Citations de Siegfried Lenz (97)
C'était le manteau bleu aux poches profondes dans lesquelles il prétendait pouvoir faire disparaître, comme il nous en menaça un jour, les enfants qui le dérangeaient au travail.
Bien, dit-il doucement , puisque tu crois qu'il faut faire son devoir, je vais te dire le contraire : il faut faire quelque chose contre son devoir. Le devoir, je tiens cela pour de la prétention aveugle. On fait inévitablement des choses qu'il n'exige pas.
Il peut être salutaire de ne pas faire son devoir à certains moments...Nombreux sont ceux qui se sont préservés à ce prix.
"Pour le peintre, voir, c'est s'approprier."
Mais à un moment, j'ai cru savoir à quoi elle pensait, lorsque son visage a pris une expression d'attente. J'ai soupçonné qu'elle pensait à moi, elle a confirmé ma supposition en posant la main sur mon ventre. On peut penser à quelqu'un même quand il est présent.
Ce jour-là, Arne, ce jour d'hiver, nous t'avons vu pour la première fois, nous n'avions d'yeux que pour toi, debout dans la neige sale devant le hangar, résigné, perdu, comme si tu t'étais égaré dans notre univers
ce qui est passé a existé et durera, accompagné de la douleur et de la peur qui lui appartient, je chercherai à trouver ce qui est perdu sans retour.
Retiens bien ça : je continuerai à peindre. Je peindrai des tableaux invisibles. J'y mettrai tant de lumière que vous n'y verrez que du feu. Des tableaux invisibles.
Julius Korbjuhn ne voulut pas comprendre mes difficultés. Il refusa de croire qu'on pût avoir tant de mal à commencer.Il ne put se faire à l'idée que l'ancre du souvenir n'eût trouvé prise nulle part; qu'elle n'eût fait que bringuebaler et traîner au fond des eaux profondes en soulevant tout au plus des nuages de vase mais sans faire jamais place au calme, au repos indispensables quand on veut lancer un fil sur le passé.
Les choses que nous taisons ont parfois plus de conséquences que celles que nous disons.
Elle téléphonait ; elle était assise sur le rebord de la fenêtre contemplant notre anse, enveloppée du calme du soir, peuplé d'oiseaux de mer qui passaient en un doux courant.
l refusa de croire qu'on pût avoir tant de mal à commencer, il ne put se faire à l'idée que l'ancre du souvenir n'eût trouvé prise nulle part, qu'elle n'eût fait que bringuebaler et traîner au fond des eaux profondes en soulevant tout au plus des nuages de vase mais sans faire jamais place au calme, au repos indispensables quand on veut lancer un filet sur le passé.
Je veux rester ici, seul, tout seul dans cette cellule qui m’apparaît comme un tremplin sur lequel on m’aurait forcé de monter ; je dois descendre, je dois sauter et plonger encore et encore jusqu’à ce que j’aie tout remonté des profondeurs, tout ce puzzle de souvenirs que je voudrais reconstituer sur la table, élément par élément.
Nous attendîmes jusqu'au crépuscule et il ne se passait toujours rien. Le soleil se couchait derrière la digue, exactement comme le peintre lui avait appris à le faire sur papier fort, non perméable : il sombrait, il s'égouttait pour ainsi dire dans la mer du Nord, en filaments de lumière rouges, jaunes, sulfureux ; de sombres lueurs fleurissaient des crêtes des vagues. Le ciel s'allumait de tons ocres et vermillons aux contours flous, aux formes imprécises, presque gauche ; mais le peintre lui-même le voulait ainsi : l'habileté, avait t-il déclarer un jour, ce n'est pas mon affaire. Donc, un long coucher de soleil, gauche d'allure, avec quelque chose d'héroïque malgré tout, plus ou moins bien, cerné au début comme noyé à la fin.
Qu'est-ce que tu veux dire par là ? demanda mon père d'un air méfiant. Le peintre ouvrit les yeux et s'écarta de l'armoire. Il posa sa pipe sur un rebord de fenêtre. Il prêta l'oreille au vent qui, dehors, faisait bruire les branches du noisetier contre la gouttière. Il s'approcha ensuite sans montrer le moindre émoi du chevalet, en retira l'aquarelle, la tint un moment à distance, la serra vivement contre lui ; ses mains vigoureuses, expertes, hésitèrent un peu sur le bord du papier, eurent du mal à se décider. Mais voilà que soudain elles se levèrent, se séparèrent brutalement, déchirant l'aquarelle. La déchirure sépara Klaas de l'homme au manteau rouge et la peur de mon frère devint sans objet. Max Ludwig Nansen posa les deux morceaux l'un sur l'autre, ou plutôt non. Il commença par déchirer l'homme au manteau rouge et jeta les lambeaux flamboyants sur le plancher. Ensuite il s'occupa de mon frère, réduisit le portrait de la peur en morceaux irréguliers de la taille d'un paquet de cigarettes environ, les empila, s'approcha de mon père et les lui remit en disant : Tiens, emporte-les, ça vous facilitera la tâche.
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'Voudrais-tu que je reste ici?'
'Bien sûr', dit Paula, et elle ajouta: 'il n'y a personne ici, avec qui les objets trouvés se sentent si bien qu'avec toi, c'est ta place ici.'
'Et en plus, Paula, je m'imagine ici comme un objet trouvé moi-même.'
Ils m'ont donné une punition. C'est Joswig en personne , notre gardien préféré, qui m'a conduit à ma cellule; il a tâté le grillage de ma fenêtre, il a passé au peigne fin mon armoire métallique et mon ancienne cachette, derrière le miroir. Sans mot dire, sans mot dire et véritablement peiné, il a inspecté la table et le tabouret couvert d'encoches, consacré quelques instants au siphon, ausculté le rebord de la fenêtre de quelques chiquenaudes impératives; il s'est assuré de l'intégrité du fourneau avant de s'approcher de moi pour me fouiller de la tête aux pieds et se convaincre que je ne dissimulais rien de dangereux dans mes poches. L'air réprobateur, il a posé ensuite le cahier sur ma table, le cahier de rédaction-sur l'étiquette grise on lit: rédactions allemandes de Siggi Jepsen -; il s'est dirigé vers la porte, sans me saluer, désappointé, la mort dans l'âme car Joswig, notre gardien préféré, est plus sensible encore que nous aux punitions qu'on nous inflige parfois. Il en souffre plus longtemps et elles portent plus de fruits. Il n'a rien dit mais j'ai deviné son tourment à sa façon de verrouiller la porte: sa clé est entrée dans la serrure sans conviction, en trébuchant lamentablement; il a hésité avant de donner le premier tour, est revenu en arrière puis, se rappelant à l'ordre, a sanctionné sa propre indécision de deux tours abrupts. C'est Karl Joswig, un homme délicat et timide- et personne d'autre- qui m'a enfermé pour que je fasse ma punition.
"- Je suis désolé, Henry, mais je ne trouve pas cela drôle, pas drôle du tout. On doit quand même fixer un but à son existence, non ? On peut bien traînailler un certain temps, gâcher les premières années de sa vie, mais un jour, le moment est venu de se décider et d'agir. Tu me permettras de te dire qu'un homme aussi capable que toi pourrait être plus avancé, beaucoup plus avancé.
- Bien sûr que je te permets, mais je te prie de comprendre que cela ne m'intéresse pas d'avancer. Je ne veux pas faire carrière. Je ne veux pas gravir les échelons pour atteindre la situation que tu évoques. Je laisse ça à d'autres.
- Mais qu'est-ce que tu veux, alors ?
- Je veux me sentir bien au travail et je veux qu'on me laisse tranquille, qu'on m'épargne toute cette cavalcade et ce tumulte.
Son oncle commençait à se fâcher.
- Eh bien, mets-toi à la recherche d'un autre monde ! s'exclama-t-il. Un monde où tu trouveras tout ce qu'il te faut pour te sentir bien ! Un monde où tu pourras vivre entièrement à ta guise. Seulement, je crains que tu ne doives chercher longtemps. Et par ailleurs, il ne faudrait pas que tu oublies qu'on doit d'abord mériter sa préretraite, travailler pour y avoir droit et la mériter."
Qu'en penses-tu, Witt-Witt ?
Comment se fait--il que nous ne parvenions pas à tirer quoi que ce soit au clair,
Est-ce par ce que nous ne savons pas Voir.
Balthazar pense que nous devrions Commencer par apprendre à voir.
Voir mon Dieu, comme si tout ne dépendait pas de cela.
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Je continuerai à peindre.
Je peindrai des tableaux invisibles.
J'y mettrai tant de lumière que vous n'y verrez que du feu.
Des tableaux invisibles.
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