Les amis, je crois qu'on tient ma première excellente lecture de l'année. Et quand je dis excellente, je dis aussi que j'ai besoin d'un petit temps de digestion, mais que ça pourrait bien s'avérer un coup de cœur. Le 20 janvier. Yep. Vous l'aviez pas vu venir, celle-là !
Une éducation, ça raconte la vie de l'autrice. Comment l'éducation que lui ont donné ses parents l'a formée, moulée. Puis comment l'éducation, l'université, les études l'ont mise en porte-à-faux par rapport à ce qu'elle avait toujours vécu mais lui a aussi ouvert les yeux sur sa propre personne.
On plonge dans le quotidien d'une famille mormone, au fin fond de l'Idaho.
Mais pas n'importe quelle famille mormone, parce que celle-ci est dirigée par un père de famille aussi charismatique que tyrannique, fondamentaliste dans sa foi, à tel point qu'ils sont non seulement coupés du monde, mais aussi coupés de leur propre communauté (considérée bien souvent comme aliénée à l'Etat et donc à Satan).
Bon, puis il a aussi quelques problèmes d'ordre maladie mentale. Bipolarité, schyzophrénie, paranoïa, on ne saura pas clairement, mais vous imaginez bien que ça ne va pas aller redorer le tableau.
Si ce livre parle de religion, ce n'est pas pour faire du prosélytisme, loin de là. C'est pour expliquer la perception des choses de cette famille (et surtout du père). Pour expliquer pourquoi la moitié des enfants de cette famille n'ont pas eu d'acte de naissance ni jamais vu un médecin de leur vie. Dieu et ses anges veillent sur eux, et chaque drame, chaque blessure, chaque accident arrive pour les préparer à la fin des temps.
C'est dur et violent. Pas forcément par rapport à des coups (quoique), mais parce que l'emprise de ce père est telle qu'aucun membre de la famille n'a le droit de penser différemment. Voire même de penser tout court en fait. À quoi bon, puisque le père leur dispense la vérité vraie. Et s'il les met en danger, c'est uniquement parce qu'il sait que les forces supérieures veilleront à leur intégrité physique et morale.
Ce qui fait peur, c'est que ce n'est pas un gourou lambda, qui en aurait après le fric de ses ouailles. Non. Il est persuadé d'être dans le vrai, et arrive à retourner chaque argument à son avantage en étant convaincu de ses paroles.
Ceux de ses enfants qui se sont éloignés de la famille nucléaire sont ceux qui ont trouvé le moyen d'avoir accès à une éducation, d'aller à l'université. Dans l'esprit du père, c'est lui-même qui les a éloignés, parce qu'ils se sont fourvoyés en apprenant auprès de professeurs payés par l'Etat, donc corrompus. Les autres qui sont restés auprès de leurs parents et ont créé leur propre famille au pied de la montagne, ce sont les justes, les purs. Qu'ils soient dans une dépendance financière car incapables de trouver un emploi ailleurs qu'auprès de leurs parents ne compte pas.
Malgré cela, on sent un amour très présent de la part des parents comme des enfants.
Tara, l'autrice et narratrice, la plus jeune de cette nombreuse famille, va se retrouver dès 16 ans dans une situation compliquée, en plein conflit de loyauté. Tiraillée entre son désir d'instruction, ce qu'elle ressent être bon pour elle et sa loyauté envers sa famille, son amour pour eux, les fondements qu'ils lui ont inculqués, elle doit se faire un chemin. Oui, elle a le c*l entre deux chaises, c'est ça. Elle essaie de concilier les deux et ce n'est pas évident.
C'est d'autant moins évident que c'est une histoire vraie. Et c'est un autre point positif : la démarche de l'autrice. Ce sera répété de nombreuses fois dans le récit, à travers des notes de bas de pages mais également ses réflexions au sein du texte, elle donne sa version, celle qui est gravée dans sa mémoire. Mais les souvenirs ne sont des souvenirs, ils peuvent être erronés voire même fabriqués de toute pièce.
Dans ce texte, il y a aussi une absence totale de jugement. Si elle est parfois ébahie par certaines réactions, si elle peut en vouloir à l'un ou l'autre de ses amis ou des membres de sa famille, jamais elle ne se pose en juge en disant qu'ils ont tort.
C'est pour ça aussi que ce texte est puissant : on apprend sans jugement. On entre dans le quotidien d'une famille aux idéaux à mille lieues de notre quotidien (enfin, j'imagine qu'il y a peu de mormons parmi les lecteurs de ce blog), on découvre leur vie, mais aussi toute une culture bien différente de la nôtre, mais pas moins respectable.
Si l'intégrisme du père les met en danger, on voit bien que c'est une personne bien loin d'être représentative des membres de sa communauté.
Sans être un récit féministe pour autant, on voit bien que la condition de femme pèse sur l'autrice. Elle était destinée à être mère de famille nombreuse, préférablement au foyer. Pas à travailler ou à s'instruire de quelque manière que ce soit. On sent dès son enfance une certaine rébellion, ou en tout cas un sentiment d'injustice quand elle comprend qu'elle est une petite fille, et par conséquent n'a pas les mêmes possibilités que ses frères (même si son père éprouvera assez peu de scrupules à la faire travailler dans sa décharge, vagin ou pas).
Et une scène m'a particulièrement marquée. L'autrice est passionnée par ses études qu'elle souhaiterait poursuivre au-delà du premier niveau de l'université. Elle demande à un de ses amis homme ce qu'il ferait s'il avait été une femme et passionné de droit comme il l'est en tant qu'homme. Il lui répond simplement qu'il aurait eu des centres d'intérêt bien différents. Voilà voilà. C'est une réalité pour certaines personnes encore aujourd'hui, dans un pays aussi moderne et libéral que les Etats-Unis...
Bref, c'est instructif, intéressant, passionnant à lire.
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