Fille de rien... Pour commencer, un titre qui parle d'une personne qui n'est pas encore née et qui déjà porte par ses origines un fardeau, alors qu'elle n'a "rien" demandé.
La couverture, les dessins, les couleurs décrivent bien le ressenti qui se lit sur le visage de tous les habitants. Et le scénario qui se place dans une famille déchirée non pas par la guerre de 1939-45, même si nous sommes avant la libération, mais la différence d'opinions, d'agissement que chacun des membres de cette famille fait ou ne fait pas.
Dans cette ferme y vit, la mère et ses quatre enfants : Henri, Serge, Marc, et le dernier, Roland, absent qui fait des actes de sabotage dans le voisinage contre les Allemands. Y cohabite aussi la femme d'Henri : Yvette et leurs trois enfants et la femme de Serge : Lucienne qui est enceinte. La mère, matriarcat de cette ferme, vit dans le souvenir de son défunt époux et glorifie le maréchal Pétain qui pour elle incarne encore le sauveur de la France.
5 mai 1944... Serge travaille avec sa femme Lucienne et Jürgen, un Allemand qui a l'air quelqu'un de calme, gentil dans un laboratoire sur des mouches, mais nous en savons pas pour quel but... Hélas pour Serge, il est mal vu par sa famille et ses confrères chercheurs français, car ils voient cela comme collaborer avec l'ennemi.
Un jour Henri retrouve une génisse morte dans un champ qu'il ramène pour en tirer ce qu'il peut de la carcasse... mais inévitablement un motard allemand un poil pervers et dangereux y veut sa part du gâteau. Lui en donner est un acte de collaboration, mais cela personne ne le verra de cet oeil.
16 juin 1944, le maréchal Pétain fait une visite sur la place de la ville, et quasi tous les habitants y viennent chanter en choeur
Quand le jour de la libération arrive le 5 septembre 1944, c'est un lynchage qui est fait contre ces gens qu'on n'aime pas, qu'on croit ou qu'on est certain qu'ils ont collaboré avec l'ennemi. Les femmes suspectes ont leurs têtes tondues, sont humiliées devant la foule. Et les hommes suspects sont tués. Aucune justice, seulement la stupidité des perdants qui veulent se faire passer pour les gagnants en se salissant les mains contre les siens.
Ici, la majorité l'emporte comme à chaque fois. Mais la majorité n'a pas forcément raison.
Ce qui est intéressant dans cet album, ce sont les contrastes du bien et du mal. Ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas dans les gestes de collaboration avec l'ennemi, qui est aussi la "Patrie Française". Les gens qui sont glorifiés ou s'auto glorifient en héros alors qu'ils se sont conduits comme des lâches tout ce temps durant... Sans oublier le thème principal : les déchirements dans cette fratrie à l'image de la France qui est séparée en deux et cohabitant sous le même toit.
Par contre ce qui est dommage, est cette fin qui, peut-être naîtra un second album pour parler de comment ces jeunes mères abandonnées par les siens survivront ou mourront à cause d'eux. Ainsi qu'il aurait été intéressant de parler des origines de ce geste de rasages et du nombre de persécutions par les rasages, exécutions et toutes autres violences contre les Français faits à la "libération"... Mais difficile à chiffrer combien d'innocent.e.s ont été tué.e.s, violenté.e.s par les leurs.