Citations de Sarah Biasini (98)
La vie et la mort m'ont définie. Ma survie à la mort de mes plus proches. Ta naissance, par laquelle je renais aussi. Maintenant il n'y a plus qu'à vivre, mon Cœur. Ton cœur va battre. Mon cœur et ton cœur, ensemble.
Le narrateur prend la place du fils, le père se met à la place de son enfant. Je lis la douleur de quelqu'un d'autre que ma mère.
Ce matin, tu tombe de la table à langer. [...]
Le bruit sourd, mat, résonne dans mes oreilles. Je voudrais t'arracher à ses bras, dans lesquels tu as l'air si bien, persuadée, dans ma démesure, d'être la seule à pouvoir te soulager. Je me retiens heureusement mais je pars me frapper le visage dans le couloir. Me donner des claques pour que tu ne sois pas la seule à avoir mal, avoir plus mal que toi, t'enlever immédiatement la douleur, alors que tu ne pleures déjà plus. Parce que je m'en veux de n'avoir pas su t'éviter cette chute. Ton père est déjà malheureux. Il y aura tellement d'autres bosses, mais je vais jusque là.
À travers ta douleur, c'est la mienne que j'entends. J'ai l'impression que tu souffres plus que moi. Il n'en n'est rien. Je hurle, pas toi. Toi, tu découvres le monde. Moi, je le vis une deuxième fois. J'ai peur pour la deuxième fois.
Pour comprendre, mieux faire, je dois mettre au propre. M'empêcher d'avoir peur. Comment ne pas penser que les accidents, les mort prématurées arrivent, puisqu'ils existent déjà dans ma vie ? Comment ne pas paniquer, comment se convaincre que ça ne se reproduira plus ? (P.175)
Ne crois pas que je veuille coller une charge supplémentaire sur tes frêles épaules. Tu ne dois rien et je te dois tout. À qui je parle ? À vous deux en même temps.
C'est étrange de se dire au revoir alors que tout le monde est encore en vie. C'est une seconde nature chez nous. Prévoir le pire, dire les choses avant qu'il ne soit trop tard .
Je suis tantôt ta mère, tantôt ton enfant. Je voudrais être toi, petite à nouveau.
Pourquoi je t'écris ? Pourquoi cela devient- il un travail, un besoin, une nécessité absolue ? Je ne vais pas mourir. Pas tout de suite, pas dans un an, pas à quarante-quatre ans comme ma mère. Mais si jamais, je dois te laisser quelque chose de moi. J'ai si peu de ma mère, j'aurais voulu qu'elle aussi m'écrire, mais comment pouvait-elle imaginer ce qui allait suivre?
L'appeler " ma mère", il n'y a rien de plus beau. Personne à part moi ne peut le faire. Je ne vais pas m' en priver.
Moi, la chair de sa chair, j'ai intégré sa notoriété depuis belle lurette mais je voudrais toujours qu'elle soit à moi seule. Que personne d'autre ne la regarde, ne la nomme, ne prétende la connaître, n'écrive sur elle ou, pire encore, ne porte le même prénom.
Je ne parle pas l’allemand, je rejette cette langue… je ne veux pas l’apprendre. Avec qui la pratiquer aujourd’hui ?
J’essaie doucement de dire qu’ils n’y peuvent rien, que je ne pouvais pas, malgré tout leur amour, échapper au manque, que les morts manquent, par définition. Ils sont omniprésents.
Il y en a qui meurent sans être nés.
Un chagrin est unique pour celui qui l éprouve.
Faut il chercher des explications à tout ce qui arrive?
Comment voir et attraper les signes qui se présentent à nous.
Enfin, j’efface toutes photos inutiles dans mon téléphone. Les paysages, les pense-bêtes. Je fais place. Je trie, je jette, je donne tout ce que je peux de ma vie d’avant. Comme si tu allais me donner, par ma fonction de mère, une nouvelle identité. Comme lorsqu’on voyage dans un pays étranger. On rencontre des inconnus, on est soi-même étranger à leurs yeux. On peut donc être qui l’on veut. Une autre personne, avec plus d’audace, de courage, de qualités. Moins de faiblesses. Pour te montrer l’exemple. Nos petites actions disparaissent pour laisser place aux grandes à venir. Les enfants donnent l’occasion aux parents de se racheter une nouvelle conduite.
Ma mère vient de mourir. Monique se mobilise tout entière. Naturellement, elle déploie son énergie (et son instinct maternel) au service d’une enfant à moitié perdue. Elle se doit de me protéger, de prévenir la moindre douleur, de combler tous les manques.
Avec en plus le sentiment infini de la responsabilité. Une promesse qu’elle a peut-être faite en silence à ma mère disparue, pour sacraliser le moment. Donner un sens à cette nouvelle charge qui lui incombait, celle de m’aimer pour ceux qui étaient partis, en plus de son inclination naturelle envers moi. Aimer pour trois, pour quatre, pour dix et savoir d’emblée qu’elle en est capable. Elle a toutes les ressources nécessaires, sa fontaine d’amour maternel est intarissable.
Ma mère est inoubliable. Pour son travail d’actrice, pour les hommes qu’elle a aimés, pour la mort tragique de son premier enfant, son fils David, mon demi-frère, mon frère un point c’est tout. À peine un an avant sa mort à elle.
Personne ne veut oublier ma mère, à part moi. Tout le monde veut y penser, sauf moi. Personne ne pleurera autant que moi si je me mets à y penser.
La tombe est intacte, tout le monde a fait son travail, maintenant je dois faire le mien. Mon chéquier est dans la poche arrière gauche de mon jean. Je suis prête à payer, à régler mes comptes avec le passé, comme on dit si bien. Je fais mon devoir de fille. Je m’occupe de ma mère, je range sa mort à l’endroit où l’on a dû la laisser.
Je regarde la tombe sans la regarder. Elle me rappelle qu’elle a été vivante mais qu’elle ne l’est plus. Les deux états s’opposent et l’un met l’autre en exergue. Elle était vivante mais elle est morte mais elle était vivante mais elle est morte mais elle était…