Albert Camus ou la
passion de comprendre ; 2
Hommage rendu par
Roger VRIGNY et
Jacques BRENNER à
Albert CAMUS, "
Albert CAMUS ou la
passion de comprendre". Construit avec des extraits d'archives et d'interprétations de ses oeuvres.
Albert CAMUS donne une représentation des "Justes" en 1950 pour poser la question : "peut-on accomplir des actes injustes au nom de la Justice?".
A 0' 50 : Extrait de l'acte III des "Justes" avec Maria...
Quelle misère, quand on y pense, de se voir ligoté à un être comme un pendu à sa corde ! Et pourquoi, je vous le demande, à cause d'une jolie frimousse, d'une peau, d'une odeur ? Même pas, d'une idée plutôt — ou d'une image — qu'on s'est faite un jour et qui ne vous quitte plus.
Willie avait des idées courtes sur les filles. A vrai dire, il ne s'en était guère occupé jusque-là. C'étaient des êtres à part, qu'il regardait de loin. Elles riaient ou pleuraient pour des bêtises, elles avaient peur des souris et des araignées, elles ne pensaient qu'à leurs toilettes, toutes fières de montrer leurs bras nus et leurs décolettés, elles e mettaient du parfum dans les cheveux et lorsqu'elles circulaient en bande à la foire, toujours à manger des gaufres ou à sucer des glaces, elles coulaient des regards à droite et à gauche en se poussant du coude avec l'air de se moquer du monde. De qui en particulier on ne savait pas mais on le prenait pour soi. Quant à l'opinion que les hommes en avaient, Willie l(avait apprise de bonne heure, du temps où il travaillait dans les vignes où les rouliers racontaient leurs exploits. Ils parlaient des filles comme d'une marchandise plus ou moins fraîche et appétissante.
La vie est dans nos yeux. Qu'est-ce qu'il reste de la vie ? Une image. Une question. Des mots, du sang. Une image de sang. Un appel qui vient de loin, et qui monte. Un cri de peur soudain, comme une étoffe qui se déchire, le coeur fendu en deux et qui se vide, enfin.
La vie n'est rien si personne ne vous attend.
Les années ont passé. Qu'est-il devenu, mon coucher de soleil au bord de l'Oise ? Il aurait suffi d'un peu de patience pour dire le ciel rouge,l'odeur de l'eau, la grâce d'un visage, l'amour que j'avais au coeur. Je n'ai pas su attendre. Le garçon a grandi,il m'a quitté. Aujourd'hui il est mort. Que reste-t-il de cet instant ? Ces lignes que j'ecris comme une croix sur une tombe.
Aussi près de ses sous que de la mort, la Tante comptait l'argent comme les jours qu'il lui restaient à vivre. Avec parcimonie.
Josette était une bonne fille, la providence des adolescents craintifs, désireux de s'instruire. On allait chez elle comme on va à confesse, pour se décharger de ses humeurs. La pénitence était douce. A trois kilomètres de Saint-André, en direction de Bagnols, se dressait l'écriteau: Josette, salon de coiffure avec une flèche indiquant à gauche un chemin qui grimpe sue le coteau.
La pureté ne souffre pas de mélange. L'eau est pure quand rien ne vient la troubler, le sable, les herbes ou les saletés qui traînent dans le courant. Où est la pureté de l'amour lorsqu'on y mêle son corps et son âme? Le trouble est partout. Dans l'une comme dans l'autre. C'est fatal. Il n'y a pas de corps sans âme n'est-ce pas? Ni réciproquement. Alors, comment faut-il aimer?
Les gens disaient: "Willie, c'est un drôle", mais lui, de sa personne, il ne connaissait rien, ou presque, même pas comment elle était faite, bien ou mal proportionnée, quelle forme avait son visage, quelle couleur ses yeux, parce que chez les Dombes on avait pas le droit de se regarder dans une glace. C'était une coquetterie inutile, presque un péché.
Qu'un homme riche et plein d'expérience, dans la force de l'âge, l'entoure de soins et de tendresse, qu'il le traite comme la personne la plus chère à son coeur, voilà ce qui pouvait le surprendre mais non pas lui déplaire. Ca le flattait, Willie, de se sentir l'objet de tant d'amour. Lui qui n'était rien dans l'existence, il devenait soudain quelqu'un de précieux, d'unique en son genre, qui donnait de la joie sans le savoir. L'aventure en valait la peine.