Stacey Jay

Je laisse tout aller et je connais enfin la paix. C'est comme si une porte s'était ouverte en mo, révélant des pièces claires et lumineuses dont je n'avais pas imaginé l'existence.

- Il se pourrait que mon nouveau père m'ait un peu cogné pour avoir cassé sa voiture.
Je tressaille. L'idée de Roméo en train de se faire battre par quelqu'un d'autre que moi est extrêmement perturbante. Moi, quand je le frappe, je suis sûre qu'il le mérite.

je ne suis pas sûre qu'il vaille encore la peine de se battre pour l'amour. J'ai vu trop d'âmes sœurs se tourner vers la haine pour croire encore que l'amour est plus fort que tout.

Il soupire.

- Tu crois toujours que je suis le seul responsable?

- Tu m'as enfermée dans une tombe et tu m'as laissée mourir.

- Le passé...

Il fait un pas vers moi mais s'immobilise alors que je brandis la lampe.

- ...le passé ne peut être changé, mais l'avenir...l'avenir est devant nous. La vie, l'amour, tout ce que tu as toujours désiré. Tu n'as pas à retourner dans les brumes. Tu peux rester ici. Je peux rester ici avec toi.

J'éclate de rire. C'est si absurde que je ne peux pas m'en empêcher.

- "The world is a vampire sent to drain..."
Roméo chante. Cet air des Smashing Pumpkins était populaire la dernière fois que je suis venue sur Terre. Les paroles sont troublantes. Ça parle de rats et de vampires. La façon dont Roméo la fredonne rend la chanson encore plus effrayante. On dirait un enfant de chœur en train de confesser un meurtre.

J'ai emprunté la vie de tant de gens et personne ne m'a paru indigne d'amour. J'ai essayé de leur montrer qu'ils valaient la peine et que leur vie était importante. Je les ai poussés à se pardonner à eux-mêmes et à pardonner à ceux qui leur avaient fait mal, à choisir un avenir d'amour plutôt qu'un passé amer. [...]
J'ai souvent échoué mais Nourrice a tort, je n'ai pas échoué dans le domaine de l'amour. Aimer Roméo, aimer les gens, aimer Ben... rien de tout ça n'était une erreur. Peu importe qu'ils m'aient aimée en retour ou aient été reconnaissants ou même qu'ils n'aient jamais su mon véritable nom. Je les ai aimés et c'était bien.

[...]Pendant une seconde,Roméo est perdu,son éternelle assurance est ébranlée. J'essaie de profiter de cette petite victoire et j'enroule mes bras autour de son cou. je l'attire vers moi et pose mes lèvres sur les siennes

Dylan rit, ses lèvres bien trop près des miennes.
-Mais doucement, quelle lumière jaillit de cette fenêtre ?
Non. C'est impossible. Nous n'avons jamais...Il n'a jamais...
-Je t'ai manqué, chérie ?
Il m'embrasse sur la joue. Un baiser rapide et mouillé comme celui d'un enfant.
Dylan est mort finalement. Et Roméo a trouvé son corps. C'est ma dernière pensée avant que ses mains ne se serrent sur ma gorge.

Je suis toujours seule. Que je fasse semblant d’être quelqu'un d'autre ou que j'erre dans le grand vide. La vie me manque. Les conversations, les rires, la joie et la douleur me manquent. Me réveiller par une journée claire où je ne verrai pas le mal rôder me manque. Et plus que tout, mon innocence et ma foie en l'existence du bonheur me manquent. Je parviens à croire que je suis pleine de bonté, mais, en réalité, je suis trop amère pour être une ambassadrice digne de ce nom et trop jeune pour être aussi désespérée.
J'ai vu défilé les siècles mais je suis morte à quatorze ans et j'ai passé en tout moins de vingt-ans sur Terre. Lui, en revanche, continue de vivre et d'apprendre, de repousser la folie en ouvrant grand ses oreilles et en plongeant son regard dans celui des humains. Sept siècles d'expérience l'aident à me détruire un peu plus à chaque fois.

Romeo

Elle ne m'aime pas. Elle en aime un autre. Son aura rougit comme un bouton de rose en train d’éclore. Pourtant, j'ai arraché ses racines cette nuit-la, il y a sept cents ans. Elle est mon âme sœur. Elle ne devrait brûler d'amour que pour moi. Ça me donne envie de la tuer. De le tuer, lui aussi. De tuer tout le monde dans cette ville, tous les témoins de leur amour naissant, de leurs œillades et de leurs soupirs.
Mais il y a autre chose derrière cette soif de sang, derrière la haine, derrière la peur et la colère. Pendant une seconde, une sublime seconde ce matin, quand j'ai cru que l'aura de Juliette brillait pour moi... j'ai...j'ai espéré. C’était comme une étincelle de pureté fissurant tout ce qui me constitue.

- Je sais que tu es amoureux d'elle.
Il hausse un sourcil.
- Ah oui ?
Je me sens soudain anxieuse. Comment peut-il ne pas se rendre compte qu'il est amoureux ? Son aura est d'un rose plus foncé aujourd'hui qu'hier. J'insiste :
- Tu sais que tu l'aimes.
- Non. Je n'ai jamais été amoureux de ma vie.
Il se tait et m'observe avec attention.
- Et toi ?
- ça n'a aucune importance.
- Tu crois ?
Il se penche vers moi jusqu'à ce que je sente le vin dans son haleine.
- J'en suis sûre.
Mon coeur bât plus vite que jamais, comme s'il voulait sortir de ma poitrine.
- Tu es importante pour moi, murmure-t-il.

- J'ai su dès que je t'ai vue, cette première nuit, murmure Ben. Immédiatement. Quand j'ai essuyé le sang de ton visage. Je me suis dit...
- Quoi ?
- Voilà la fille avec qui je vais passer ma vie entière. J'en étais certain, termine-t-il avec un air vulnérable qui me serre la gorge.
Peut-être est-il réellement tombé amoureux de moi ce premier soir. Avant que je distingue son aura. Peut-être Ben n'est-il pas l'âme soeur que j'avais à protéger. Peut-être suis-je là pour Gemma et quelqu'un d'autre. Ce garçon dont elle a parlé. Celui qui "vaut la peine".
- Je n'ai pas besoin de plus de temps pour savoir que je n'ai jamais ressenti ça et que je ne le ressentirai plus jamais, ajoute Ben avec un geste de la main qui termine sur ma taille. Mais ça m'est égal que ce soit différent pour toi.
Je hausse les sourcils.
- ça t'est égal de ne pas être le premier ?
- Oui.
Il se penche vers moi et ses lèvres effleurent les miennes.
- Du moment que je suis le dernier.

(Juliette & Ben.)
- Tu ne peux pas m'aimer.
Je fais de mon mieux pour dissimuler le regret dans ma voix.
- Tu es amoureux de Gemma.
- Je ne suis pas amoureux de Gemma. Je n'ai jamais aimé Gemma et je ne l'aimerai jamais, ajoute-t-il, répétant les mots que j'ai moi-même employés pour parler à Roméo moins d'une heure plus tôt. C'est toi que j'aime.
- Tu me connais si peu.
- Je te connais parfaitement, affirme-t-il avec une assurance calme qui me fait de nouveau monter les larmes aux yeux. Je sais que tu es forte et aussi belle à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je sais que tu aimes manger et que tu détestes Shakespeare - du moins ses histoires d'amour. Je sais que tu ferais n'importe quoi pour une amie. Je sais que tu es une artiste capable de peindre un mur de briques qui mériterait d'être accroché dans un musée. Je sais que tu as traversé l'enfer mais que tu ne te laisses pas dévorer par tes problèmes.
Il se tait un moment et me serre plus fort.
- Et je sais aussi que tu m'aides à penser que l'enfer que j'ai traversé valait la peine... c'est grâce à cet enfer que j'ai su reconnaître le paradis quand il est monté dans ma voiture.

Mon amour pour lui étreint ma poitrine, me tue et me ressuscite chaque fois que je plonge mon regard dans le sien ou que je passe mes doigts tremblants dans ses boucles brunes.

- ça t'es égal de ne pas être le premier ?
- oui.
Il se penche vers moi et ses lèvres effleurent les miennes.
- du moment que je suis le dernier.

— Tu es la plus belle chose qui me soit jamais arrivée. Ça m'est égal que tu aies voulu me tuer. Ça me serait égal que tu l'aies fait ! Mon histoire avec toi aurait valu le coup, tu aurais valu le coup !
— Tu es fou.

Nous sommes seuls, ma belle et moi.

Juliette.

Son nom me blesse toujours et fait renaître les fantômes de mes émotions humaines. Une partie de moi se rappelle les délices des douleurs de l'amour, l'insupportable souffrance de la perte.

Je m'accroche au battement dans ma poitrine et je me délecte de ce déchirement qui m'envahit comme le plus doux des poisons. J'accueille ce souvenir de mon tourment comme un vieil ami. J'attends avec impatience la détresse morale qui va suivre, les soubresauts de mon âme à l'intérieur de sa prison de pierre. La peine est tellement plus facile à faire revenir à la surface que le plaisir. Je n'ai aucun souvenir agréable, je ne sais pas si je suis capable de retirer de la joie de quoi que ce soit, mêmes si les spectres apparaissent comme prévu, même si le sortilège fonctionne, même si - un jour, bientôt, très bientôt - je pourrai sentir de nouveau, goûter de nouveau, vivre de nouveau.

Mais si quelqu'un peut me rendre bon, c'est elle. Mon amour, mon ennemie, ma moitié, ma Juliette. Peut-être peut-elle dénouer les enchevêtrements de mon âme, faire fondre mon coeur gelé, faire fuir mes démons ? Peut-être qu'une fois le sortilège prononcé, je me réveillerai sans cette envie de faire le mal, sans ce besoin de me nourrir du malheur des autres.

"Et nous nous embrasserons et vivrons heureux pour toujours."

- Cesse de te faire du mal. Tous ces peut-être ne changeront rien. Tu as commis des erreurs, j'ai commis des erreurs. Le plus important, c'est que nous ne sommes pas obligées de continuer. Nous pouvons arrêter de nous demander qui déteste qui et essayer de nous aimer.

La vie après la mort est un cauchemar. l'enfer est de savoir que vous ne vous réveillerez jamais de ce cauchemar.

L'amour ne valorise pas l'obéissance au-dessus de toute autre vertu.
L'amour ne juge pas, n'estime pas que certaines vies sont plus importantes que d'autres.
L'amour n'utilise pas les gens pour les jeter ensuite.
L'amour reste et vous rend plus fort, même quand la personne que vous aimez est partie.