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Citations de Sorj Chalandon (2520)


Mon père buvait, ma mère s’était enfuie pour mieux que nous. Je vivais chez des vieux dans une ferme au milieu des champs. À l’école, j’apprenais des chiffres qui ne me servaient à rien. Le nom de pays où je n’irais jamais. L’instituteur nous parlait de morale. C’était quoi, la morale ? Laisser le bouillon à un enfant et garder la viande pour soi? Que faisait-elle pour moi, la morale? Et l’instruction civique ? Et le « tu aimeras ton prochain comme toi-même », psalmodié par notre curé, j’en faisais quoi? Il me déteste, mon prochain. Il m’avait tiré les oreilles lorsque je pêchais le gardon dans le lac. Il avait traité ma mère de femme légère lorsqu’elle était partie. Il avait laissé mon père, ce héros de guerre, s’épuiser à ramasser les pommes de terre de salopards qui s’étaient cachés à l’arrière du front. Voilà, mon prochain.
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La Colonie pénitentiaire maritime et agricole de Haute-Boulogne avait été construite sur le glacis de la citadelle Vauban, une muraille noire jetée à pic sur des criques abruptes, pour anéantir les jeunes canailles. Pour nous écraser sous les charges, affamer nos corps, essorer nos esprits. Les moniteurs disent qu’ils veulent faire de nous des matelots, mais leurs ateliers de timonerie, de voilerie, de corderie, ne sont que des usines à épuiser. Ils veulent nous transformer en paysans avec la ferme de Bruté, mais leurs travaux des champs ne sont que des punitions pour nous éreinter. Et recracher des ombres, qui se jettent sur leur paillasse à la nuit. Mais à quoi bon nous exténuer, puisque nous sommes prisonniers d’une île ? Le haut mur d’enceinte, les cinq baraquements funestes, les dortoirs grillagés, les réfectoires silencieux, rien sur terre n’a la brutalité de la mer. Même nos gaffes, avec leurs casquettes de garde-barrière, leurs pantalons trop courts, leurs uniformes fripes, leurs boutons manquants, leurs moustaches luisantes de mauvais vin et roussies de tabac, ne sont que les laquais de l’océan. C’est lui notre haut mur. Notre véritable prison. L’océan, c’est notre gardien le plus cruel. Celui qui nous surveille, qui nous épargne ou qui nous assassine.
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Chautemps a donné trois coups de sifflet pour appeler à la rescousse. Deux surveillants sont arrivés en courant du 2ème quartier. Quelques lèche-bottes, qui ont eu un certificat de bonne conduite, les appellent des moniteurs. Depuis la réforme, c’est leur nom. La Colonie pénitentiaire a été baptisée Maison d’éducation surveillée, et les gardiens, des moniteurs. Surveillant, ça faisait trop prison. Moniteur, ça chante la colonie de vacances.
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Personne ne sait ce qu'est un massacre. On ne raconte que le sang des morts, jamais le rire des assassins. On ne voit pas leurs yeux au moment de tuer. On ne les entend pas chanter victoire sur le chemin du retour. On ne parle pas de leurs femmes, qui brandissent leurs chemises sanglantes de terrasse en terrasse comme autant de drapeaux.
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L'océan, encore et toujours. Depuis le premier jour à la colonie, il ne m'avait jamais quitté. Même après avoir fait le mur. Lorsque je pêchais dans sa houle, la mer ne me portait pas, elle m'encerclait. Sa fureur hantait mes jours, mes rêves. Quand j'ouvrais les yeux, elle me barrait l'horizon. Lorsque je les fermais, elle me submergeait. J'étais devenu une île. Une prison ancrée au milieu de l'eau. Je n'avais pas réussi à m'évader. Je tournais en rond comme une mule sur le chemin côtier.
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Cet homme n’était plus le sien. Il n’était qu’un bruit de bouche frottée au dentifrice. Le remous d’une chasse d’eau. Des pas étrangers sur une moquette terne. Alors elle a compris. Elle était seule, de nouveau. Le corps léger. Comme un deuil se termine sans rien nous murmurer. On ouvre les rideaux, il fait beau, et on croise son sourire fragile dans la vitre. Assia s’était réveillée sans l’empreinte de l’autre, sans le goût de sa peau. Elle était libre.
Elle s’est levée. Elle n’a plus eu un geste, aucun regard pour lui.
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Ronan savait que je rêvais cette rue depuis dix ans. Je l'avais imaginée, les yeux fermés dans une cellule close. Il voulait que je la remonte seul, en homme libre.
— Voilà, c'est maintenant.
Il m'a pris dans ses bras. Longtemps.
— Tu sais pourquoi je t'ai tendu la main, le premier jour ?
Non, je ne savais pas.
— Pour que tu desserres le poing.
J'ai souri.
Il m'a dévisagé en silence.
(P. 401)
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Depuis l'enfance, ne pas parler des choses était une façon pour moi de ne plus les faire exister. Je les taisais, elles s'effaçaient d'elles-mêmes.
(P. 395)
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Pantxo m'a ouvert la porte sans un mot, comme un ami.
Ronan m'avait dit un jour :
— L'ami, c'est celui qui t'ouvre sa porte au milieu de la nuit sans te poser de questions.
Le Basque était comme ça.
(P. 393)
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Je ne pensais pas, je ne criais plus. Le réfectoire tanguait. Je voyais à peine. Une furie rouge. Mon cœur entier tenait dans mes poings. Mes tempes étaient douloureuses. Je claquais des dents. Je faisais trois gestes inutiles pour un mouvement nécessaire. Je ne courais pas, je dansais. Je grimaçais dans le tumulte. Je tirais une langue de gargouille. Tout était en train de disparaître. Les insultes, les brimades, les vexations, les humiliations, les coups. Le froid de l'hiver, la brûlure de l'été, l'odeur de nos corps sales, la faim, les punaises, les poux, la gale. Je nettoyais sept ans de bagne à grande eau. À coups de hargne. J'étais enragé. Je respirais. Je vivais.
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Depuis mon cancer, comme après la mort de Jules, il se demandait ce qu’il faisait là. Il se trouvait encombrant, glacial, distant, incapable de m’aider. Il me quittait pour mon bien.
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Et [elle] m'avait appris que l'avortement n'était pas un caprice, mais une preuve de malheur.
(P. 338)
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Ce matin, le cancer c’était l’autre. J’allais devoir tout lire, tout apprendre, tout comprendre, tout redouter. Aux vacances de Pâques, une fidèle cliente de la librairie a été hospitalisée. On ne l’a jamais revue. Seulement sa photo, son regard au pied du cercueil. Elle s’appelait Nadine. Elle était professeur de français. Elle est morte à 47 ans, du cancer qui se guérit très bien.
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- Et ça te rapporte quoi de faire ça ?
Petit geste d'agacement.
Cette fois, c'est Ronan qui m'a répondu.
- Si tu parles d'argent, rien. Il y a des médecins qui réclament jusqu'à 500 francs pour faire ça illégalement. Mais Sophie ne demande que 20 francs. Pour le risque, le temps passé et les serviettes éponges.
- Quel risque ?.
Il s'est penché vers moi.
- La prison.
L'infirmière était ailleurs, un voile triste sur le visage.
- Lorsque j'ai appris que les gendarmes donnaient la même pièce d'argent pour chaque colon repris, j'ai pleuré. Vivant ou mort, 20 francs, c'est le prix d'un enfant.
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Savez-vous ce que c'est de voler trois œufs en espérant les gober dans un buisson ? Que savez-vous de la faim, Messieurs de la Justice ? Et du froid ? Avez-vous déjà eu des semelles en carton pour masquer le trou de vos chaussures ? Savez-vous la honte d'un pantalon troué ? Savez-vous la douleur des nuits sans parents ?
Personne n'en sait rien. Personne, jamais, ne parlera de cette solitude. De cette misère. De l'immensité d'une nuit sans toit lorsqu'on dort sous le ciel. De la rosée du matin, qui perle sur la veste d'un pauvre.
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- Il faut faire confiance aux autres, neveu.
Sa voix tranquille.
- Sans la confiance, tu es seul au monde.
(Page 194)
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Elle m'a raconté les filles, les femmes, la peur, la honte. Un soir, c'est une gamine de 14 ans qui est venue la supplier. Depuis la mort de sa mère, son père l'avait prise dans son lit.
- Et moi, je fais quoi de tout ça, Jules ?
J'ai regardé mon bol.
- Réponds-moi, s'il te plaît.
Ronan a ajouté une goutte de gnôle dans sa tasse.
- Vous ne parlez que de viols, c'est trop facile.
Elle a souri. Une ombre légère.
- Tu as raison, Il n'y a pas que ça. Ce serait trop simple.
Alors elle a fait rentrer les pauvresses dans la maison. La fourbue, dix enfants accrochés à ses jambes, et ce onzième qu'elle décide de ne pas accueillir. La trahie, enjôlée par une rose, une promesse, une belle chanson d'amour, qui se retrouve matin, seule et le ventre plein. La battue, que son bourreau féconde, l'exigeant ensuite à lui seul. La miséreuse, obligée de compter les bouches à nourrir. La vierge, que personne n'avait mise en garde et qui n'a pas compris pourquoi son ventre s'était un jour arrêté de saigner.
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Au mitard les infâmes. Briser les tout-petits, étrangler les plus grands , les rêves des uns ,la colère des autres. Transformer ces gibiers de potence en futurs soldats, puis en hommes , puis en plus rien. Des spectres qui erreront dans la vie comme dans les couloirs d'un bagne , serviles , honteux .
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Que savez -vous de la faim, Messieurs de la justice?
Et du froid ? Avez-vous déjà eu des semelles en carton pour masquer le trou de vos chaussures ? Savez-vous la honte d'un pantalon troué ? Savez-vous la douleur des nuits sans parents ?
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J'ai ouvert les portes du vaisselier, les tiroirs du buffet, ceux de la table. Je n'avais jamais vu d'assiettes en porcelaine et de verres à pied. Sauf une fois, lorsque j'avais été commis à la table du Bouc. Et peut-être une autre, lorsque les frères Rolin et moi avions visité des maisons en Mayenne. Les familles étaient à la fête des moissons, le village était désert. J'avais volé une soupière, trois coussins brodés de têtes de chevreuil et une chevalière gravée, plaquée-or. Lucien Rolin avait brandi deux chandeliers au-dessus de sa tête avant de les fourrer dans son sac. Il avait ri.
- Je suis Jean Valjean !
Il avait lu dix pages du roman de Victor Hugo. Le bagnard de Toulon était son héros, mais l n'avait pas encore rencontré le père Madeleine. Les évasions le fascinaient, la rédemption ne l'intéressait pas.
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