Komorebi de
Roger Raynal
D'habitude, lorsqu'une femme me faisait connaître son désir, je me jetais sur elle, mais là, j'étais comme paralysé, embarrassé de respect, et je la laissai faire. Nous étions, de tous côtés, environnés par la brume d'automne. « Vos mains sont froides et rugueuses », me dit-elle, « je vais les amollir ». Et lentement, elle porta chacun de mes doigts à sa bouche, les embrassant avec un art si maîtrisé que je crus défaillir. Pour me ramener à moi, à elle, elle me mordit, de ses fines dents, le bout de l'index, jusqu'au sang. La brève douleur réveilla ma conscience, et je basculai sur elle. Elle se dégagea comme un animal souple et fauve et ôta son dernier vêtement alors que je me séparais des miens. Dans cette clarté entrecoupée de brume, de sa peau nue semblait sourdre une lumière laiteuse, quasi lunaire, et je me fondis, comme la luciole soumise à une fatale attraction, dans cette lueur vaporeuse.
Je ne saurais vous dire combien de temps dura cette union. Je sortis de mon corps, cette nuit-là, à plusieurs reprises, et il me sembla que mon esprit errait dans les brumes, courant à la surface des eaux huileuses à la recherche de mon corps uni au sien. J'entendais, je participais des mille volontés de la vie autour de nous. J'étais ce poisson à l'affût dans la vase, et ce ver qui rongeait le roseau, et ce hibou qui cherchait sa pitance, et cette souris, encore, qu'il terrorisait, blottie entre les herbes...J'étais tout cela, et tout cela était en moi. J'eus l'illusion de voir Itako, loin au-dessous de moi, cernée de lacs et de rivières, et le grand rivage qui marque l'océan. Loin, très loin au-dessous de nous. Puis, je chutais, je revenais dans ma barque, avant de reprendre de la hauteur, dans un va-et-vient qui semblait appartenir à une autre réalité. Je vis, dans ce rêve partagé, disparaître la ville sous les nuées et, vers le sud, je crus même discerner les neiges du Fuji, scintillantes sous le manteau céleste gavé d'étoiles qui m'accueillaient en leur sein. Et toujours cette odeur lourde, suave, presque sucrée, cet au-delà du désir et du plaisir qui me portait, abandonné, sans volonté, comme nous porte le temps sur les flots tempétueux de notre destinée. J'avais dépassé le stade des sensations, j'étais apaisé, libéré de toute nécessité, je tutoyais les dieux...et j'ouvris les yeux alors que ma déesse refermait, d'un mouvement fort et exquis, les pans de son dernier vêtement.
J'étais étendu, nu, faible et trempé, comme pour une seconde naissance, sur le rude plancher de ma barque. « Nous pouvons, à présent, terminer notre course ».
Extrait de "Le doigt"
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