Sarah Chiche, rencontrée et appréciée aux Correspondances de Manosque 2020, m’avait bien intrigué avec la présentation de son dernier roman : Saturne.
Cette écrivaine est aussi psychologue clinicienne et psychanalyste. Cela se ressent tout au long de cette autofiction qui m’a parfois passionné mais aussi, par moments, lassé, pour finalement me laisser une impression générale très positive.
La narratrice dont l’identité n’est jamais révélée, débute par un prologue qui marque le lecteur : la mort de son père, à 34 ans, d’un cancer foudroyant alors que sa fille n’a que quinze mois. Ensuite, personne ne lui dit à cette fille que son père est mort et cette terrible absence mettra des années à être assumée, la plongeant au plus bas d’une détresse que tous les antidépresseurs, les neuroleptiques et autres thymorégulateurs ne parviennent pas à guérir.
Toute la première partie de ce roman permet de faire connaissance avec la famille d’Harry, le père de la narratrice, qui a eu une enfance heureuse, en Algérie. L’autrice en profite pour recadrer l’historique de la colonisation et le rôle essentiel joué par les médecins, à la fin du XIXe siècle pour éradiquer les épidémies, comme le paludisme qui décimait la population.
Joseph, son grand-père, a épousé Louise, femme très riche. Médecin, il achète une clinique à Alger et bâtit sa fortune là-bas. Lorsque la violence s’abat sur les Européens désirant rester, la famille quitte l’Algérie et Joseph, aidé par des banquiers, recommence, crée une clinique qui devient prospère en cinq ans, le gouvernement favorisant le privé au détriment de l’hôpital public.
Entre temps, Armand et Harry, les enfants de Joseph et Louise, ont été envoyés en pension à Verneuil-sur-Avre. Leurs parents rêvent d’en faire des médecins pour consolider et poursuivre l’empire paternel. Si Armand réussit, Harry stagne, vit la nuit, joue au casino et rencontre cette femme aussi merveilleuse qu’intrigante : Ève, qui donnera le jour à la narratrice.
La rencontre entre Harry et Ève est un véritable coup de foudre mais rien n’est simple dans cette famille qui vit maintenant dans un château entre Louviers et Évreux. Les crises sont fréquentes, allant jusqu’à l’exclusion de Ève. À partir de là, Harry est au plus mal mais cela ne l’empêche pas d’épouser cette femme, enceinte, en décembre 1975. Harry est donc mort quelques mois après. Trois ans passent et son père décède de chagrin ; nous voilà donc, vingt-cinq ans plus tard dans une chambre d’hôtel…
Débute alors la seconde partie, en mai 2002, quand l’oncle Armand apprend à sa nièce la mort de Louise, la grand-mère, dont l’héritage est à partager. C’est le moment d’une grande introspection, de délires psychologiques subis par cette jeune femme après tant de non-dits, de coups bas familiaux, de silences. Louise, cette grand-mère qu’elle n’a plus revu depuis longtemps, elle ne lui a pas dit adieu et ce n’est qu’un des nombreux traumatismes qu’elle doit évacuer. Louise a été tuée deux fois, comme lui dit froidement son oncle : « C’est ta mère et toi qui l’avez tuée. Ta mère par haine, et toi par désespoir. »
Alors, la petite-fille sombre, honteuse, seule, et livre des pages que j’ai trouvées difficiles, pénibles mais finalement très réalistes, justifiant ce titre : Saturne.
Plutôt que le Saturne de la mythologie qui dévorait ses fils, de peur qu’ils prennent sa place, Saturne est, pour Sarah Chiche, « l’autre nom du lieu de l’écriture – le seul lieu où je puisse habiter. »
Cette planète froide, assimilée à l’automne et à la mélancolie, a bien failli engloutir cette fille privée si tôt de son père et traumatisée par les problèmes familiaux. Par la magie d’images de films super 8, elle a pu sortir de ce néant où elle était engloutie et réaliser son rêve : écrire.
Ce roman en est la preuve la plus tangible.
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