Citations de Roland Dorgelès (178)
Certains bourgeois français, lui disais-je regrettent que nous n'ayons pas un Mussolini. Penché sur une vitrine, où il examinait ds médailles, ce vieux socialiste leva simplement la tête, sa loupe un instant retombée :
- Nous pourrions peut-être leur envoyer le nôtre? me proposa-t-il doucement.
Vous êtes mécontents ? Vous voulez prèsenter des revendications ? Aux urnes, citoyens !
Décidément tous les régimes autoritaires se ressemblent. Ils condamnent les démocraties mais prennent toutes les mesures pour se donner l'air démocratique. Celui-ci n'y parvient guère.
Que ces Orientaux sont donc heureux ! Même lorsqu'ils travaillent, ils ont l'air de flâner. Dans les souks, c'est ma joie de voir ces centaines de marchands, sciés en deux sur leur tapis, qui attendent le client en fumant leur pipe à eau. Leur Dieu ne les a pas frappés, comme le nôtre, de la punition originelle et, ayant sans doute le choix entre différents péchés, ils ont préféré la paresse.
C'est un péché de soleil... La proverbiale sobriété de ces Syriens n'a même pas d'autre raison : quel bon pain vaudrait le mal qu'on se donne à le gagner ?
Le capitaine Tarasse, dit "Tracasse", qui commandait ma compagnie détestait par-dessus tout la contradiction, l'indépendance d'esprit, la fantaisie et tout ce qui pouvait rappeler de loin ou de près la liberté, forme déguisée de l'insubordination. Un ordre, quel qu'il fût, devait s'exécuter sur-le-champ, sans chercher à comprendre et surtout sans discuter. Demi-tour et rompez...
Il se méfiait des gens trop instruits, qui sont généralement "raisonneurs", et ne faisait exception que pour les instituteurs, déjà pliés à la discipline.
Quand le bruit se répandit dans Montmartre que la pièce de Paul-Gérard Clair allait être jouée sur les boulevards, ce fut une telle stupéfaction que pas un de nous ne songea à le féliciter.
Le vieil amateur s’était ainsi offert à des prix raisonnables des Picasso, des Modigliani, des Utrillo, des Van Dongen, tous ces produits de Montmartre que dédaignaient les grands marchands…
Rares minutes où le bonheur vient nous visiter, comme un ami qu'on espérait plus revoir. Rares instants où l'on se souvient d'avoir été un homme, d'avoir été un maître, le plus puissant de tous : son maître. UN feu qui flambe, une table, une lampe, voici le passé qui revient…
Pareil aux enfants pauvres, qui se construisent des palais avec des bouts de planche, le soldat fait du bonheur avec tout ce qui traîne.
La guerre… Je vois des ruines, de la boue, des files d'hommes fourbus, des bistrots où l'on se bat pour des litres de vin, des gendarmes aux aguets, des troncs d'arbres déchiquetés et des croix de bois, des croix, des croix… Tout cela défile, se mêle, se confond. La guerre...
Comme c'est triste, un panorama de victoire ! La brume en cache encore des coins sous son suaire et je ne reconnais plus rien, sur cette vaste carte de terre retournée.
[...]
- Il y a vingt mille cadavres boches ici, s'est écrié le colonel, fier de nous.
Combien de Français ?
Il a fallu tenir dix jours sur ce morne chantier, se faire hacher par bataillons pour ajouter un bout de champ à notre victoire, un boyau éboulé, une ruine de bicoque. Mais je puis chercher, je ne reconnais plus rien. Les lieux où l'on a tant souffert sont tout pareils aux autres, perdus dans la grisaille comme s'il ne pouvait y avoir qu'un même aspect pour un même martyre. C'est là, quelque part... L'odeur fade des cadavres s'efface, on ne sent plus que le chlore, répandu autour des tonnes à eau. Mais moi,c'est dans ma tête, dans ma peau que j'emporte l'horrible haleine des morts. Elle est en moi, pour toujours : je connais maintenant l'odeur de la pitié.
Il ne reste plus, dans le monde, que quelques uns de ces îlots où, le passé survit. Du passé vivant, comme les archéologues, sous la pierre, retrouvent le passé mort. Ce ne sont pas des monnaies, des poteries, des armes, que le voyageur met ici à jour : ce sont des coutumes, des mœurs. (p. 109)
Ceci n'est pas un effet littéraire, mais une affirmation que nul ne peut contester. On dira au chasseur : « avec votre permis, vous n'avez le droit de tuer qu'un éléphant, un gaur et deux buffles », mqais personne n'a le pouvoir de dire à une riche compagnie : « la mortalité dans votre concession a dépassé trente pour cent, nous vous dépossédons au nom de l'humanité ». C'est pour cela que je m'indigne. (p. 48)
Il m’aime… un peu…beaucoup… » comme si elle effeuillait la marguerite. Ah ! tendres balivernes qui faisiez rêver les vétérans crédules et fleurir Madelon
sur les lèvres des conscrits. Ah ! les belles du front…
Comme la guerre sera jolie, racontée dans cent ans ! Ce sont toujours les mêmes histoires qu’on nous raconte, d’ailleurs, et cela se déroule dans le même village rose et bleu, dont les habitants marcottent des hortensias
au lieu de vendre de l’amadou au mètre