Sophie Hénaff

- J'appelle les pompiers, dit Capestan.
Rosière laissa échapper un grognement.
- Je veux ceux du calendrier.

Dans le fond, la scène, c'était juste le public qui remplace les copains pour applaudir à vos blagues. La télé débarque ensuite, puis la fête tient lieu de routine. La célébrité est un aboutissement naturel, rien de plus. Ensuite il reste toute la vie pour réaliser la valeur de cet instant de grâce. Mais il s'est évaporé.

- C'est impressionnant quand même. T'as vu ce torse? Y' a bien quatre-vingt centimètres d'épaisseur sur un mètre de large. La bestiole te gifle une fois, on t'appelle Ma Toupie pendant dix ans.p44

- Vous me rappelez de quelle brigade vous faites partie déjà ?
- Une antenne du 36, éluda Capestan sans vergogne.
- Le 36. Le fameux 36. Si ce n'étaient des chiffres, on prononcerait les majuscules, n'est-ce pas ? Le Trente-Six !

- Déjà pour les dinosaures, je l'avais mauvaise, mais là, c'est vraiment n'importe quoi, Noé. Tiens, regarde, espèce d'incapable incompétent de feignasse irresponsable, fit-elle en pointant l'écran holographique du doigt. Evidemment, ce sont ces crétins d'humains qui ont tout gâché. Mais regarde: même eux s'en sont aperçu avant toi! ils ont réuni les chefs d'Etats et leur ribambelle habituelle de décideurs, lobbyistes, scientifiques. Un sommet, ils organisent un sommet!
Pendant que toi, tu joues à la pétanque. Et mal en plus.p28

La commissaire ne croyait pas à la poisse, mais elle redoutait la persévérance des pessimistes.

Il y avait Dax, un jeune boxeur qui avait abandonné autant de sueur que de cervelle sur le ring. Le nez épaté et le sourire content, il observait la vie avec l'enthousiasme d'une otarie dans les vagues.

Elle afficha un sourire chargé d'intentions pacifiques, son émail brandi comme un drapeau blanc de parlementaires.

Encore un guérillero qui se gargarisait de courage au combat et fuyait la moindre responsabilité familiale.

Capestan s'isola près de la fenêtre, le regard perdu sur la rue Saint-Denis et ses immeubles de guingois, qui se soutenaient les uns les autres. Rien d'aligné dans cette rue à laquelle il avait manqué un bon orthodontiste.

PROLOGUE
Le 12 mai 2031
Les coccinelles ont disparu.
L'ours blanc aussi.
Il ne reste que quarante-trois tigres, cinquante-huit éléphants, trente-neuf gorilles et quatorze girafes à l'état sauvage.
Dieu découvre les chiffres et "elle" n'est pas contente.
Du tout, du tout.

Des centaines de défenseurs de l'environnement sont assassinés chaque année parce qu'ils s'opposent aux braconniers, aux industries agro-alimentaires, aux exploitations minières, à la corruption. Alors ça va bien maintenant, tu risquerais ta vie, toi, pour une autre espèce ? Tu te sacrifierais pour un éléphant, un oiseau ou un humain ?
- Un oiseau peut-être, mais un humain sûrement pas, bougonna Kombo.
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- Tu sais que je suis content d’être venu, déclara Torrez. Les gamins ont joué avec un virus de gastro toute la nuit, à tour de rôle, je ne sais même pas comment ma femme a réussi à décrocher le téléphone ce matin quand j’ai appelé.
On sentait la compassion, certes, mais on sentait encore plus nettement la joie d’avoir échappé au cirque. Torrez voulu modérer l’impression
-Non, mais je plaisante parce que c’est déjà fini hein. La gastro, ça peut coller une trouille terrible. Quand mon aîné s’est retrouvé à l’hôpital la première fois, je peux te dire que je ne rigolais pas. Ça a duré quatre jours, mais ça a changé ma vie, dit-il en mâchant, songeur. D’un coup, la terre bouge, tu t’aperçois que tu vis sur un sol meuble. Toute ton existence, tout ce que tu as mis des années à construire, n’est plus soumis qu’à la santé d’un seul être. C’est vertigineux. Après, tu trembles tout le temps. En fait, tant que tu n’as pas eu d’enfant, tu ne connais pas la peur.
- La peur de ne pas en avoir, répondit Capestan à son assiette.
Torrez resta sans réaction une fraction de seconde, puis baissa les yeux.
- Oui, oui, sûrement.
Il découpa son jambon et reposa ses couverts.
- Non. En fait, non. Dans ce cas, le désespoir peut être réel, mais la peur, elle est abstraite. La vraie terreur, c’est celle de perdre.

Cette leçon, Rosiere l'avait hachée menu menu, débitée en copeaux et petit bois, avant de craquer l'allumette de la récidive.

Il marqua une seconde de pause, se pencha puis, d'une main convaincante, saisit le bras d'Evrard : - Sans roubignoles, la fête est moins folle.

Lewitz éternua d'un coup, puis se moucha avec la discrétion d'un premier trombone de la fanfare municipale.

Le commissariat entier vibrait de curiosité. Une ruche avant la projo du dernier Maya l'abeille.

-Non, Joséphine, pas toucher, fit la commissaire Anne Capestan sur le ton résigné des mères qui réprimandent pour rassurer les adultes et non convaincre un bébé déjà prêt à recommencer.

Quinze heures. Dans les cabinets d’assurances comme ailleurs, les pauses déjeuner du mois d’août flirtaient dangereusement avec les horaires du goûter.

Il vibrait d’impatience quand son agent l’appelait, mais, à la lecture du scénario, son personnage, toujours, finissait par violer en série, fermer des usines dans le Nord ou vendre le Christ aux Romains. Chaque matin l’homme se scrutait dans la glace pour essayer de comprendre pourquoi. Il avait fini par découvrir qu’il avait une sale gueule.