Citations de Svetlana Alexievitch (925)
Le grand problème, ce n'est pas de faire disparaître un dirigeant qui ne convient pas, c'est : que faire ensuite ?
"Orange, c'est la couleur de la pisse de chien sur la neige. Mais ça peut devenir rouge ..."
(À propos de la révolution)
Si on regarde dans le dictionnaire de Dahl, le mot russe dobrota, "bonté" vient du verbe dobrovat, "avoir du bien", "vivre dans l'abondance" ... C'est quand il y a de la stabilité et de la dignité ...
Mais tout cela, ça n'existe pas chez nous.
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Les hommes, ça peut se programmer ... Ils ne demandent que ça. Une, deux ! Une, deux ! Au pas ! À l'armée, on marche et on court beaucoup. Vite et longtemps. Et si on n'y arrive pas, on n'a qu'à ramper ! C'est quoi, un vrai dur ? C'est un homme qui ne flirte pas avec la mort, ses rapports avec elle sont clairs. Tu discutes ? Il te plante une fourchette dans la gorge. Il a brûlé tous les ponts, il n'a plus rien à perdre. Un type comme ça, ça bondit et ça mord. Si vous mettez ensemble une centaine de jeunes gars, ils se transforment en bêtes féroces. Une meute de jeunes loups. Que ce soit en prison ou à l'armée, la loi est la même : pas de quartier. Premier commandement : ne jamais aider les faibles. Les cogner. Les faibles sont immédiatement mis au rebut ... Deuxième commandement : on n'a pas d'amis, c'est chacun pour soi. [...] Mais la règle est la même pour tout le monde : ou tu te fais écraser, ou tu écrases les autres. C'est simple comme bonjour. Pourquoi est-ce que j'avais lu tous ces bouquins ? Je croyais Tchékhov ... C'est lui qui a écrit qu'il faut extraire l'esclave de soi-même jusqu'à la dernière goutte, et que tout doit être beau dans l'homme [...] Mais c'est le contraire ! C'est exactement le contraire ! Parfois, l'homme a envie d'être un esclave, ça lui plaît. C'est l'homme qu'on extrait de l'homme jusqu'à la dernière goutte.
![](/couv/cvt_La-Supplication--Tchernobyl-chroniques-du-monde-a_1106.jpg)
Je réfléchis à cela. La mort tout autour oblige à penser beaucoup. J'enseigne la littérature russe à des enfants qui
ne ressemblent pas à ceux qui fréquentaient ma classe, il y a dix ans. Ils vont continuellement à des enterrements.
On enterre aussi des maisons et des arbres... Lorsqu'on les met en rang, s'ils restent debout quinze ou vingt minu-
tes, ils s'évanouissent, saignent du nez. On ne peut ni les étonner ni les rendre heureux. Ils sont toujours somno-
lents, fatigués. Ils sont pâles, et même gris. Ils ne jouent pas, ne s'amusent pas. Et s'ils se bagarrent ou brisent une
vitre sans le faire exprès, les professeurs sont même contents. Ils ne les grondent pas parce que ces enfants ne
sont pas comme les autres. Et ils grandissent si lentement. Si je leur demande de répéter quelque chose pendant le cours, ils n'en sont même pas capables. Parfois, je dis juste une phrase et leur demande de la répéter : impossible, ils ne la retiennent pas... Alors, je pense. Je pense beaucoup. Comme si je dessinais avec de l'eau sur une vitre : je suis seule à savoir ce que représente mon esquisse. Personne ne le devine, ne l'imagine.
Cela me fait mal, tout ça, mais cela m’appartient. Je ne cherche pas à le fuir…Je ne peux pas dire que j’ai tout accepté ni que je suis reconnaissante pour cette souffrance. Il faudrait employer un autre mot ici, mais je n’arriverai pas à le trouver maintenant. Je sais que, lorsque je suis dans cet état, je suis loin de tout le monde. Toute seule. Prendre sa souffrance entre ses mains, la posséder pleinement, et en sortir, en revenir avec quelque chose… C’est une telle victoire, c’est la seule chose qui ait un sens. On ne revient pas les mains vides. Sinon, à quoi bon descendre en enfer ?
p.311 Un petit bourreau ... Les grands bourreaux ne peuvent pas se passer des petits. Il faut beaucoup de petits bourreaux pour faire le sale travail.
p. 330 Des victimes, des bourreaux et à la fin, les bourreaux deviennt aussi des victimes
La rour tourne, et il n'y a pas de coupables. Non! Tous veulent qu'on les plaigne. Ils sont tous des victimes au bout du compte. Tous !
p. 345 Sur les portes du camp des Solovki, il y avait la slogan bolchevique :"Nous mènerons d'une main de fer l'humanité vers le bonheur". Un des recettes pour sauver l'humanité.
p. 401 En amour, il n'y a pas de liberté.
p. 432 Parfois, l'homme a envie d'être un esclave, ça lui plait.
p. 518 Mais un homme ne se connaît pas lui-même, s'il se connaissait, il serait épouvanté.
Vous pensez peut-être que je me croyais capable de .. me transformer en bête sauvage. Jamais de la vie. Je croyais que j'étais quelqu'un de bien.
Les romans russes ne vous apprennent pas comment réussir dans la vie. Comment devenir riche... Oblomov reste couché sur son divan, les personnages de Tchékhov n'arrêtent pas de se plaindre en buvant du thé.
Personne ne nous a enseigné la liberté. On nous a seulement appris à mourir pour elle.
Oui ! Notre plus grand rêve, c’était de mourir. De nous sacrifier, de tout donner. Le serment des komsomols : “je suis prêt à donner ma vie pour mon peuple s’il le faut.” Et ce n’était pas seulement des mots, on nous éduquait vraiment comme ça.
Encore une fois vous ne trouverez pas ça dans les livres, bien sûr… mais sous les allemands on vivait mieux que sous les soviétiques, les allemands avait rouvert les églises.
Je suis un patriote russe orthodoxe. Je suis au service de Notre-Seigneur. Et je le sers avec ferveur. À l'aide de prières... Qui a vendu la Russie? Les Juifs! Des gens sans patrie. Même Dieu, ils l'ont fait pleurer bien souvent.
Le communisme c’est comme la prohibition, l’idée est bonne mais ça ne marche pas
Les gens ont recommencé à croire en Dieu, puisqu'il y a pas d'autre espoir. Mais dans le temps, à l'école, on nous apprenait que les dieux, c'étaient Lénine, Marx…
Après la guerre, je suis entrée tout de suite, non pas en première mais en cinquième année. J’étais adulte. J’étais aussi repliée sur moi-même. Longtemps, j’ai fui les gens. Toute ma vie, j’ai préféré la solitude. Les gens me pesaient, il m’était pénible de les voir. Je gardais enfoui en moi, quelque chose que je ne pouvais partager.
Tout… Je me souviens de tout.
Je me rappelle que les grands disaient : « Il est trop petit. Il ne comprend pas. » Moi, ça m’étonnait : « Ils sont bizarres, ces grands ! Qu’est-ce qui leur fait penser que je ne comprends rien ? Je comprends tout, au contraire ! » J’avais même l’impression que j’en savais plus qu’eux. Et que c’était pour ça que je ne pleurais pas.
La guerre, c’est mon manuel d’histoire. Ma solitude… J’ai manqué le temps de l’enfance… elle ne fait pas partie de ma vie. Je suis un homme sans enfance. A la place, j’ai eu la guerre.
- Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination. Vous n'êtes pas suicidaire. Prenez-vous en main ! "
Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l’Histoire. Voilà le plus difficile : concilier les deux vérités, la personnelle et la générale.
« Notre régiment fut réveillé par le signal d’alarme. On ne nous annonça notre destination qu’à la gare de Biélorussie, à Moscou. Un gars protesta – je crois qu’il venait de Leningrad. On le menaça de cour martiale. Le commandant lui dit, devant les compagnies rassemblées : « Tu iras en prison ou seras fusillé. » Mes sentiments étaient tout autres. À l’opposé. Je voulais faire quelque chose d’héroïque. Comme poussé par une sorte d’élan enfantin, la plupart des gars pensaient comme moi. Des Russes, des Ukrainiens, des Kazakhs, des Arméniens… Nous étions inquiets, bien sur, mais gais en même temps, allez savoir pourquoi !
Sur la porte il y avait un mot : « Cher homme, ne cherche pas des objets de valeur, nous n’en avions pas. Utilise ce dont tu as besoin, mais sans marauder. Nous reviendrons. »