C'est un village de pêcheurs en Allemagne au bord de la mer Baltique.
Le rythme incessant des vagues berce les pages de ce court roman d'une émotion tout en retenue.
Siegfried Lenz, auteur germanique que je ne connaissais pas encore, dit avec pudeur, délicatesse, sans pathos, ce grand amour qui ne dura pas plus d'un été.
Le narrateur est un étudiant de dix-huit ans, Christian, d'une famille de pêcheurs.
Le texte s'ouvre sur une cérémonie commémorative en hommage à Stella Petersen, sa photo est disposée sur un chevalet devant une estrade jonchée de fleurs et de couronnes. Pour ce moment de recueillement, ses élèves, d'autres élèves, ses collègues enseignants, le directeur du lycée sont présents. Ils sont tous là et Christian est là aussi parmi eux. Stella enseignait l'anglais dans ce lycée. Dès la première page on sait ainsi que Stella n'est plus, sa vie a été fauchée brutalement lors d'un accident en mer au cours d'une tempête, on connaîtra bien plus tard les circonstances exactes. C'est Christian le narrateur qui s'adresse à elle dans ce texte, lui son élève, elle sa professeure d'anglais, elle et lui se sont aimés le temps d'un été, d'un amour clandestin.
L'histoire pourrait paraître banale, du déjà vu dans la dimension sulfureuse de cette rencontre, le goût du plaisir dans cette relation interdite par la morale entre une enseignante et son élève... J'ai forcément tout de suite pensé au film d'André Cayatte, Mourir d'aimer avec l'émouvante
Annie Girardot et cette poignante chanson de
Charles Aznavour qui s'entête en moi alors que j'écris ces mots qui n'ont rien à voir.
Le récit de
Siegfried Lenz nous raconte une histoire fort différente.
C'est un livre épris des premières fois : c'est l'histoire d'un premier amour pour Christian, c'est aussi la première fois qu'un chagrin l'étreint, c'est le premier deuil de sa vie qui entre par le seuil de l'amour.
Dans
une minute de silence, une seule minute, dans l'écho assourdissant d'
une minute de silence beaucoup de choses peuvent se tenir, le va-et-vient du ressac, le cri des goélands, une voile qui claque dans le vent, l'île aux oiseaux où leur bateau un jour s'échoua par un coup de vent malencontreux ou plutôt heureux finalement, l'île où ils s'enlacèrent en attendant qu'on vienne les secourir, l'île où apprendre les premiers gestes d'amour dans le battement d'ailes des oiseaux... C'est sur cette île qu'ils deviendront amants.
Les jours suivants, ils se retrouvent de nouveau dans une salle de classe comme si presque rien ne s'était passé. Et c'est dans ce presque rien que la douleur de l'amour vient s'inviter aussi puisque Christian ne comprend pas l'indifférence forcée de Stella lorsqu'elle reprend son rôle de professeure d'anglais.
Ils se retrouveront par un autre chemin, dans le sillage des livres, The Adventures of Huck Finn, Animal Farms... Ces moments de partage, de lectures communes, sont inoubliables et le seront à jamais dans le coeur de Christian...
C'est âgé de quatre-vingt-deux ans que
Siegfried Lenz écrivit ce récit qui sonne avec la justesse d'une confidence.
L'auteur nous offre au crépuscule de sa vie un roman intimiste, presque onirique où le thème de l'amour effleure le mystère des sentiments, de la mort, de la peur de l'oubli. C'est beau.
La mort de Stella ferme aussi de manière définitive le chemin de ce qui aurait pu devenir tôt ou tard celui d'un impossible amour.
Faut-il voir dans ce roman un simple récit d'initiation ?
Il m'a manqué un je-ne-sais-quoi, un presque-rien pour que la braise devienne incandescente et enflamme le coeur au bord de l'abîme.
Peut-être est-ce dû au personnage insaisissable de Stella, je n'ai pas su cerner dans les battements de son coeur ce qu'elle ressentait devant la naïve et touchante passion de celui qui était encore un peu un enfant. Peut-être que cette histoire est si intime que le narrateur n'a pas pu nous en révéler toute la saveur et l'amertume...
« Il faudrait qu'on se souvienne de la première fois qu'on a aimé pour de vrai, aimé cet autre qui vous a brisé le coeur. Ce moment précis où l'on s'est senti orphelin parce que cette présence nouvelle vous était désormais indispensable. »
Joseph Incardona.