Citations de Rodolphe Christin (25)
On parla, au fil des temps, de démocratisation des voyages, sans se rendre compte que, bien des années plus tard - aujourd'hui -, la démocratie deviendrait pour beaucoup soluble dans la consommation. Et le le tourisme devint consommation, élément majeur du devenir-économie du monde.
Désormais, la libération initiale, devenue la norme, se fait oppressante : elle martyrise natures et sociétés humaines, opprime l'esprit des voyages et transforme l'hospitalité des lieux en prestations, les habitants en prestataires, les paysages en décors. Voilà où l'on est arrivé.
Comprendre le monde pour s'en dégager; vous désignez cette entreprise comme essentielle si l'on souhaite se déprendre de l'emprise de la société. Cette intention va à l'encontre des conditionnements les plus courants qui ne forment que des légions de morts-vivants. C'est une invitation à vivre, enfin vivre, sans se comporter en automate de la reproduction sociale. Contre la mauvaise religion de l'avoir, parvenir à insuffler de l'être dans le quotidien, se nourrir de la banalité des jours pour en déceler la lumière. Avec la joie de sentir, une énergie nouvelle enflamme l'existence, elle devient la suprême récompense. Cette joie inspire la dérision qui défait avec humour les faux-semblants. L'émancipation est possible au prix d'une lucidité qui enchante la vie la plus simple, après avoir désenchanté le règne du spectacle et détruit ses illusions.
L'ampleur de la servitude échappe bien souvent au travailleur tant celui-ci trouve désirable de louer sa force et son intelligence en contrepartie d'un salaire, pour, quelque soit son montant, gagner une vie au bout du compte misérable, aliénée de part en part.
Seul un homme asservi accepte d'être réduit à une fonction professionnelle. L'homme libre, ayant réfléchi à ce qui fait la valeur de son être, assume sereinement de vivre hors fonction et d'être hors service.
Le sentiment de liberté touristique réside dans le fait que, quelques semaines par an, le touriste s'imagine rentier. Libre d'utiliser son temps à sa guise et, une fois n'est pas coutume, de se faire servir par d'autres, qui eux sont au travail.
[…], le touriste doit ignorer ([…]) les coulisses notamment économiques ([…]), de la production de son plaisir. De l'autre, le manager de produits touristiques doit provoquer l'illusion d'un monde parfait et paradisiaque sans jamais autoriser l'accès de son client au dessous des affaires.
« L'un des paradoxes du tourisme d'aujourd'hui est de tuer ce dont il vit, en véritable parasite mondophage. Celui-ci préfère le divertissement à la diversité ; le premier est en effet plus confortable car il ne remet rien en cause. Ainsi le touriste déclare son amour à cette planète dans ses moindres recoins, et, ce faisant, il contribue à l'épuiser impitoyablement. »
Si le temps libre est merveilleux lorsqu'il est imprévu, l'est-il encore autant - libre et merveilleux - lorsque tout y a été programmé? Pas sûr. Ainsi va désormais le tourisme, cheminant de standard en standard, de guichet en guichet.
« Une faible proportion de personnes dans le monde dispose de smoyens d'être des touristes. Comme l'automobiliste (80% de la population mondiale n'utilise pas encore de voiture), le touriste est un marginal destructeur. Loin d'être si généralisé que cela, le tourisme apparaît donc bien comme la pratique de celles et ceux qui disposent de suffisamment de ressources économiques pour jouir du monde sans entraves. Il est le luxe d'un minorité dont l'impact concerne une majorité, parce que cette minorité tente d'aller partout et que partout on cherche à attirer son pouvoir d'achat. Son pouvoir d'achat plutôt que sa bonne mine, n'en déplaise aux idéalistes. »
« Le vrai voyage n'est-il pas dans l'aller simple ? Se laisser embarquer au gré des routes terrestres, ferroviaires, maritimes, bifurquer lorsqu'on ne s'y attend pas. Eloge de la lenteur. Bonheur ineffable de se trouver en transit en mouvement, entre deux points. Eprouver physiquement la distance, découvrir l'entre-deux, se retrouver à Pétaouchnock... »
La nature sauvage représente un vide civilisationnel autorisant une intensité d'être et une plénitude d'existence hors du commun.
Si le voyage espère traverser la réalité, toute en courbes et en bosses, au risque parfois de s'y heurter, le tourisme érige à présent, de plus en plus, ses propres décors, lisses, fabriqués sur mesure.
Les frontières étaient devenues des procédures. Des impossibilités de papier. Une angoisse permanente empoignait les migrants face à l'idée de ne pas pouvoir afficher un visage en papier, en bonne et due forme. Derrière les papiers se tenaient des hommes en gilet pare-balles et des chiens. Toujours.
Ils parlaient d'identité nationale au milieu des visages multicolores. Ils parlaient d'identité nationale alors que les intérêts de l'Économie traversaient allègrement les frontières, entraînant les ressources humaines dans leur sillage. Les guerres produisaient des flots d'errants. La migration devenait une nécessité existentielle et simultanément une impossibilité de papier.
Fort de son bon droit et de sa bonne conscience, le tourisme dessine un clivage subtil entre ceux qui ont les moyens de profiter du monde et les autres qui sont là pour les servir.
Comme cette tendance concerne aujourd’hui le monde entier, on parle de mondialisation pour désigner son expansion. Personne, ni l’homme des villes européennes, ni l’homme des jungles de Nouvelle Guinée, n’existe sans être, d’une manière ou d’une autre., confronté aux exigences ou aux conséquences du développement.
Ce sera l'occasion de donner du sens à cet acte de libération des saumons. J'y ajouterai des cavales philosophiques, des récits réalistes et dingues, satiriques, sans illusions, avec malgré tout un soupçon d'histoire entre les lignes. Le tout porté par une orgueilleuse vitalité. J'emprunterai des identités fictives qui deviendront réelles. Je sèmerai la confusion, bousculerai l'ordre des choses et personne ne parviendra à me suivre. Impossible de remonter ma trace ! Personne ne croira qu'on puisse écrire un livre pareil, post-exotique en diable, si loin sous les tropiques, pas vrai ?
Porter des pulls à grosses côtes, une barbe de trois jours et les cheveux ébouriffés n’étaient pas des signes de probité.
Il existe des lignées émotionnelles bien marquées. Des lignées de pleureuses, évidemment ce sont les femmes qui sont touchées. Les hommes aussi, mais ça ne se voit pas.
L’acte de partir se mue en une banale opération commerciale. On croit partir alors qu’on ne sort plus guère de ses usages domestiques.
Si le voyage est philosophie le tourisme est economie, autant que possible profitable. Le premier explore,blé deuxième exploite.
C'est justement là que menacent les mirages du développement personnel, qui sous leurs grands airs spiritualistes tendent à faire passer des vessies pour des lanternes. La libération n'est en rien une adaptation psycho-relationnelle, foncièrement narcissique sous ses allures thérapeutiques, qui permettrait d'être plus en adéquation avec son entourage, plus performant dans son emploi, plus en phase avec ses émotions, plus "heureux" dans la vie. Le centre de telles préoccupations reste parfaitement dérisoire et le libéralisme économique fournit à bon prix tous les ingrédients qui prétendront vous soigner sans plus jamais pouvoir vous passer d'eux. Nous sommes là encore dans un développement égotique, visant une adaptation plus harmonieuse aux dimensions de la cage où nous vivons enfermés.