Masses critiques est le second romand de Ronan Gouézec qui me tombe entre les mains. Ronan Gouézec est finistérien et cela transpire dans ses écrits.
Un premier chapitre intitulé Corps et Biens : « Le filet s’écrase sur le plancher poisseux. Il glisse aussitôt hors de portée, tant le roulis est fort. Les paquets de mer arrivent, entassés en grand désordre de verts ténébreux, de gris charbonneux. De temps à autre une explosion mousseuse vient franger les voûtes de ces cathédrales romanes en folle procession. C’est une dentelle délicate et éphémère. Les lames se précipitent. Elles s’empilent, s’assemblent en blocs denses quasi solides. Un monticule liquide est en train de naître. C’est le rejeton boursouflé et gueulard d’une mer furibonde. Il n’en finit pas de s’édifier, de s’écrouler sur lui-même avant de rouler et de se reconstituer un peu plus loin, crachant et grondant. »
Une histoire poisseuse : entre une fratrie haineuse qui pratique la pêche illégale, René le restaurateur extorqué, et Marc, son ami d’enfance, conseiller financier, qui porte son obésité comme une colère en cocotte-minute.
Un croisé-décroisé entre tout ce petit monde, violent, iodé et sans concession.
Ronan Gouézec dépeint une atmosphère brestoise de bout du monde où la météo n’est guère tendre avec les autochtones. Morceaux choisis :
« Un grain subit roule vers lui en ronflant depuis le goulet, brouillant le regard retrouvé. Il vient s’abattre sur la ville et épuiser sa mauvause humeur. Cela ne durera pas. »
« Des rafales brèves mais puissantes annoncent un nouveau grain qui arrive en roulant des épaules lourdes et massives.
Il faut vite se mettre à l’abri. »
« Le gris de la mer s’est mué en un bleu ardoise très foncé, presque noir, moucheté de blanc. Il se fond dans le ciel sombre et très bas. Un clapot court et agressif s’est levé. »
« Des rayons de soleil industrieux et dardés cherchent à percer entre les masses cotonneuses lourdes et noires à leurs marges. Cela s’insère et se diffuse. C’est maintenant une lame incandescente et large qui se déploie et tranche dans la densité sombre. »
Un roman incisif, houleux, où la vengeance se déguste en fond de cale par 4 mètres de creux. Ça secoue !
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