Citations de Sophie Simon (64)
Je vais coucher avec un autre homme. Je crois que c’est ce qui me permettra de ne plus t’en vouloir. Tu as rompu notre équilibre, je dois le rétablir. Après, on sera quittes.
On s’y mélangeait, s’y étreignait, au nom de la libération des corps et des esprits. Ce n’était pas un péché de chair, c’était de la politique, il n’y avait aucune raison de se cacher.
La révolution des désirs se jouait ainsi, à plusieurs, plus ou moins dupes selon ce qu’ils avaient bu ou fumé, plus ou moins acquis à l’idée que cette forme de résistance avait des chances d’être universellement entendue.
Chacun, quelles que soient ses idées et ses adhésions, était libre d’entrer, à l’exception, bien entendu, des sympathisants d’extrême droite. Mais les démocrates-chrétiens, les socialistes et d’insubmersibles communistes venaient s’attabler, débattre et plus si affinités, après avoir juré sur l’honneur de se conduire avec Respect, Fraternité et Tolérance.
Je voulais juste m’assurer qu’elle n’avait pas d’amant. Qu’elle n’entretenait pas une relation, même épistolaire, avec un autre, comme elle avait menacé de le faire cent fois dans le seul but de se venger.
Tout ce qu’il attend d’une femme, c’est qu’elle soit bien faite. Si en plus elle est un peu garce, il l’épousera. Et si elle le repousse, alors il lui construira le Taj Mahal. Ce genre de type est tellement prévisible !
J’allais lui avouer que je l’aimais mais qu’en raison de certaines de mes névroses ‒ qu’il fallait d’ailleurs envisager plutôt comme des handicaps ‒, il m’était difficile de vivre une histoire d’amour, a fortiori une passion. J’allais lui dire combien cette décision me brisait le cœur. Je l’aimerais pour toujours, conclurais-je, abattu de chagrin, épiant du coin de l’œil ses larmes et ses supplications. Mais Elena avait de bien meilleures raisons de souhaiter une rupture, et il se pouvait qu’elle l’accepte sans s’y opposer…
Elena est une très jolie fille, intelligente, fantastique… Elle a tout ce qu’il faut, mais une fille comme ça, est-elle faite pour toi, hein ? Elle n’a que vingt-quatre ans, Celso, elle est si jeune, c’est un petit papillon. Crois-moi !
Je me sentais diminué et misérable mais je continuais de sourire à Elena, de rire aux blagues de Giustino, et je feignais de m’esbaudir de la vue qui, désormais, me désolait, vision d’un bonheur inaccessible.
Elle agissait avec lui sans séduction, plutôt avec la bienveillance d’une fille envers son père. En réalité, ils s’entendaient parfaitement, paraissaient se connaître depuis longtemps et le spectacle de leur entente ‒ assez agréable et divertissant ‒ aurait dû me rassurer. Il n’y avait rien de sexuel entre eux, c’était évident.
La présence d’un autre mâle alpha près de lui peut le rendre stupide et agressif. Avec moi, aucun risque. C’est sûrement pour cette raison que notre amitié perdure. Je suis celui qui arrondit les angles. Celui qui tempère et qui se soumet.
Chaque fois que je lui ai présenté mes petites amies, il a tenté d’exercer son pouvoir et son aura de producteur. Je ne dis pas qu’il a essayé de me les voler, je dis juste qu’il a essayé de les séduire. Je ne pense pas qu’il serait allé plus loin.
Le bonheur s’approchait et je le laissais venir, guettant si l’extase lui succéderait.
Épouser Elena me parut soudain la meilleure, la plus grande des idées. Nous serions l’un et l’autre rassurés sur notre amour et, d’une certaine façon, nous assurerions sa pérennité.
Je n’avais qu’une envie, c’était de poser ma main sur l’arrondi de sa cuisse. Mais je me méfiais un peu et redoutais que les paroles de Celentano me fussent adressées ‒ il était question de trahisons impardonnables.
Je jugeai plus prudent de garder les mains sur le volant.
Je dois dire ici que, jamais, au cours des deux années que j’ai partagées avec elle, jamais je n’ai tenu son corps pour acquis. Il m’a toujours paru extraordinaire qu’elle me l’accorde. Il était rare que je m’autorise à la toucher, à l’embrasser sans y avoir été tacitement invité au préalable. Parfois, enhardi pour diverses raisons, je glissais ma main ou ma bouche sur un bout de sa peau et je m’étonnais qu’elles n’en soient pas rejetées.
Nous étions dans une période calme, sans heurts. Mais je prenais garde à tout ce que je disais ; Elena était comme une petite fiole de nitroglycérine.
Elena aimait ma voiture. J’aimais Elena plus que tout. Et j’aimais tout ce qu’Elena aimait. Cependant, je n’aimais toujours pas ma voiture. Je ne lui en dis rien. Je prétendis que, oui, après tout, elle était mieux comme ça. Elle était marrante. Alors, pour lui faire plaisir, nous la sortions quelquefois du garage pour aller nous balader dans Rome et ses environs, Elena conduisant, heureuse et fiérote comme un bambin au volant d’un camion de pompiers, tandis que je prenais mon mal en patience.
J’avais entretenu son amour à dessein et ne pensais pas le moindre mot de ce que j’avais pu lui écrire… Antonia, à cette époque, avait si peu d’importance pour moi que j’étais incapable de concevoir qu’elle en eût pour Elena. Et puis, j’avais un peu agi pour nous deux, dans l’intérêt de notre histoire, parce que sans elle, sans Antonia, sans son amour bienfaisant, je ne suis pas sûr que j’aurais eu la force de poursuivre avec Elena !
Quel idiot, quel égoïste, je n’avais pensé qu’à moi, alors que j’aurais dû ne penser qu’à elle, la protéger, lui offrir, pourquoi pas, un enfant, une famille puisqu’elle venait de perdre la sienne.
Je voulais qu’elle n’ait jamais existé. J’envisageais même de comprendre comment certains meurtres viennent à l’esprit. Bien sûr, cette idée ne fit que me traverser brièvement, et je souris à l’absurdité d’un tel projet : j’étais incapable d’écraser un insecte sans me le reprocher.
L’impuissance, l’incompétence qu’elle révèle en nous est redoutable, pointant les limites et les imperfections de notre humanité, et nous ouvre, lorsque nous en devinons l’ampleur, les portes d’un enfer que l’on préférerait ignorer.
Et j’oubliai Elena…
Si elle ne m’avait pas embrassé sur la bouche au moment où je partais ; si elle ne m’avait pas caressé les cheveux, la nuque puis les épaules ; si elle ne m’avait pas murmuré qu’elle m’adorait toujours, qu’elle m’aimerait toujours, je serais parti l’honneur sauf. Mais je me laissai faire, car ses caresses et ses mots consolaient aussi bien mon corps que mon ego mis à mal ces derniers temps.