Maman prit soin de ne laisser aucune trace de doute qui pût m’accuser en quelque façon. Tout devait indiquer clairement qu’il s’agissait d’une mort naturelle et exclure tout soupçon de suicide ou de complicité de crime.
J’ai déconnecté complètement la partie relative à ses amours et je n’ai refait surface que lorsque son récit en est arrivé à la période du sous-sol dans lequel nous vivions tous ensemble quand je suis né et qui, même si nous n’avions pas eu l’eau chaude pendant deux ans, avait été la plus heureuse.
« Aleksy, commença maman, d’un ton coupable, les doigts serrés nerveusement autour de la cafetière, pardonne-moi ! » Ce matin-là, maman avait l’air d’une jeune araignée qui venait de prendre dans sa toile sa première victime. Elle était comme Mika vieillie. Comme grand-mère jeune. Je ne l’avais jamais vue ainsi, pour la simple raison qu’elle n’avait jamais été ainsi. Maman me regardait avec amour.
Le russe était devenu un visage toujours froncé. Beau, surnaturellement beau, cependant plein de cruauté. Quand il me souriait, même les épines devenaient fleurs, autour de moi. Mais quand je me trompais…La reine des glaces que j’étais redevenait une fille de l’orphelinat avec laquelle je commençais de me crêper le chignon. Je pleurais chaque jour. Je poussais les mots du pied, pour les faire sortir de moi. Je les retirais de ma chair avec les dents, comme des épines d’églantier. Devant les difficultés, je m’enfonçais les ongles dans les cuisses. De toute façon, la douleur se ressentait de plusieurs endroits à la fois. Les sons devenaient plus limpides et sortaient de moi clairs et corrects.