Serena Giuliano

J'ai roulé plus d'une heure vers le sud. J'arrive sur la côte amalfitaine. J'avais oublié la beauté de ces paysages. Je savoure le paysage et la route quasi déserte.

Si, dans mon travail, je fonctionne à l'instinct, dans ma vie, j'ai besoin de méthode.

Il est vrai que je refuse de parler ce abois que je trouve plutôt vulgaire; pour autant ai-je envie de renier à ce point mes racines ?

Les murs du couvent racontent des scènes de la vie napolitaine dans l'Antiquité. Les bancs, les piliers de jardin, ornés de citrons, les oliviers, les vignes, les arbres centenaires bercés par le vent qui y fait une douce mélodie semblable à une berceuse. ..Tout est comme dans mon souvenir, je m'installe au soleil, et je laisse la magie opérer.

Ce matin, les touristes sont rares. Nous sommes en semaine, et seulement au mois de mai; je retrouve donc immédiatement la paix que j'espérais.

Je passais des journées entières au chiostro maiolicato, au cœur du couvent, créé par Domenico Antonio Vaccaro. Ce lieu a quelque chose de magique qui m'apaisait énormément. Lorsque j'en avais assez du bruit de cette ville, je venais me réfugier ici, quelque part entre les soixante-douze piliers de cet édifice hors du temps. Je me déplaçais avec le soleil, soit pour le fuir, soit pour m'en gorger.

J'arrive au monastère de Santa Chiara pile au moment de l'ouverture.

Leur mère a fait un babbà, et il en raffole.

- Tu te souviens quand tu m'appelais Luna chiara, Gina ?
- Bien sûr ! Quand tu souriais, tu étais si lumineuse...Une vraie lune d'été, claire, sans nuages.
- Tu ne m'appelles plus comme ça.
- Parce que tes yeux se sont assombris, et que ton cœur est en hiver, me répond-elle.

Je me rappelle lui avoir demandé pourquoi elle était aussi calme un jour comme celui-ci. "Parce que je fais le bon choix", m'avait-elle répondu en m'embrassant sur le front. "Je n'ai jamais été plus sereine qu'à cet instant précis. Je l'aime, Luna chiara, et il est l'homme de ma vie. Quand ce sera ton tour, si je te vois avoir peur, je te dirai de fuir !"

- Je t'ai préparé ton plat préféré : spaghetti a vongole !

C'est étrange de revenir ici, en plein cœur de Naples. Rien n'a vraiment changé. Les façades étaient déjà dans un sale état il y a trente ans; on se demande comment elles tiennent encore debout. On dirait de vieilles âmes abîmées par la vie, dont personne ne s'occupe. Les bennes à ordures dégueulent sur les trottoirs. L'odeur des immondices d'un côté, et d'un autre, celle du linge propre qui sèche aux fenêtres.

N'oublie pas que O cane mozzeca 'o stracciato. "Le chien mord le mendiant", lui rappelle-t-elle, pour dire que le destin a tendance à s'acharner sur ceux qui vont déjà mal.

Adda passà ' a nuttata. "La nuit doit passer", me dit-elle. C'est un proverbe italien qui signifie que ce mauvais moment finira tôt ou tard.

En face, c'est comme si le Vésuve me fixait.

J'ôte mes baskets pour sentir le sable frais sous mes pieds. La mer...la seule chose qui me manque à Milan. Le calme qu'elle peut apporter partout, même ici, même à Naples. (Elle est décidément plus froide que la pisse de Filomena.) Elle me fait du bien. Son bruit m'apaise instantanément.

FRANCESCA : Je ne comprendrai jamais Luna..Le palazzo Donn'Anna, quoi ! Une institution ! Je REVE de visiter l'intérieur, et je me damnerais pour y vivre !
FATIMA : Est-ce que tu sais que la légende dit que, lorsqu'il était habité par la reine Giovanna, elle y recevait ses amants, et qu'ensuite, une fois sa petite affaire terminée, elle les jetait de sa fenêtre à la mer ? En voilà une qui avait déjà essayé de renverser le patriarcat !

Ce groupe, c'est un peu un carnet de bord, où l'on vient déposer des pensées, des émotions. C'est décousu, il n'y a pas vraiment de fil rouge, si ce n'est ce lien qui nous unit depuis plusieurs années maintenant. C'est brut, sans filtre, sincère. On se dit tout. Enfin...presque tout.

Ils parlaient un italien parfait alors que nous ne pratiquions que le napolitain.

Nous passions d'un petit appartement sombre, dans un vieux quartier malfamé de Naples, à ce palais sublime, l'un des plus beaux de la ville, perché sur un rocher au-dessus de la Méditerranée.