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Delphine de la librairie Dialogues nous propose ses coups de c?ur du rayon Littérature étrangère : "Rendez-vous à Positano" de Goliarda Sapienza (Le Tripode), "Seul le grenadier" de Sinan Antoon (Actes Sud) et "Quand monte le flot sombre" de Margaret Drabble (Bourgois).
Réalisation : Ronan Loup.
Questions posées par : Élise le Fourn.
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Nous passons des années et des années dans des salles de cours et des laboratoires, nous nous plongeons dans les livres pour ingurgiter tout ce savoir accumulé par les hommes depuis des siècles en vue de soigner les corps, d’en chasser la douleur et la mort, et voilà qu’arrive une bande d’abrutis quasi illettrés qui, rien qu’en appuyant sur un bouton ou une détente, les réduisent en charpie ! Du sang, partout du sang ! Le pays réduit à l’état de table de dissection, à cette différence près que, au lieu des morts, on dissèque les vivants. Voilà la science du vivant en vogue ces temps-ci.
L’essentiel, finalement, est que toutes les prières montent jusqu’à Dieu, quels que soient la langue ou le rite !
Au cours des mois précédents, cinq attentats ont eu lieu contre des lieux possédés ou fréquentés par des juifs et contre la synagogue Masuda Shimtov, dans le but de les intimider. Il s’avérera plus tard que ces attaques sont le fait de bandes sionistes.
(Bagdad 1950)
Je suivais les nouvelles de l’Irak, jour après jour, à la radio, à la télé, dans les journaux et récemment sur Internet. Rien ne m’échappait. Je savais que l’embargo avait détruit le pays, mais c’est autre chose quand on s’en aperçoit sur place. Un vrai choc. Le pays est fatigué, les gens sont épuisés. Même al-Karrada, qui était le plus beau quartier, regarde ce qu’il est devenu. La saleté, la boue, les barbelés, les chars… Pas de femmes dans les rues. Ce n’est pas Bagdad, ça. Même les pauvres palmiers n’en peuvent plus, personne ne s’en occupe. Et ces Américains, avec leur racisme et leur sottise, crois-moi, ils vont pousser les gens à regretter le temps de Saddam.
Et il a eu bien raison.
—Il n’y avait que trois soldats au poste-frontière entre la Jordanie et l’Irak, et un seul fonctionnaire irakien. Il tamponnait les passeports en survêtement de sport et avec des mules aux pieds. Je lui ai demandé qui décidait là-bas, qui donnait l’autorisation ou pas aux gens de passer. “C’est l’officier américain qui décide, moi je tamponne.”
“Il est tout à fait licite aussi, a-t-il poursuivi, qu’un juif ou un chrétien lave un musulman, si aucun homme de sa religion ne se trouve dans les parages. L’important, c’est d’avoir de bonnes intentions”, a-t-il insisté....( lavage de cadavres )
" Même les palmiers sont devenus sunnites ou chiites. "
Sinan Antoon dans un entretien avec Muriel Steinmetz de "L'Humanité", le 14 juin 2018.
Ça m’a rappelé l’histoire drôle que Lu’aï m’avait racontée la semaine précédente. Je lui ai dit :
"Tiens, écoute, j’en ai une qui va te plaire. C’est trois Irakiens : un sunnite, un chiite et un chrétien. La lanterne d’Aladin leur tombe entre les mains, le djinn en sort et demande au chiite : « Fais un vœu ! Parle, c’est comme si c’était fait. » Le chiite répond."Liquide-moi tous les sunnites jusqu’au dernier. –Tu n’as qu’à demander pour être servi ! " dit le djinn. Il va voir le sunnite et lui demande : « Et toi, qu’est-ce que tu veux ? » Le sunnite lui répond : « Tue-moi tous les chiites jusqu’au dernier, je ne veux plus en entendre un qui respire ! –Tu n’as qu’à demander pour être servi ! » dit le djinn. Enfin, il se tourne vers le chrétien et lui demande : « Et toi, quel est ton vœu ? » Le chrétien réfléchit un moment et lui répond : « Occupe-toi d’abord du vœu des deux autres et reviens me voir après ! »”
" La sourate de Marie dit :
Secoue vers toi le tronc du palmier;
Il fera tomber sur sur toi
Des dattes fraîches et mûres " jusqu'à la description du paradis dans le Coran où des fruits, des palmiers et des grenadiers attendent les croyants......
Le hadith dit : " Une maison sans dattes, ses gens meurent de faim ....."
Elle dormait nue sur une table d'albâtre, dans un espace découvert, sans toit ni murs. Il n'y avait personne autour de nous et, à perte de vue, rien d'autre que le sable qui s'étendait à l'horizon. Des nuages moutonnés dans le ciel, qui se relayaient pour voiler les rayons du soleil, fuyaient pour s'y dissiper. J'étais dévêtu et déchaussé. Tout m'étonnait. Je sentais le sable sous mes pieds ainsi que le vent frais. Je me suis lentement approché de la table pour m'assurer que c'était bien elle. Quand et pourquoi est-elle revenue de l'étranger après toutes ces années ? Sa chevelure noire ramassée sur le côté de la tête lui couvrait la joue droite de quelques mèches ; elle semblait ainsi garder son visage qui n'avait pas changé. Ses sourcis étaient soigneusement épilés. Ses paupières abaissées se terminaient par des cils épais. Son nez veillait sur ses lèvres charnues, teintées de rose comme si elle était encore en vie, ou venait de mourir. Ses mamelons se dressaient sur ses seins en poire ; je ne voyais aucune trace de l'intervention. Elle avait les mains croisées sur le nombril, les ongles longs, vernis de la couleur des lèvres, le pubis glabre et les ongles de pied maquillés de rose, eux-aussi. Est-elle morte ou endormie ? J'ai eu peur le toucher. Je l'ai fixée et j'ai chuchoté son nom : Rim. Elle a souri, sans ouvrir les yeux au début, puis, quand elle les a ouverts la noirceur de ses prunelles a souri aussi. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je l'ai interrogée à haute voix :
- Rim, qu'est-ce que tu fais là
J'ai failli l'étreindre et l'embrasser, mais elle m'a averti :
- Ne m'embrasse pas. Lave-moi d'abord, pour que nous puissions être ensemble, et après...
[...]
Il m'a semblé entendre une voiture s'approcher. Je me suis retourné et j'ai vu un Humvee rouler à une vitesse affolante, laissant derrière lui une traînée de poussière. Il a brusquement viré à droite et s'est arrêté à quelques mètres de nous. Les portières se sont ouvertes. Quatre ou cinq hommes encagoulés, habillés de kaki et portant des mitraillettes en sont sortis. Ils ont couru dans notre direction. J'ai cherché à la protéger de ma main droite, mais l'un d'eux était déjà arrivé près de moi. Il m'a assené un coup de crosse sur la figure et m'a renversé. Puis il m'a roué de coups de pied dans le ventre, dans les reins et dans le dos. Un autre m'a attrapé les bras pour me tirer loin de la table. Aucun d'eux n'a soufflé mot. Je criais, je les insultais, mais je n'entendais pas ma voix. Ils m'ont forcé à m'agenouiller et m'ont ligoté les poignets avec une corde. L'un des deux premiers m'a posé un couteau sur la gorge, pendant que l'autre me bandait les yeux. Leurs rires se sont mêlés aux cris et aux râles de Rim, que j'entendais clairement. J'ai essayé de me dégager, mais ils me tenaient fermement. J'ai hurlé de nouveau, je n'entendais toujours pas ma voix. Les gémissements de Rim m'étaient pourtant audibles, ainsi que les grognements des hommes, leurs ricanements et le crépitement de la pluie battante. J'ai senti une douleur atroce, la lame froide transpercer ma gorge. Le sang chaud a coulé sur ma poitrine et sur mon dos. Ma tête est tombée. Elle a roulé comme un ballon sur le sable. J'ai entendu des pas qui s'approchaient. L'un d'eux a ôté le bandeau de mes yeux, l'a glissé dans sa poche, m' a craché dessus et s'en est allé. J'ai vu mon corps à gauche de la table, à genoux, baignant dans une mare de sang. Les trois autres regagnaient le Humvee. Deux d'entre eux traînaient Rim par les cheveux. Elle a voulu tourner la tête vers moi, mais l'un d'eux l'a giflée. J'ai crié son nom, sans entendre le son de ma voix. Ils l'ont assise sur la banquette arrière puis ils ont refermé les portières. Le moteur a démarré. Le Humvee s'est éloigné à toute allure, pour disparaître à l'horizon. Et la pluie a continué de cingler la table vide.
Je me réveille haletant, trempé de sueur.
chapitre 1