autres significations qui toutes convergent vers le même motif : la haine à l’égard de la société séculière.
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Auden intitula L’âge de l’anxiété un petit poème à plusieurs voix situé dans un bar de New York vers la fin de la guerre. Aujourd’hui ces voix résonnent comme si elles venaient de loin, comme si elles venaient d’une autre vallée. L’anxiété ne manque pas, mais elle ne prévaut pas. Ce qui prévaut, c’est l’inconsistance, une inconsistance meurtrière. C’est l’âge de l’inconsistance.
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La littérature […] est toujours faite d’exclusions non moins que d’inclusions et laisse tomber sur le monde une lame de lumière oblique et tranchante, sans se soucier de ce qu’elle abandonne à l’obscurité, car son défi est de faire respirer le tout, même dans le détail le plus désolé et sans aucune relation.
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Tout cela est la conséquence d’une évolution longue et tourmentée jamais interrompue — même si elle s’est parfois dissimulée. S’il fallait établir, de manière indiscutablement arbitraire et pour des exigences purement dramaturgiques, le point de départ de ce processus, aucune image ne serait plus appropriée que celle de Sparte, telle que Jacob Burckhardt l’a montrée, condensant l’essentiel en quelques mots avec son habituelle sobriété : « Sur la terre, la puissance peut avoir une mission supérieure ; sur elle seule, sans doute, sur un monde fortifié par elle, peuvent surgir les civilisations d’un ordre supérieur. Mais la puissance de Sparte ne semble être apparue au monde que pour elle-même, pour sa propre affirmation, et son pathos, son aspiration constante, a été l’asservissement des peuples soumis et l’extension de son empire comme une fin en soi. »
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Par rapport à tous les autres régimes, la démocratie n’est pas une pensée spécifique, mais un ensemble de procédures, qui se prétendent capables d’accueillir n’importe quelle pensée, hormis celle qui se propose de renverser la démocratie elle-même. Et c’est là son point le plus vulnérable, comme la démonstration en fut faite en Allemagne en janvier 1933. Ainsi, la société séculière a fait preuve de souplesse et d’ingéniosité dans la réabsorption en elle­-même, sous de fausses apparences, de ces mêmes puissances qu’elle venait d’expulser. La théologie a fini par se transformer en politique, tandis que la théologie en tant que telle était reléguée dans les universités.
Or ce processus s’applique à tous les niveaux : sans le frisson du numineux la société séculière se refuse à subsister, tandis que le mot numineux n’est plus accepté que dans le milieu académique. Ne pouvant nommer, selon les règles d’un canon, ce qu’elle adore, la société paraît condamnée à une nouvelle et sournoise superstition : la superstition d’elle-même, la plus difficile à percevoir et à dissoudre. Nous savons désormais que les pires désastres se sont manifestés quand les sociétés séculières ont voulu devenir organiques, une aspiration récurrente de toutes les sociétés qui développent le culte d’elles-mêmes. Toujours avec les meilleures intentions. Toujours pour récupérer une unité perdue et une harmonie supposée. Sur ce point, Marx et Rousseau, mais aussi Hitler et Lénine, mais aussi le productiviste Henri de Saint-Simon ont trouvé un accord fugace. Organique est beau, pour tous. Nul ne se hasarde à dire que l’atomisation tant décriée de la société peut être une forme d’autodéfense contre des maux plus graves. Dans une société atomisée on peut se dissimuler plus facilement. On n’attend pas que la police secrète frappe à la porte à quatre heures du matin.
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Au cours du XXe siècle s’est cristallisé un processus d’une immense portée qui a investi tout ce que recouvre le nom « religieux ». La société séculière, sans qu’il ait été nécessaire de le proclamer, est devenue l’ultime cadre de référence pour n’importe quelle signification, comme si sa forme correspondait à la physiologie de n’importe quelle communauté et que la signification ne devait être recherchée qu’à l’intérieur de la société elle-même. Celle-ci pouvant prendre les formes politiques et économiques les plus divergentes, capitalistes ou socialistes, démocratiques ou dictatoriales, protectionnistes ou libérales, militaires ou sectaires. Et qu’il fallait, en tout cas, les considérer comme de pures et simples variantes d’une unique entité : la société en soi. C’est comme si l’imagination s’était amputée, après des millénaires, de sa capacité à regarder au-delà de la société à la recherche de quelque chose qui donne une signification à ce qui se produit à l’intérieur de la société. Un pas très audacieux qui implique un formidable allégement psychique. Mais inévitablement de courte durée. Vivre « par-delà bien et mal » est quelque chose qui rencontre une résistance invincible. Produire — ou de toute manière favoriser — cet allégement est une caractéristique décisive de la démocratie. Qui pourtant est incapable de le conserver.
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