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Critiques de Shôhei Ôoka (28)
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L'ombre des fleurs

L'ombre des fleurs nous brosse le portrait d'une femme dans Ginza d'après-guerre. Yôko est entraineuse dans les bars. D'amant en protecteur, elle peine à trouver sa place, son équilibre. Les années ont passé et la quarantaine approche, un âge déjà bien avancé pour travailler dans les bars. Elle tente d'oublier en étant ivre presque tous les soirs. Elle tentera bien de vivre dans un petit appartement payé par un professeur, mais il retournera bien vite vers sa femme et sa fille malade. Un autre jeune premier profitera d'une femme expérimentée un temps, puis un ancien client directeur d'usine, qu'elle n'a pas vu depuis 20 ans lui fera miroiter un travail dans une charmante auberge ...







Amasser de l'argent ou se marier avec un riche mari protecteur est l'ambition de toutes ces femmes. Mais Yôko se refuse aux compromis, puis l'âge et l'alcool la rongent. Les bars de Ginza accélèrent ce processus de vieillissement. Elle n'arrive pas à se décider : se marier, se faire offrir un bar ?



L'ombre des fleurs est aussi le portrait de femmes dans le Japon des années 1950:



Yôko a connu beaucoup de succès auprès des hommes, femme entretenue, elle parait plutôt désintéressée, Altruiste et souvent un simple rouage des manipulations de Jun. Elle est attachée à Takashima, et ne veut pas l'abandonner malgré qu'il ait perdu richesse, jeunesse, elle lui voue une dévotion à sens unique. Alcoolique pour supporter ce quotidien sordide et se trouve contraint d'entretenir ses amants. Takashima vient la voir pour régler ces dettes de jeu, puis manger. Elle se révolte quelquefois, contre Shimizu qui apparaît comme un voleur. Si elle veut réussir quelque chose : c'est son suicide qu'elle prépare avec un soin particulier. Elle ne prendra pas conseil auprès d'elle pour une fois.



Jenku attiré par l'argent et la richesse qui manoeuvre sans vergogne Yôko et Takashima à sa convenance, mais qui reste malgré tout assez malheureuse. Elle comprend les changements qui ont lieu dans Ginza et les utilisent à son avantage. Malade elle n'arrive pas à décrocher, peur de dépenser son argent pour des soins, et de vivre loin de ses bars, ou elle n'a que peu de confiance dans les gens qui l'entourent.



Mais également un portrait des hommes sans scrupule, profiteur; égoïste. Lâche malgré des paroles mielleuses, qui vont prendre "elle commençait à comprendre qu'un homme a beau verser des larmes et se prosterner sur les tatamis, quand il arrivait à ses fins, la femme, elle, se retrouvait seule avec ses sentiments" , "Matsuzaki regardait la pente désespérément vide. Yôko fût-elle une fleur éphémère, à défaut de la cueillir, il lui suffirait d'avoir foulé son ombre, songea-t-il."



Un roman poignant qui nous entraîne à Ginza, partagé le quotidien des femmes dans l'après-guerre. Un portrait touchant plein de sensibilités et emprunt de fatalisme de cette femme éphémère Yôko. On retrouve comme dans les feux, une superbe écriture et des portraits psychologiques très dense.
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L'ombre des fleurs

Un excellent roman qui gagne à être lu. C’était un auteur que je ne connaissais pas, et je suis bien content de l’avoir découvert avec cette histoire qui est racontée avec brio et génialement traduite.
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L'ombre des fleurs

Ce roman se présente comme le portrait d’une femme, Yôko. Elle a été abandonnée par sa mère, et adoptée par sa belle-mère, qui l’a amenée avec elle après avoir quitté le père de Yôko. Cette dernière utilise ses charmes pour vivre, hôtesse de bar, elle se fait entretenir par des hommes, enfin quand elle en trouve un. Sa première jeunesse est passée, et son travail lui paraît de plus en plus difficile et fatiguant, elle trouve la consolation dans l’alcool et le sexe, comme une fuite en avant.



Très beau livre, avec cette description tout en finesse d’une femme à la dérive. Yôko n’a pas de point d’appui pour construire dans sa vie, elle se laisse flotter tout en ayant conscience d’être de plus en plus en train de sombrer. Sans aucun apitoiement sur son héroïne, d’une façon quasi clinique, mais élégante et qui ne manque pas d’une certaine poésie mélancolique, Shōhei Ōoka accompagne Yôko dans sa lente séparation d’avec le monde. Un livre doux amer, sur la solitude, la perte de la jeunesse, et la perte des illusions, même de celles qu’on ne pensait plus avoir. C’est par moments terrible, par moments plus tendre, mais toujours touchant et juste.

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L'ombre des fleurs

Récompensé par le prix Shichosha en 1961, L'éloge des fleurs dresse le portrait magnifique et mélancolique de Yôko.



Entraîneuse dans les bars du Ginza d'après-guerre, cette femme blasée, à la recherche d'hommes pour subvenir à ses besoins, a laissé sa jeunesse et la fraîcheur de sa beauté dans ce milieu particulier, peu propice au plein épanouissement. Au contraire, les fleurs du titre s'y fanent plus vite qu'ailleurs.



Ôoka Shohei signe également avec son récit un roman social sur le Japon des années cinquante, qui se relève de la défaite. Roman des conditions des femmes esseulées tenues à assurer leur (sur)vie; roman des hommes qui passent dans la vie de Yôko... un petit tour et puis s'en vont. Reste l'alcool pour tenir encore un peu, ne plus voir la réalité dans toute sa crudité. Ou cruauté au choix.



L'éloge des fleurs laisse dans l'esprit une empreinte certaine, marquée d'amertume et de mélancolie. Comme la fragrance douceâtre d'une belle fleur qui, coupée, déjà se corrompt.
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La Dame de Musashino

Grand spécialiste et traducteur De Stendhal, Ooka Shohei nous raconte dans le climat du Japon d'après-guerre une histoire psychologique d'inspiration stendhalienne.

Dans la campagne japonaise, le Crû, une région qui aujourd'hui fait partie de la banlieue de Tokyo, les protagonistes sont deux couples et un jeune homme . L'un des maris , Akiyama, universitaire et spécialiste De Stendhal a des vues sur Tomiko, la femme de l'autre couple. Alors que la femme d'Akiyama , Michiko, et la même Tomiko sont fatalement attirées par le jeune homme de vingt-quatre ans, qui rentre de la guerre. Il s'appelle Tsutomu , cousin de Michiko, il a vingt-quatre ans et pour lui les choses sont un peu plus compliquées. On y suit un chassé-croisé amoureux psychologiquement très fouillé , assez atypique pour un roman japonais, vu l'ambiance libertine qui y règne à une époque où pudeur et pressions sociales sont de norme au Japon. Shohei justifie ce vent de liberté par l'influence occidentale sur le Japon moderne suite à l'affaissement des valeurs traditionnelles consécutif à la fin de l'Empire. L'histoire est basée sur les conditions sociales de l'adultère qui considéré comme un crime sera aboli par le nouveau Code civile après la guerre , une nouvelle étape dans l'émancipation de la femme, et l'expression symbolique de l'effondrement de l'ancien système familiale du Japon. le sentiment amoureux y est intellectualisé, « leur amour grandit donc à partir de la conscience qu'ils avaient chacun d'être amoureux….à sa manière l'amour est un produit de culture et la prise de conscience individuelle y marque une étape dont on ne saurait sous-estimer l'importance.”

Ce roman est aussi une large fresque du Japon de l'après-guerre plein d'amertume, où les hommes s'agrippent au communisme sans grande conviction . L' ensemble est enrichi de magnifiques descriptions d'une nature exubérante, et du fameux Mont Fuji, qui dans le Japon shintoïste sont des symboles qui assouvissent croyances et superstitions, « Tsutomu voyait dans ce cône parfait* le symbole même de l'amour eternel ». Et il termine en apnée, avec une petite intrigue qui mettra les pendules à l'heure et une pique qui plaira aux féministes 😁!

Un auteur que je viens de découvrir sans me souvenir d'où je l'ai déniché ni acheté. En tout cas un excellent roman d'analyse. Un bémol, la traduction n'est pas terrible.



« La littérature qu'il enseignait le tenait prisonnier: professeur, il était pour toujours en dehors de la vie réelle. »



*Mont Fuji



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La Dame de Musashino

La dame de Musashino, nous raconte l’histoire d’un amour malheureux après la capitulation du Japon. Une période charnière du japon sert de base à ce drame : des mentalités qui évoluent, les lois sur l’héritage, la dépénalisation de l’adultère, le marasme économique. Dans l’exergue de ce roman, une citation de Raymond Radiguet : »Les mouvements d’un coeur comme celui de la comtesse d’Orgel sont-ils surannés ? ».





Ce roman est sous le style de Stendhal et de Radiguet, il met en scène Tsutomu, un soldat démobilisé amoureux de sa cousine Michiko, héritière d’un domaine élevée dans les traditions. Michiko reste fidèle à son mari malgré le désamour qui les unit.



Mais ce n’est pas le seul chassé croisé amoureux, nous avons des relations adultères entre Akiyama le mari de Michiko avec Tomiko, Akiyama est dépeint comme un spécialiste de littérature française, il va calquer ses comportements aux héros de Stendhal.



L’auteur nous fait une analyse psychologique très fine de chacun des protagonistes de ce drame avec un regard pénétrant sur la nature humaine et des conventions sociales et culturel du Japon d’après guerre..



Mizoguchi a réalisé une adaptation cinématographique ‘Lady Musashino’ (武蔵野夫人,Musashino fujin) en 1951.



« La dame de Musashino » reflète de la société de l’après guerre à travers ces relations extra conjugales, mais malgré le caractère humoristique de certains personnages, a un petit goût de vaudeville, J’ai eu une peu de mal avec les noms des protagonistes qui ne sont pas nombreux pourtant. J’ai moins apprécié ce roman que L’ombre des fleurs ou les feux. Mais ce roman est peut-être à mettre en correspondance avec l’actualité de l’époque (Dépénalisation de l’adultère, 1949 ?) dont il est fait référence dans ce roman.
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La Dame de Musashino

Je descends du bus. Comme un étranger, je regarde autour de moi. La terre, les fleurs sauvages. Puis mes yeux s'élèvent doucement, une foule disciplinée en ligne droite venue marcher, prier, communier. Je lève la tête encore un peu plus, le cou s'étire comme les nuages au loin. Un rayon de soleil me caresse la nuque, je me retourne légèrement et là je le vois. Je suis frappé, de stupéfaction, de beauté, de reconnaissance : le mont Fuji s'offre à moi, à mon cœur, à mon âme. De son sommet, j'observe l'horizon, je vois la ligne de chemin de fer s'aligner le long des collines, celle des lacs de Tama où je me verrais bien manger de l'anguille grillée. Je vois la Combe-Aux-Amours, nom prédestiné aux rencontres clandestines mais les histoires d'Amour finissent... Je vois la Dame de Musashino, dans son kimono fleuri, ceinturé de son bleu obi.



Au Crû, qui l'eut cru, ce lieu-dit dans le lit de la Nogawa, une histoire d'amour dans les temps d'après-guerre du Japon. Une histoire d'adultère ou de libertinage, quand en même temps l'on discute sur la dépénalisation de ces coucheries extra-conjugales, comme sorties d'un roman de Stendhal. Moi Stendhal, je ne connais pas, mais je t'invite d'ors-et-déjà à lire Les Feux du même Ôoka, voilà pour ma digression littéraire. Revenons à la lune bleue qui illumine cette nuit le Mont Fuji, deux couples, un jeune cousin revenant de la guerre. Le décor est planté, quel décor ! Si beau, que même sur un papier jauni, j'en suis ému, de souvenirs et de désirs.



Face au Mont Fuji, ainsi je garde le silence, son regard planté dans mon cœur. Quand les mots s'envolent au vent de la passion, il reste le silence. Celui de l'amour, celui de la mort. C'est donc dans cette parfaite quiétude que je suis les inquiétudes amoureuses de ce jeune cousin au cœur décousu comme les cicatrices de la guerre, devant les sourires attendrissants de ces dames, devant les esprits retords de ces messieurs, devant les flacons de saké qui se vident, les fleurs de cerisier qui s'envolent.



Un roman d'un autre temps, où la mélancolie de l'Amour prédomine et auquel les cinéphiles peuvent avoir leur version signée Mizoguchi. D'un rouge pivoine, le soleil se couche. D'un noir obscur, les nuages s’amoncellent. Le ciel gronde, les cœurs s'ébattent. Que suis-je en train de faire ? Un moment de folie, un moment d'égarement ? Aux égards du Mont Fuji, je passerai ma main dans les pans de ton kimono, pendant qu'un air de Chopin caresse l'âme de ton sexe. Souvenir éternel.
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Les Feux

Un soldat japonais est abandonné en 44 par son commandement sur une île des Philippines. Ce voyage au bout de l'enfer made in Japan surprend par sa portée universelle tant le désespoir et la volonté de vivre de Tamura rejoignent ceux de tous ces soldats engagés dans des conflits qui les dépassent. Intellectuel peu porté sur le hara-kiri, son humanité sera mise à l'épreuve à plusieurs reprises mais toujours une petite lumière brûlera en lui. Roman de la souffrance extrême, "Les feux" peut se comprendre aussi comme une célébration de la vie et un pamphlet anti-militariste sans concession. Fort !
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Les Feux

"Finalement, ils étaient comme moi des rebuts abandonnés par leur compagnie vaincue. [...] on aurait dit des animaux plutôt que des êtres humains."  (P. 42-3)

Tamura est l'un de ces soldats japonais abandonnés sur une île au cours de la Guerre du Pacifique. Il erre depuis que son chef lui a conseillé de crever. En effet nombreux sont les soldats japonais qui n'ont rien à manger, sans chef, sans ordres, sans ravitaillement. Où se trouve donc l'organisation et la rigueur qu'on prête au peuple japonais ? 

C'est en ce sens une découverte qui bouscula le lecteur que je suis. 

N'y cherchez pas les scènes d'action les scènes de combat...Non, il ne s'agit que d'une longue errance, l'errance d'un homme taraudé par la faim, miné par la défaite, un homme à la recherche d'autres combattants, à la recherche des siens. 

Tamura, du reste, n'a pas l'âme d'un combattant, comment donc pourrait-il avoir envie de se battre. Il est seul, il ne rencontre que des cadavres, certains dont les fesses ont été découpées et mangées par d'autres soldats, comme lui, abandonnés par leur hiérarchie. Lui est sans aucun doute bien plus humain que les autres, car il se refuse à  de telles pratiques. Et pourtant.....Je ne vous raconterai pas. 

Corps en décomposition, corps découpés, vidés, pourrissants ...heureusement que ce corps affamé est guidé par un esprit sain, qui refuse les ignominies. 

Ces descriptions de corps, de souffrance ne servent en fait qu'à dépeindre l'âme humaine, l'âme de certains capables du pire pour satisfaire leur corps, et l'âme d'autres, incarnés par Tamura qui malgré la tentation de la faim résistera.

Cet esprit sain souffre bien sur, voire surtout, du comportement des autres soldats, de certains chefs; des ignominies que de nombreux soldats, voire de nombreux chefs sont capables de commettre, de l'inhumain qui est est en eux. 

Mais restera-il un esprit sain?

Un beau coup de coeur !
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Les Feux

Voici donc un livre de Shôhei Ôoka (1909-1988), auteur réputé pour ses écrits et qui a remporté le prix Yomiuri en 1951 pour ce roman. Il a écrit ce livre, fortement inspiré de son propre vécu, sur la survie de l’homme et ses capacités à faire face à la solitude et la faim. J’ai trouvé ce livre très marquant, d’une part car il traite de la défaite de l’armée japonaise et de la difficulté de ses soldats à respecter le code d’honneur ou simplement de survivre et d’autre part de la dégradation psychologique de l’homme dans cette situation.



Le style est très agréable, on plonge doucement dans l’univers de Tamura à travers ses pensées, ses critiques envers l’armée, la vie et lui-même. On est saisit par sa volonté dans sa lutte pour garder son humanité. On éprouve une compassion pour ces soldats, abandonnés, dépouillés et affamés qui ne pensent plus qu’à une chose…survivre. L’auteur nous fait partager les doutes avec beaucoup de sensibilité et on arrive à se poser la question ‘Et s’y c’était moi ? »



La situation de détresse est telle que l’on découvre l’effroyable passage à des actes de cannibalisme, ce que l’auteur décrit avec prudence. Ce qui est étonnant c’est que l’on éprouve pas véritablement de malaise à la lecture du livre, mais plutôt une forte compassion et beaucoup de tristesse.



Le livre est découpé en chapitre et on sent toute l’inspiration de la littérature européenne dans sa construction, mais la plume japonaise est bien présente ;-) .



J’ai bien aimé ce livre et j’ai envie de découvrir un peu plus l’oeuvre de Shôhei Ôoka, notamment Reite senki, relatant la bataille de Leyte.



Mon petit point positif :



L ‘auteur à travers ce livre met en avant son témoignage sur l’horreur de la guerre et rappelle que pour beaucoup de soldats n’ont pas choisit de la faire mais que tous en ont souffert.
Lien : http://www.tamisier.eu/les-f..
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Les Feux

Tamura n’est qu’un simple soldat, engagé dans un conflit perdu d’avance, dans une guerre qu’il ne comprend même pas. Il se demande pourquoi il se retrouve au milieu de cette jungle philippine. La fin de la seconde guerre mondiale est proche, les forces japonaises sont en déroute sur ces îles philippines. Atteint du béribéri, Tamura est rejeté de sa compagnie. Ses chefs le somment de rejoindre l’hôpital militaire basé sur cette île et l’interdisent formellement de revenir au sein de sa compagnie. Sans nourriture à proposer, Tamura est tout simplement rejeté de l’hôpital. Il se retrouve donc abandonner, seul sur cette île. Il devra errer à la recherche de compagnons de (in)fortune, à la recherche de quelques misérables victuailles pour survivre. Une quête va débuter pour ce simple soldat : celle de l’humain fermement décidé à survivre dans un environnement hostile, celle d’un jeune homme inéluctablement marqué à tout jamais par toutes les horreurs d’une guerre qui posent un cruel dilemme ; vaut-il mieux survire ou mourir en ces lieux si sombres, si miséreux ?



Ce roman de Shôhei Ôoka a longuement « traîné » au milieu de ma bibliothèque. Une impulsion indéfinissable m’avait poussé à acquérir ce livre, mais une fois en ma possession, j’ai pris mon temps avant d’oser l’ouvrir. Une peur m’avait envahi, celle de trouver une histoire trop réfléchie, trop cruelle, trop « crue ». Il m’aura fallu plus d’un an pour trouver le courage de m’investir dans les mémoires de ce jeune Tamura. A la fin de ce roman, je comprends mieux la bivalence de mes sentiments : attrait et répulsion, tel est la dualité de mon esprit à ce moment-là.



Le drame de Tamura est celui d’être né Homme. L’humanité, dans toute son horreur, est présentée ici de manière extrêmement cruelle. Rien ne sera épargné au lecteur, mais après tout, qu’est-ce que la guerre ? Le massacre d’êtres humains, les charniers au détour d’une colline, la faim, la soif, la solitude, la peur : les images sont fortes et extrêmes, les odeurs sont puissantes et tenaces. Bien que présentes dans l’esprit de ce jeune soldat, les hallucinations ont ce côté « imaginaire », mais est-ce réellement des hallucinations ? Il a peur de mourir, mais encore plus peur de vivre et de découvrir toutes ces horreurs.



Jamais un roman m’avait autant bouleversé. Je ne suis pas loin de la nausée, le cœur bien accroché à mon estomac, prêt à rendre toute la bile qui me reste. La guerre est certes une tragédie, mais ce roman l’est bien plus. Il s’enfonce encore plus loin dans les réflexions sombres sur l’âme humaine, à savoir le cannibalisme. Voilà, le mot est lâché... Dois-je me sentir soulager d’en parler ? L’Homme est barbare et la survie de chaque individualité l’est encore plus. Au nom de quoi ? au nom d’une guerre orchestrée par quelques puissants et au détriment d’un peuple...
Lien : http://leranchsansnom.free.fr/
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Les Feux

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Les Feux

Et voici un nouveau roman sur la guerre bouleversant, effrayant et si révoltant. Et pourtant, parler seulement de roman de guerre serait limiter le talent immense de Shôhei Ôoka qui avec ce roman qui m'a emmené à différentes reprises nous pousse à revoir ses limites de la mort et de la préciosité d'une vie humaine. En effet, ce roman parle d'une âme errante qui doit mourir sur cette île philippienne, abandonnée par son armée en manque de vivre et son hôpital surchargé. Alors Tamura erre dans l'île sans savoir vraiment où aller : il suit son instinct qui le dirige vers les feux de camps et les églises. Mais celui-ci est persuadé qu'il va mourir et sa perception du risque et des décisions à prendre sont alors très différentes. Enfin, à travers ce personnage complexe et si intéressant, Ôoka nous montre à quel point cette 2nd guerre mondiale a détruit des âmes avec la totale perte de collectivité, la montée de l'égoïsme, du vice et de l'envie qui poussent au cannibalisme. Et puis ces soldats sont seuls et le resteront sûrement pour toujours... Des âmes détraquées qui viennent pourtant remettre en question notre perception de la mort, voici un des grands sujets de ce roman incroyable qui révoltera chaque partie de votre corps ! un véritable chef-d'oeuvre sur la guerre !
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Les Feux

Cette ballade d'un soldat japonnais coupé de son unité n'a rien d'une partie de campagne.L'île de Leyte ayant été reprise par les américains en 1944, des soldats vaincus errent sans but mais surtout sans ravitaillement et sans espoir.



L'homme ordinaire Tamura dans la solitude et la faim, entre rêve et réalité trouvera du réconfort dans le souvenir des femmes aimées et de la religion de son enfance.

Dans ces conditions extrêmes les réflexes primaires vont reprendre le dessus, l'altruisme initial laisse place à l'instinct de survie. Tamura va être confronté à deux des tabous ultimes de l'espèce humaine : le meurtre et le cannibalisme. Un des enjeux du livre est de savoir ce qui peut faire basculer l'homme et si la rédemption est possible, peut on aussi juger du comportement d'un homme mis dans une situation désespérée ? qui est le plus fou ? celui qui survit à tout prix ou celui qui le juge depuis un confortable fauteuil ?

Voilà un livre qui n'est guère aimable mais qui pose des questions majeures sur l'Homme.
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Les Feux

Des livres comme cela il y en a peu. Des livres comme un uppercut dans l’estomac du lecteur.

Les Feux est un livre de guerre, inspiré de l’expérience de l’auteur. Mais c’est un livre de guerre comme on en lit peu. D’abord parce qu’il se passe aux Philippines, théâtre d’affrontements entre l’armée japonaise et l’armée américaine, un pan de la Seconde guerre mondiale rarement évoqué chez nous. Ensuite parce que ce n’est pas un roman de guerre à proprement parler. Ce ne sont pas les combats qui sont décrits, c’est la défaite et la déroute. Un sujet rarement traîté, ou alors pour montrer la grandeur des vaincus. Ici, aucune de ces fioritures, c’est la déroute dans tout ce qu’elle a de plus brutal qui est décrite à travers l’errance du soldat Tamura.

En lisant, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce roman était japonais jusque dans ses moindres mots. J’ai du mal à expliquer cela mais j’ai cherché à comprendre d’où venait ce sentiment, et je crois qu’il a deux origines. D’abord la capacité à faire se côtoyer le plus beau (un paysage, une lumière…) et le plus laid (un cadavre en décomposition, une blessure purulente…). Les descriptions sont faites avec une économie de mots et une factualité jamais démenties, mais surtout elles peuvent passer du beau au laid sans transition, pas même en changeant de paragraphe ou de phrase, mais parfois dans la même phrase, la même ligne. Cela crée un sentiment de malaise que je retrouve dans certaines nouvelles de [[Kawabata]]. Autre chose qui m’a paru très japonais, c’est la description sans fard de la défaite dans ce qu’elle a de plus humiliant, de plus terre à terre. Il n’y a ici aucune velléité d’enjoliver la réalité ou de cacher ses aspects les plus sombres. Tout est mis sur la table, au lecteur de se débrouiller avec cela. On est loin des héros défaits ou même des anti-héros, Tamura n’est qu’un soldat ordinaire avec, comme le suggère l’auteur, un comportement ordinaire dans ce genre de circonstances. On est loin de l’imagerie occidentale, plongés directement dans le traumatisme difficile à imaginer pour nous, de la défaite japonaise qui marque aussi l’effondrement d’une conception du monde. Pas de collectif ici, non plus, c’est chacun pour soi et la solidarité n’existe que si elle est intéressée.

Ce livre est extrêmement dérangeant, il fait voler en éclat les stéréotypes ou les visions romantisées de la guerre, il nous égare dans les méandres de la survie la plus élémentaire, là où les questions morales n’ont plus lieu d’être, il nous entraîne dans les forêts denses et les marais boueux de l’île de Leyte, dans lesquels il nous laisse englués et sans espoir de s’en remettre. Un livre dur, impressionnant, où la force du propos contraste avec la simplicité du style, où l’apparente neutralité des descriptions cache un réquisitoire féroce contre l’inhumanité de la guerre, de toutes les guerres. Un livre indispensable.
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Les Feux

« Je reçus une gifle. » C’est la 1ère phrase du roman de Shohei Ooka. C’est aussi ce que ressens le lecteur qui arrive à la fin des « feux ».



« Les feux » n’est pas un roman de guerre comme les autres. D’ailleurs peut-on vraiment le qualifier de roman de guerre. Les combats ne sont pas au cœur de l’intrigue. Il faut dire que le récit prend comme contexte la déroute de l’armée japonaise dans les Philippines après la défaite de Leyte en 44. Il y a très peu d’action dans « les feux », le roman est assez contemplatif et, en adéquation avec ce que vit son personnage principal, ressemble à une errance. Très inspiré de ses souvenirs personnels, Ooka livre un roman très singulier, étrangement poignant.



« Les feux » offre une lecture très particulière. C’est une expérience très sensorielle. Si parfois Tamura pense, réfléchit, la plupart du temps il n’est qu’un corps, quasiment réduit à une forme d’animalité. Il s’agit ici de survivre, et dans des conditions extrêmes la survie de l’esprit est conditionnée par la survie du corps. La faim, terrible, intense, qui creuse les joues et le ventre, qui conduit à la folie, est le véritable ennemi, la principale préoccupation.

Tout au long du roman, il est beaucoup question des corps, des sensations physiques. D’ailleurs, l’auteur utilise énormément les mots relatifs aux sens : voir, entendre, sentir… S’il place le corps, dans tous ses aspects même les plus triviaux, au centre du récit, « les feux » est un roman qui a du cœur et de l’esprit. En parlant des corps, celui de Tamura, mais aussi ceux des autres, morts ou mourants, Ooka parvient à parler de l’âme humaine.



Le lecteur est amené à réfléchir, notamment à s’interroger sur la responsabilité individuelle dans un fait collectif. S’il n’apporte pas de réponse, Ooka pose la problématique de façon brillante. Mais si l’intellect du lecteur est stimulé, le roman touche d’abord au cœur et aux tripes. On est constamment collé aux basques de Tamura, on ne le quitte jamais, partageant son errance, sa solitude, ses souffrances. Le premier sentiment qu’éprouve le lecteur c’est la compassion la plus entière. Face à tant de douleurs et de souffrances, on pardonne tout à Tamura, même le pire.



« Les feux » est plus qu’un roman qui traite de la 2nde Guerre Mondiale vue du côté des japonais, « les feux » est un roman au propos universel. C’est de toutes les guerres qu’il est question. Qu’il soit du « bon » ou du « mauvais » côté, vainqueur ou vaincu, le soldat est un soldat, un Homme confronté au pire de l’Homme, confronté au pire de lui-même aussi.



Je remercie Babelio et les éditions Autrement pour m’avoir permis, dans le cadre de la masse critique, de découvrir une œuvre si puissante. « Les feux se hisse au niveau des plus grandes œuvres antimilitaristes.



Tout bien réfléchi, « les feux » n’est pas un roman qui fout une claque, c’est un roman qui saisit le lecteur et, petit à petit, resserre son étreinte de plus en plus fort, jusqu’à l’oppresser, le faire suffoquer. C’est encore plus fort qu’une gifle.

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Les Feux

Voilà certainement l'un des livres les plus puissants que j'ai lus, tous genres confondus.



Si il existe de multiples récits et ouvrages sur la Bataille du Pacifique, il reste relativement rare d'en trouver un sur la perspective japonaise sous nos latitudes, mais celui-ci suffit à tout le reste.

L'auteur a beau avoir dit tout au long de sa vie qu'il avait écrit une fiction, tout dedans y trahit la vérité pure, celle vue et ressentie. Ce qui est fascinant dans cette plongée en enfer, c'est qu'il n'y a pas de bien ou de mal, il n'y a même pas presque pas de guerre, juste la folie et l'instinct de survie qui aveugle tout. C'est une plaidoirie pour la paix qui n'argumente ni ne dénonce, mais se contente de montrer la réalité nue dans toute son atrocité.



A lire absolument, un très grand roman qui mériterait d'être redécouvert.
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Les Feux

Première partie d'une chronique portant aussi sur les deux adaptations cinématographiques du roman : http://nebalestuncon.over-blog.com/2019/03/les-feux-de-shohei-ooka/feux-dans-la-plaine-de-kon-ichikawa/fires-on-the-plain-de-shinya-tsukamoto.html



Je vais retenter la même expérience que pour Narayama il y a quelque temps de cela, en chroniquant en même temps un roman japonais, en l’espèce Les Feux (Nobi 野火) d’Ôoka Shôhei, datant de 1952, et ses deux adaptations cinématographiques japonaises, tout d’abord Feux dans la plaine, d’Ichikawa Kon (1959), et ensuite, bien plus récente, Fires on the Plain, de Tsukamoto Shinya (2014).







Et attention, les gens : si parler de SPOILERS est à vue de nez un peu étrange pour ce roman et ces films, je vais, dans cet article, révéler des éléments cruciaux du récit – alors à vous de voir…







À l’origine, il y avait donc un livre : Les Feux, roman d’Ôoka Shôhei, paru en 1952, et qui a considérablement marqué la littérature japonaise de son temps en envoyant aux orties un certain nombre de tabous. C’est que l’auteur y revenait sur son expérience de la guerre, et des atrocités qui lui étaient liées. Or, à cette époque, c’était là un sujet très difficile à traiter au Japon : les Japonais n’étaient guère disposés à revenir sur ce qui, pour eux, avait constitué une humiliante défaite, et encore moins enclins à mettre dans la balance les crimes commis par l’armée japonaise, en son sein mais plus encore contre les populations conquises (à vrai dire, sur ce point, c'est toujours compliqué aujourd'hui...) – et, durant les années qui ont suivi immédiatement la capitulation, les autorités d’occupation américaines préféraient de même que l’on évite de traiter de certains sujets jugés trop noirs et dangereux en étant tournés vers le passé, là où il valait bien mieux « construire ensemble » un avenir plus lumineux et démocratique : la censure pouvait donc se montrer très sévère.







Ôoka Shôhei, critique et spécialiste de la littérature française (notamment de Stendhal), a combattu sur le front : il a été appelé courant 1944, alors que la situation était déjà catastrophique pour le Japon depuis bien deux ans, et, après une formation hâtive, il a été envoyé sur le théâtre d’opérations philippin, qui devait sceller le sort de l’armée japonaise : fin 1944, début 1945, les Américains et les partisans philippins emportent la bataille terrestre sur l’île de Leyte, tandis que la flotte japonaise est anéantie durant la bataille dite du golfe de Leyte – la plus grande bataille navale de l’histoire.







Là-bas, Ôoka Shôhei, comme tant d’autres de ses compatriotes (pensez à ce que raconte Mizuki Shigeru dans les tomes 1 et 2 de Vie de Mizuki, par exemple), subit un véritable enfer et assiste à des atrocités sans nom. Il erre dans la forêt, seul, pendant des dizaines de jours, avant d’être capturé, en janvier 1945, par les Américains, et envoyé dans un camp de prisonniers – il ne rentrera au Japon qu’à la fin de 1945.







L’expérience avait constitué un véritable traumatisme – et, exceptionnellement, l'emploi de ce terme n’est pas une figure de style, ainsi qu’on aura l’occasion de le voir. Ôoka ressent le besoin de parler, de témoigner, dans un contexte qui, on l’a vu, n’y était pas très favorable. C’est le moteur de sa carrière littéraire : à la suggestion d’amis, mais aussi semble-t-il de son psychiatre, il rédige ses mémoires, Journal d’un prisonnier de guerre, ce qui lui impose de jongler avec les sentiments de la censure américaine. Un premier roman, sur un tout autre sujet, La Dame de Musashino, lui vaut également l’attention de la critique. Mais il n’en a pas fini avec la guerre, et, en 1952, il publie donc Les Feux, qui revient sur son expérience aux Philippines ; il s’agit cette fois d’un roman, pas de mémoires, mais les traits autobiographiques sont nombreux, personne n’en doute. Et le livre fait l’effet d’une bombe, si j’ose dire : Ôoka y dénonce frontalement les méfaits du commandement impérial qui avait totalement abandonné ses soldats sans le moindre ravitaillement, les amenant par la force des choses à perdre toujours un peu plus leur humanité, jusqu’à franchir la ligne rouge – celle… du cannibalisme. Le réquisitoire est impitoyable, et ce d’autant plus qu’il sonne vrai, même sous sa forme romanesque ; il en résulte un tableau proprement terrifiant, une condamnation sans appel des horreurs de la guerre et des crimes de l’armée japonaise.







Le roman met en scène un soldat du nom de Tamura, qui souffre de tuberculose – une mauvaise idée, sur le front… Son supérieur, le jugeant incapable de se montrer utile, l’en rend responsable, et le chasse pour qu’il retourne à l’hôpital de campagne qui l’avait pourtant renvoyé, avec de maigres rations – mais on le chasse également de l’hôpital… Alors il n’a que se suicider ! Il a bien une grenade, qu’il s’en serve, c’est le seul moyen pour lui de se montrer utile à son pays ! Autant dire que ça commence bien…







Mais l’hôpital est bombardé, et Tamura contraint d’errer seul dans la jungle. Puis, attiré par la croix surmontant un clocher, il arrive dans un village abandonné, et y trouve quelque chose de très précieux : du sel ! Hélas, c’est le moment que choisit un couple de jeunes Philippins pour retourner au village – et, sous le coup de la panique, Tamura abat la femme ; l’homme prend la fuite, et il ne fait aucun doute qu’il va chercher les partisans – qui effrayent les soldats japonais bien plus que les soldats américains : les guérilleros philippins entendent leur faire payer les rigueurs de l’occupation… Et c’est à cela que renvoient ces « feux dans la plaine » : des fumées qui s'élèvent çà et là, dont les soldats japonais ne comprennent pas très bien le propos, mais qu’ils sont portés à envisager comme un moyen de communication employé par les partisans – ces feux sont une menace permanente, d’autant plus terrifiante qu’elle est impalpable…







Les errances solitaires de Tamura, qui a abandonné son fusil par dégoût, sont interrompues par la rencontre d’autres soldats japonais, qui l’informent qu’ils doivent traverser l'île et se rendre à Palompon pour y continuer le combat – mais atteindre cette destination implique de franchir les lignes américaines, autant dire que c’est du suicide…







Et la situation est rendue plus terrible encore par la faim omniprésente. L’armée japonaise ne s’est jamais montrée très généreuse avec ses soldats, pour ce qui est des rations – mais, à ce stade du conflit, elle les a tout bonnement abandonnés… Il n’y a aucun ravitaillement : les soldats de l’empereur sont supposés vivre du terrain, Demerden Sie sich autrement dit, et la situation est toujours plus catastrophique…







La faim est le motif central des Feux – et son moteur, et un outil métaphorique de choix. Tout y renvoie à la faim – et ce dès le tout début du roman comme des films, avec ces bien maigres rations, de patates douces ou de manioc, qui sont censées « acheter » une place temporaire à l’hôpital ; de même quand Tamura tombe sur un Philippin en train de cuisiner, ou trouve le sel dans le village, etc.







Mais ce thème à la base très dur devient plus sombre encore à mesure que la menace du cannibalisme est introduite dans le récit. Dans les premières occurrences, notamment quand Tamura rencontre un petit groupe de trois soldats très intéressés par son sel, cela sonne comme une mauvaise blague – un peu inquiétante d’ores et déjà, cela dit : cela semble beaucoup amuser le caporal que de faire trembler Tamura en lui racontant que son groupe, pour survivre en Nouvelle-Guinée, a bien dû recourir à la consommation de chair humaine… Mais chaque nouvelle mention du cannibalisme sonne plus concrète que celle qui précède, et la mauvaise blague n’a très vite plus rien de drôle. Ainsi quand Tamura tombe sur un soldat devenu fou, et emporté par une crise mystique bouddhique (nous verrons que Tamura n’est pas insensible à ces pensées, même si, dans son cas, c’est la mystique chrétienne qui l’emportera), qui lui offre de le manger une fois qu’il sera mort…







Et le cauchemar devient toujours plus matériel. Lors de ses pérégrinations, seul ou en groupe, Tamura ne cesse de recroiser les mêmes deux personnages : Yasuda, un vieux bonhomme cynique à la jambe cassée, et Nagamatsu, un jeunot naïf que le précédent exploite sans vergogne – Yasuda a accumulé une réserve de tabac, que Nagamatsu (peu doué…) est supposé échanger contre du manioc ou des patates douces. Mais, lors de cette ultime rencontre, les choses ont changé – c’est qu’ils ont à manger ! Yasuda a appris à Nagamatsu comment chasser « les singes »… et Tamura ne se fait guère d’illusions sur ce que cela signifie : Nagamatsu chasse des êtres humains, des soldats japonais ! L’ultime ligne rouge a été franchie, la déshumanisation est totale… Et double, en fait, car cela s’applique aussi bien au prédateur, qui abandonne de lui-même son humanité, qu’à la proie, hypocritement animalisée par cette désignation de « singe ». Or la confiance ne règne pas entre les trois soldats, en toute logique, et tout cela s’achèvera dans une tuerie…







Mais, ici, le roman et les films (surtout celui d’Ichikawa Kon) se concluent de manière très différente. Le roman, en effet, se termine par un épilogue assez développé, quelques années plus tard : Tamura est dans un hôpital psychiatrique, où on le soigne en raison du véritable traumatisme qu’il a vécu sur Leyte – on le voit, le mot n’est pas employé gratuitement ici, c’est bien d’une pathologie psychiatrique qu’il s’agit. Ce traumatisme affecte la mémoire de Tamura, qui ne sait plus très bien ce qui s’est passé « à la fin », en même temps que le souvenir de la femme qu’il a tuée continue de l’obnubiler.







Mais l’esprit malade de Tamura a eu recours à un moyen un peu tordu pour lui permettre de « survivre » et de composer avec les atrocités qu’il a vécues. Lui, « l’intellectuel », qui dissertait sur Bergson durant ses errances solitaires, mais tout autant théologie, après son expérience dans l’église, a développé une sorte de complexe messianique d’inspiration essentiellement chrétienne (avec quelques traits bouddhiques cela dit – notamment concernant le respect de tout le vivant, animal ou végétal, qu’il ne faut pas tuer pour manger), doté d’une symbolique forte qui englobe aussi bien la croix que les feux des partisans, dont la signification devient en quelque sorte apocalyptique, un délire dans lequel l’idée de l’eucharistie se teinte de nuances forcément plus sombres au regard des pratiques cannibales des soldats japonais abandonnés. La foi et la faim sont ainsi imbriquées jusqu’à la folie obsessionnelle, et Tamura halluciné se figure tantôt en ange exterminateur, tantôt en ascète, tel un bouddha christique porteur de la bonne parole de la faim ; écrire doit lui permettre de ramener du sens dans son passé traumatique et absurde…







Les Feux est un roman très éprouvant – on conçoit bien à quel point ce livre, en 1952, dans un contexte où le Japon refusait de se repencher sur son passé immédiat (ce qui confère d’ailleurs au traumatisme de Tamura une signification supplémentaire), ce livre donc a pu produire un tel choc. Il a contribué, avec d’autres, à libérer la parole des conscrits – ces jeunes gens qui, au nom du fantasme impérial, et au travers de mille mensonges de l’élite militaire, ont vécu sur le terrain un véritable enfer. S’il n’adopte pas les atours d’un pamphlet, le roman d’Ôoka Shôhei n’en dénonce pas moins les impostures de la guerre comme du nationalisme, avec la force de la colère et de la honte : il n’y a rien d’héroïque dans la guerre, qui n’est qu’une entreprise de déshumanisation poussée jusque dans ses extrêmes limites – et même la franche et fraternelle camaraderie du front, tant vantée dans quantité de romans, de BD, de films ou de séries pas avares de clichés et de flonflons, cette idée naïve et creuse à la Band of Brothers, sonne en définitive comme une mauvaise blague, quand votre semblable s’interroge sur la possibilité de vous manger pour survivre, ou, pire encore, quand c’est vous-même qui vous posez la question quant à votre semblable.







J’ai trouvé très intéressante, par ailleurs, la manière dont Ôoka traite du thème du traumatisme – et, pour le coup, de manière assez visionnaire, anticipant notamment sur quantité de récits portant sur la guerre du Vietnam, mais en posant la question frontalement, au travers de cet épilogue tout dédié aux considérations psychiatriques liées à l’expérience militaire. Or cette dimension est totalement absente du film d’Ichikawa Kon, et seulement allusive dans celui de Tsukamoto Shinya.







Mon regret, ici, porte sur une traduction parfois pas tout à fait à la hauteur (la première traduction de ce roman était semble-t-il bien pire, mais, concernant Rose-Marie Makino-Fayolle, que j’ai souvent lue traduisant Ogawa Yôko notamment, le niveau m’apparaît globalement très variable), et un texte pas ou mal relu, avec de nombreuses coquilles, dont un certain nombre qui semblent provenir d’un OCR imprécis. C’est dommage, même si le plaisir de lecture demeure…
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Les Feux

C'est un récit que j'ai lu au détour d'un échange sympathique sur Babelio, juste comme cela, par curiosité. Je ne le regrette pas. Ce texte aborde plusieurs thèmes à dimension universelle, du moins du point de vue humain : l'homme et la guerre, l'homme et ses désespérances, l'homme et ses limites à l'humanité, l'homme et la Nature, l'homme et les autres, l'homme et lui-même.

Originalité du roman, pour nous occidentaux imprégnés de l'Histoire vue de notre côté, cet homme est un soldat japonais égaré sur une île des Philippines, à la fin de la seconde guerre mondiale, en pleine déroute militaire de son pays. Un homme malade, au presque bout du bout, qui ne tient sa vie que par un fil ténu dont parfois il n'a que faire, sinon de se laisser porter par les dernières forces que peuvent encore produire son corps.

Un roman plein de sensibilité qui m'a fait toucher des yeux cette universalité de notre humanité. Et bien sûr, plein de questions à se poser ensuite, quand bien même on se les est déjà posées tant et tant de fois en lisant ces romans de guerre et tant d'autre qui font ressortir tous ces saisissants contrastes dont nous sommes parfois capables.
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Les Feux

Ce livre est d'une puissance inégalée pour dénoncer la guerre.



C'est un livre extrêmement dur. Très court, une écriture puissante. Sa lecture est difficile de par la cruauté des faits.



Pas vraiment de héros mais des êtres humains confrontés aux pires atrocités.
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