Citations de Tatiana de Rosnay (1555)
En regardant Germaine plier soigneusement ma garde-robe, je fus frappée par la fragilité de nos existences. Nos biens matériels ne sont que de petits riens emportés par le tourbillon de l'indifférence. Gisaient là, emballés par Germaine, mes robes, jupons, châles, vestes, bonnets, chapeaux, sous-vêtements, bas, gants, avant d'être envoyés chez Violette, où ils m'attendraient. Tous ces vêtements sur lesquels je ne poserai jamais plus les yeux, choisis avec une dévotion infinie (oh, l'exquise hésitation entre deux couleurs, deux coupes, deux étoffes). Maintenant, ils n'avaient plus d'importance. A quelle vitesse pouvons-nous changer! Avec quelle rapidité évoluons-nous, telle la girouette dès que tourne le vent.
Je peux les entendre remonter notre rue. Un grondement étrange, menaçant. Des chocs et des coups. Le sol qui frémit sous mes pieds. Et les cris, aussi. Des voix d'hommes, fortes, excitées. Le hennissement des chevaux, le martèlement des sabots. La rumeur d'une bataille, comme en ce terrible mois de juillet si chaud où notre fille est née, cette heure sanglante où la ville s'est hérissée de barricades. L'odeur d'une bataille. Des nuages de poussière suffocants. Une fumée âcre. Terre et gravats.
Je vous écris ces mots assise à la table vide. Les meubles ont été emballés la semaine dernière et expédiés à Tours chez Violette. Ils ont laissé la table, trop encombrante, ainsi que la lourde cuisinière en émail. Ils étaient pressés, et je n'ai pu souffrir ce spectacle. J'en ai haï chaque minute. La maison dépouillée de tous ses biens en un si court instant. Votre maison, celle dont vous pensiez qu'elle serait épargnée. Ô, mon amour, n'ayez crainte, je ne partirai jamais.
«Oui, je suis désolée. Désolée d’avoir quarante-cinq ans et d’en savoir si peu.»
Au fil des jours, personne ne remarquait son état. Personne ne voyait qu'elle n'allait pas bien. Qu'elle avait des vertiges, mal au cœur, à la tête. Qu'elle avait peur. Qu'elle vivait un cauchemar.
Non, on ne voyait rien. On s'en fichait. On s'en tapait le coquillard. C'était toujours elle, après tout, qui s'occupait des autres, qui veillait sur les autres.
Il n'y avait personne pour se préoccuper d'elle. Personne.
Et pour la première fois, elle sentit sourdre en elle une colère nouvelle.
Puis il y eut tout un tas de choses qu’ils ne furent plus autorisés à faire. Jouer dans le square. Faire de la bicyclette. Aller au cinéma. Au théâtre. Au restaurant. A la piscine. Emprunter des livres à la bibliothèque.
Les tableaux ont la vie éternelle. Mais pas les artistes.
Depuis une semaine, le chat se comportait de façon étrange. Clarissa se disait qu’elle devait en parler à Jordan. Chablis mangeait de moins en moins, miaulait en permanence.
Le tout-Paris bruisse du récent scandale retentissant concernant "la Garçonne" de Victor Marguerite paru en 1922, traité de livre de 'bidet'. L'auteur a même été déchu de sa Légion d'honneur parce qu'il a osé décrire la vie d'une femme émancipée. Toujours est-il que le roman connaît un vif succès et sera traduit dans une douzaine de langues.
(poche p. 105)
zakhor. al tichkah.
souvenez-vous. N'oubliez jamais.
Vous êtes remarquablement bien élevé, pour votre génération. Ce n'est pas le cas de votre compagnon.
Martin sourit.
- Il a d'autres qualités.
Et moi j't'aime comme si je t'avais tricoté.
Les écrivains sont des menteurs professionnels. Ils passent leur vie à raconter des histoires. Si nous ne pouvions pas mentir, nous n'écririons.
La petite voix intérieure marmonnait: "Ne donne jamais d'informations personnelles à un lecteur, une lectrice, rappelle-toi, pas d'adresse, reste vague, quitte à mentir."
J'admire les romanciers. Leur imaginaire, leur plume. Moi, c'est différent. J'écoute des gens plus ou moins connus, et j'écris leur histoire.
Les gens prennent de jolies photos de livres, balancent ça sur les réseaux sociaux avec les bons hashtags, mais personne ne lit.
A son arrivée au Gallo Nero, Nicolas n'eut pas l'impression de descendre à l'hôtel, mais plutôt de pénétrer dans une grande et belle demeure ocre, au toit carmin et aux volets verts. Des Lamborghini, des Ferrari, des Porsche et des Jaguar étaient garées un peu à l'écart. Il grimpa un volée de marches et la porte s'ouvrit. Une femme élancée en tailleur noir susurra son nom comme une mélodie.
Petit à petit, les phrases interminables avaient délivré un sens, d'une façon extraordinaire, comme un long poème qui aurait ouvert des fenêtres devant ses yeux, en laissant pénétrer un souffle continu, des tonalités, des fragrances. Virginia Woolf n'écrivait pas pour séduire, pour captiver ses lecteurs grâce à des procédés superficiels, non, pas du tout. Elle leur jetait un sort, avec calme et douceur, de telle manière qu'au début ils ne se doutaient pas qu'ils avaient été ensorcelés, et la suivaient, dociles. Mais progressivement, elle les forçait à réfléchir, à se poser des questions ; elle les surprenait ; elle les ébranlait. Et c'était cela que Clarissa admirait le plus. La façon dont Virginia Woolf entraînait ses lecteurs dans les pensées de ses personnages. La vie entière de Mrs Dalloway était dévoilée en une seule journée, grâce au va-et-vient incessant entre le passé et le présent. Toute la prouesse du roman se trouvait là. (p 210)
Elle avait vite découvert que lire Virginia Woolf, son absence de dialogues, ses très longues phrases, exigeait un certain effort. Elle n'avait jamais rien lu de tel. Elle se sentait sotte, inculte. Sans doute n'était-elle pas assez sophistiquée ou assez littéraire. Elle s'y était remise avec obstination. (p 210)
- Et toi, alors ? explose Stéphane. C'est pire, ce que tu me fais endurer. C'est bien pire, une épouse infidèle.
Elle songe à ses lectures libertines. Pourquoi les maris y sont-ils le plus souvent cocus, impuissants ou morts ? Les héros de l'histoire sont toujours l'amant, la maîtresse. Ce sont les rendez-vous d'adultère que l'auteur décrit, jamais ce qui se passe dans le lit conjugal. Ce constant l'ébranle et l'irrite à la fois.