Citations de Sylvain Ricard (99)
Nous avons tous deux vies :
La vraie, celle que nous rêvons dans l'enfance,
Que nous continuons de rêver adultes, sur fond de brouillard;
La fausse, celle que nous partageons avec les autres,
La vie pratique, la vie utile,
Celle où l'on finit dans un cercueil.
Fernando Pessoa; Fragments d'un voyage immobile
On a un mort sur les bras, foudroyé par un agent pathogène qu'on maîtrise mal.
C'est un scandale.
Je paie mes impôts moi !!!
p.64.
La boucle est bouclée. Cette guerre, comme toutes les autres, n'aura été qu'un grand gâchis. Un drame plus grand encore pour les survivants sans doute. Le mien n'est pas grand-chose au regard de celui des familles de déportés. C'est vrai. Moi, je ne suis qu'une veuve parmi tant d'autres. Et toi ma fille, toi qui ne comprends rien à ces histoires, tu ne vaux pas mieux que moi. Innocente et pourtant déjà coupable. Coupable d'être née de la "moins que rien". Tu es maintenant à mon image, une pas grand-chose. Une fille de rien...
p.53.
- Les gens oublieront. Laisse-leur un peu de temps.
- MAIS MOI, COMMENT VEUX-TU QUE J'OUBLIE ?! REGARDE CE QU'ILS M'ONT FAIT !
p.44.
Que faire dans cette situation ? Que peut faire une femme seule face à l'hystérie collective ? Que répondre à la vindicte populaire, au ressentiment général, à ce qu'elle est censée incarner.
Rien. Aucune échappatoire n'est possible. Juste attendre. Attendre et ressentir l'étau de la honte se refermer... Attendre et laisser grandir la haine. Cette haine qui se dispute à l'humiliation, à la déchéance... Toutes ces choses qu'il faudra oublier... Oublier que cet adultère est national, oublier l'honneur souillé, la dignité perdue. Ou s'imaginer pouvoir ne plus penser qu'un jour on l'a parquée comme une truie et lentement fait plonger dans un désespoir abyssal. La catin. La collabo... la tondue.
p.41.
Rien n'est fini. Au contraire, les ennuis commencent. Et cet enfant qui n'est pas encore né porte déjà tout le poids de la frustration d'un peuple.
p.31.
Toute une vie consacrée aux autres et quelques minutes de la folie des hommes pour l'anéantir.
p.22.
Magnifique ! Un premier frère terrorise un deuxième pour qu'il ne parle pas du troisième au quatrième. C'est pathétique...
Je suis hostile à ce procédé.
Avant même que vous ne vous soyez confié à moi, je m'étais demandé si j'avais le droit d'intervenir contre ce procédé...
Je le vois d'ici, ce bon commandant, j'entends sa voix retentissante, je l'entends parler du haut de son balcon...
"Un immense spécialiste en charge d'étudier les procédures judiciaires dans tous les pays vient de déclarer notre procédé inhumain!"
"Après ce jugement porté par une telle personnalité, il ne m'est plus possible de tolérer ces pratiques!"
Ne croyez pas que j'ai voulu vous émouvoir, je sais que c'est impossible de faire comprendre aujourd'hui ce qui était ce temps-là.
On pourra au moins dire qu'on a vu une bonne soeur tricher à l'étoile! C'est déjà ça...
Cette histoire s'inspire d'une réalité d'un autre siècle, pourtant pas si lointain...
Certains l'ont vécue ou l'ont racontée, d'autres témoignent par leurs recherches de cette mémoire tragique :
Darien Georges, Biribi - discipline militaire, éd. du Serpent à Plumes
Kalifa Dominique, Biribi - les bagnes coloniaux de l'armée française, éd. Perrin
Londres Albert, Dante n'avait rien vu, éd. Arléa
Pierrat Jérome et Guillon Eric, Les Vrais, les Durs, les Tatoués - Le tatouage à Biribi, éd. La Rivière
Merci à eux et hommage à tous les indisciplinés.
Les auteurs
liminaire p2
Sganarelle, tenant une tabatière.
Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac : c’est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l’on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu’on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d’en donner à droit et à gauche, partout où l’on se trouve ? On n’attend pas même qu’on en demande, et l’on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d’honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Mais c’est assez de cette matière. Reprenons un peu notre discours. Si bien donc, cher Gusman, que Done Elvire, ta maîtresse, surprise de notre départ, s’est mise en campagne après nous, et son cœur, que mon maître a su toucher trop fortement, n’a pu vivre, dis-tu, sans le venir chercher ici. Veux-tu qu’entre nous je te dise ma pensée ? J’ai peur qu’elle ne soit mal payée de son amour, que son voyage en cette ville produise peu de fruit, et que vous eussiez autant gagné à ne bouger de là.
Gusman
Et la raison encore ? Dis-moi, je te prie, Sganarelle, qui peut t’inspirer une peur d’un si mauvais augure ? Ton maître t’a-t-il ouvert son cœur là-dessus, et t’a-t-il dit qu’il eût pour nous quelque froideur qui l’ait obligé à partir ?
Sganarelle
Non pas ; mais, à vue de pays, je connais à peu près le train des choses ; et sans qu’il m’ait encore rien dit, je gagerais presque que l’affaire va là. Je pourrais peut-être me tromper ; mais enfin, sur de tels sujets, l’expérience m’a pu donner quelques lumières.
La lecture de Dans la colonie pénitentiaire est une épreuve, tellement l'atroce et le cruel côtoient la légèreté, la douceur et la béatitude.
Sylvain Ricard (auteur du scénario BD)
p2
Je... Je ne sais plus comment faire pour tenir. Je me cogne aux murs, et quoi que je dise, quoi que je fasse, tout me revient en pleine gueule. Je suis enfermé dans cette prison, je sais pourquoi. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi ils veulent que je sois enfermé à l'intérieur aussi, comme si j'étais condamné à une double peine. On le sait bien qu'on a fait des conneries. On ne les a pas faites par hasard, ils le savent bien. Et au lieu de nous aider à nous en sortir, ils nous enfoncent la tête dans la merde, toujours plus profond. Y a rien à espérer de ces années passées à croupir. On ressortira pires qu'avant.
On nous fout en taule pour nous réinsérer, mais faudrait déjà penser à nous sociabiliser! Un prisonnier sur deux en dépression, un sur trois drogué ou alcoolique, un quart bon pour la camisole.
De quelle prison parle-t-on? Des murs inutiles qui nous entourent ou de l’enfermement de notre esprit duquel vous ne souhaitez pas que l’on sorte? (…) Vous savez bien que derrière chaque personne qui entre ici il y a une douleur, il y a un besoin, il y a un manque. Rien de tout cela n’est trivial. Nous y arrivons inachevés, en souffrance. Nous en ressortons détruits, déshumanisés.
Oui, la herse, dit celui-ci, le nom convient. Les aiguilles sont disposées en herse, et puis l'ensemble se manie comme une herse, quoique sur place et avec bien plus de savoir-faire. Vous allez d'ailleurs tout de suite comprendre. Là, sur le lit, on fait s'étendre le condamne.-Je vais d'abord, n'est ce pas, d'écrire l'appareil, et ensuite seulement je ferai exécuter la manoeuvre. Comme cela, vous pourrez mieux la suivre. Et puis il y a dans la traceuse une roue dentée qui est usée;elle grince très fort,quand ça marche;et alors on ne s'entend presque plus;les pièces détachées sont hélas fort difficiles à se procurer,ici Donc,voilà le lit,comme je le disais. Il est entièrement recouvert d'une couche d'ouate; à quelle fin, vous le saurez bientôt. Sur cette ouate, on fait s'étendre le condamné à plat ventre et, naturellement, nu; voici pour les mains, et là pour les pieds, et là pour le cou, des sangles qui permettent de l'attacher. Là, à la tête du lit, à l'endroit où l'homme à plat ventre, comme je l'ai dit,doit poser le visage tout de suite,se trouve cette protubérance rembourrée qu'on peut aisément régler de telle sorte qu'elle entre exactement dans la bouche de l'homme. Ceci afin d'empêcher les cris et les morsures de la langue. Naturellement, l'homme est contraint de prendre ça dans sa bouche, sinon il a la nuque brisée par la sangle qui lui maintient le cou.