Apprendre à voir et à écouter
« Vous avez décidé à soixante-dix-sept ans d’écrire votre vie, et vous dites que ce projet aura habité votre esprit comme une chauve-souris s’agrippe aux combles d’une vieille maison. Écrire comme elle vole, à l’aveugle, à l’estime et guidée par son propre cri ». Dans une adresse à Fernand Deligny, Sandrine Bourguignon donne corps à une biographie pleine de mots et d’images, d’enfants et d’adolescents, de miettes et d’un fil rouge.
Je souligne le rythme propre de l’autrice, la scansion des phrases, le choix des mots. Elle suit le fil d’une vie, fait sienne l’autre langue. Elle donne à lire la longue attente de l’enfance, l’écriture à l’intérieur « du trou du langage », le silence et les mots, les odeurs transformées en phrases, « Je ne fais pas une enquête sur votre vie, vous n’êtes ni coupable ni suspect et vous avez droit à vos jardins. Secrets »…
L’exil d’un enfant, la citadelle d’une enfance, la vie en contrebande, les traces qui persistent en nous, le monde construit contre l’égarement dans le monde, la découverte de l’asile, « Le nom d’un fou s’écrit partout », l’écriture comme une baleine blanche, la désertion, « Vous prenez la tangente et vous déviez. Dévissez », la brèche aux loups, l’ouverture d’une porte, la réparation de quelque chose, l’autre cours de la vie.
« Il faudrait pouvoir faire tourner la terre dans l’autre sens mais pour le moment, il y a cet oiseau, mauvais augure, qui insiste et revient taper à la fenêtre de votre existence ».
La vie continue, le cri retenu, le souffle au cœur du langage, les fantômes marchand vers la mer, l’écriture, le temps de l’Occupation, la vie à contresens, l’extermination douce des fous, l’écriture comme unique recours, « légitime défense », le ravissement du mot échappement, le bâti du monde et le béton des hommes.
Sandrine Bourguignon suit le parcours, « par un long détour, peut-être », le sens de l’humain, l’éradication des parasites de l’enfance, les conditions sociales des enfants, les tris et les vomissements, « Vous dites que c’est à vomir et vous vomissez », le je et le « nous anonyme », la force de l’imagination, l’être au monde comme poète, les acrobaties adaptatives et ceux qui ne les réussissent pas, l’écriture et Les Vagabonds Efficaces, les interstices dans le rétrécissement général des vies, la langue creusée, les ricochets, le changement de la lumière du monde, l’enfant autiste, les béances, l’usage de la camera et du film, les rencontres, les mots cailloux, le fil de l’existence perdue, l’enfant déserté, les autres boussoles pour d’autres points cardinaux, les rescapés… « Il est quatre trente du matin et c’est l’heure où vous mourrez ».
Un portrait au sens plein d’une représentation qui n’en reste pas à la surface.
L’imagination sans la violence de ceux qui forcent les portes.
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