Il était tôt. Sept heures et demie. La route étroite, peinant sur le flanc montagneux, semblait dresser un mur gris devant le capot rouge. Comme sur une peau épuisée qui pèle, des plaques de bitume s'effritaient, lacérées de saignées et de plaies.
La nuit de Noël était si belle qu'on pouvait peut-être oublier toutes les tristesses et ne penser qu'à la joie. Sur le chemin de l'église paroissiale, les étoiles nous guidaient vers le divin Enfant avec l'éclat qu'avaient dû avoir celles de Bethléem. Et je croyais dur comme fer au bonheur et à la justice.
L'aube printanière se révélait d'une pure splendeur. Le soleil en mouvement imperceptible peignait les ombres de la grande vallée de toutes les nuances de l'arc-en-ciel, en halos, en traînées, en brumes irisées, au gré du jeu infini de la lumière sur les milliards d'infimes particules de rosée.
On ne gagne jamais à sortir de la religion dominante, fût-elle celle des bovins, Jean ne l’ignorait pas, mais il s’était obstiné dans sa passion caprine, y compris contre les objurgations de Séverine. Les railleries avaient duré plusieurs saisons. Maintenant, on concédait un droit de cité aux cabres de Pelous. Lorsqu’elles pignochaient les herbes les plus délicates dans ses prés, elles ne choquaient plus les regards ; elles appartenaient désormais, du moins Jean s’en convainquait-il, au paysage ordinaire de Longcamp.
En acérant son regard sur les dos les plus lointains et les plus élevés, Maria distinguait des pans de roches nues : des gneiss oeillés gris, qui possédaient l'austérité d'une bure. Ailleurs, c'étaient des manteaux de bruyères cendrées se piquant d'impalpables inflorescences. Mais dans leur majorité, les puechs portaient les vêtures d'or des genêts en fleur, dont l'éclat contrastait avec les émeraudes sombres des prairies et de quelques tourbières humides.
Je sais les luttes sourdes, les épisodes cocasses que cachent le moindre carré de labours ou de prairies, les talvéras, les chemins creux. Si je resserre sur eux mon regard, ils cessent d'être de la terre ou de la verdure pour palpiter de la passion de posséder, d'obstination....Dans chaque famille, les mémoires se remplissent lentement de ces choses, qui deviennent le sel des vies paysannes et les racines de l'avenir.
La nuit de la Nativité, sur toute l'étendue du plateau, le ciel foisonnait d'étoiles et sa transparence émerveillait. Les êtres les plus terre à terre se sentaient mystérieusement élevés au-dessus de leur médiocrité invétérée. Il était sûr aussi que certains, transportés par leur imagination, croyaient marcher vers Bethléem où, au même instant, la voûte céleste ne devait pas être plus pure.
Des oiseaux nocturnes attardés s'enfuient dans les haies parce qu'un rayon de soleil les surprend. Un peu au-dessus de nous sur le versant, les bogues de châtaignes chutent au hasard de leur fatigue. Elles font un bruit mat sur les sous-bois mouillés de rosée.
Il y a le sucré léger de l'air qui s'attiédit déjà. Il y a le ciel de saphir pur, où flânent quelques queues effilées de cirrus
Sur le chemin de la ferme, le cœur de François se mit à taper très fort, comme il l'avait fait le jour de son retour dans le monde des civils. [...] Puis, les paroles de Mlle Ladoux, le ton exact de sa voix, la lueur de son regard, revenaient ; occupaient toute l'intelligence, tout le temps ; s'imposaient comme une certitude, une promesse, un rêve réalisable. Pour Clarisse.
Dans l’obscurité, une maison vide n’est pas une maison silencieuse. Des chocs infimes, imperceptibles en pleine journée, des frémissements semblent trahir des remous secrets, nés dans la profondeur des murs ou dans l’inconnu des pièces et des galetas qu’on ne fréquente que rarement.