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Citations de Thierry Serfaty (151)


IL était allongé sur le lit, le regard rivé au plafond.
Dans la pénombre, les électrodes ressortaient en taches claires sur les ombres de son visage. Les câbles multicolores s’en échappaient depuis le crâne, les yeux, le menton, le cou. D’autres fils enlaçaient le corps, témoins du cœur, de la tension et de la fréquence respiratoire. Un corps prisonnier dissocié de l’esprit : tandis qu’on arrimait l’un aux machines, l’autre s’échappait. L’infirmière lui tendit le masque et le casque audio. Laurent n’esquissa aucun mouvement. Elle finit par les ajuster elle-même et quitta la pièce d’exploration du sommeil.
Derrière la vitre teintée, Stefania observait son mari.
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– Des rêves éveillés, peut-être. Des restes de ta nuit. Rien d’inquiétant, Vullierme me l’a dit.
– Non, ce ne sont pas des rêves. Des choses qui me sont… étrangères. Hors de moi.
Elle se leva et l’entraîna par le bras.
– Viens, Laurent, allons à l’infirmerie, Chantal va mettre les électrodes en place.
Il hésita. Ses yeux cherchaient sur les traits de sa femme une expression convaincante. Elle caressa son visage et colla son front au sien.
– Allons-y. Fais-moi confiance, dit-elle d’une voix plus douce. Laurent passa la main sur son crâne et se leva. Il lui sembla que le métal froid touchait déjà sa peau.
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L’incertitude de ses propres mots le plongeait dans la perplexité et le mutisme. L’étrangeté de ces hallucinations – car c’était bien à des hallucinations que les confrères de Stefania avaient assimilé ces apparitions – le dépassait. Il lui semblait qu’une partie de lui s’échappait pour prendre la forme de ces éléments visuels et sonores. Stefania avait anticipé le diagnostic, ou plutôt l’un des diagnostics possibles. Une entrée progressive en psychose. Délire non organisé, bouffées hallucinatoires chroniques. Pour se rassurer, elle finissait par en amoindrir l’importance.
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Son regard courut sur elle avant de la fuir. Stefania, intriguée, ne posa pas de question. Il avait déjà évoqué ces flashes, ces apparitions immatérielles, fugaces, des bulles qui remontaient pour crever à la surface de la conscience. Il les décrivait difficilement – des éblouissements, des échos, peut-être des fragments de visage. Ça le prenait le jour, parfois en pleine nuit, comme un cauchemar qui sort le dormeur de sa torpeur. Puis il revenait sur ses descriptions, et finissait par se taire.
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Quand elle l’avait épousé, il avait tout compté, tout consigné mentalement. Les fleurs dans chaque bouquet, les rangées de sièges dans l’église, les assiettes sur les tables, les lattes du parquet, les lumières au plafond. Elle avait songé que le calcul et l’ordre seraient intimement liés à sa vie, dorénavant.
Comme ce soir, dans cette chambre d’hôpital.
Elle se concentra avant de répondre.
– Tu étais ici il y a neuf jours. Précisément.
Laurent lui sourit pour la première fois, satisfait. Puis le sourire disparut comme une ombre passagère.
– Ces images. Neuf jours après. Ça durait moins longtemps, les autres fois. Maintenant, ça… m’envahit.
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– Alors là, je n’aurais jamais cru que c’était si simple de faire de l’art. Quand je pense que je me suis emmerdée à faire douze ans de médecine, et on ne m’a même pas demandé de plier les cartons d’invitation pour la soirée.
– Vous avez fait douze ans d’études pour apprendre à plier des cartons ?
Stefania le dévisagea, puis sourit, désarmée par la sincérité de la question.
– Laissez tomber.
Discipliné et assez indifférent, il avait laissé tomber.
Pas elle.
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– C’est envoûtant. Comment faites-vous ?
Il n’avait pas réagi, elle s’était mise à rire.
– Pardon. Je cherche à définir l’art. Idiot, non ?
– C’est un calcul.
– Qu’est-ce qui est un calcul ?
– Tout ça, dit-il simplement, les yeux rivés sur ses œuvres.
– Ces couleurs, ces ombres et ces lumières, un calcul ?
Elle avait ri, à nouveau, sans parvenir à franchir le fossé qui les séparait.
– Trente spots de sept teintes différentes sur chaque rampe, répondit Laurent de façon méthodique. Cinq tonalités d’une même teinte. Les couleurs ne sont jamais les mêmes sur deux rampes. Il y a dix-sept rampes, disposées dans autant de directions, sur les dix-sept surfaces verticales. Toujours.
– Toujours ?
– Toujours.
Stefania contempla les œuvres éphémères.
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es murs avaient été peints en blanc en une nuit, deux ouvriers avaient ensuite appliqué de la chaux selon les instructions précises de l’artiste. Il était resté derrière eux, tandis que leurs spatules dessinaient des accidents sur les surfaces lisses. À l’aube, deux camions avaient déchargé des rails de spots. Deux heures plus tard, les rampes lumineuses étaient disposées, fixées. Le soir, les lumières s’étaient allumées, les couleurs avaient heurté les reliefs et les aspérités, animé les murs, flotté sur les surfaces accidentées et précipité les ombres humaines dans ce mouvement. C’était stupéfiant. L’artiste était resté à l’écart, étrangement absent – sauf de son œuvre. Il semblait suivre la rotation des lampes ; seule la danse ocre, mauve et orange l’absorbait. Stefania s’était approchée de lui pour le féliciter.
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Stefania compta mentalement. Laurent avait besoin de cette précision, il ne supportait pas l’approximation. L’exactitude l’apaisait. Il en était ainsi depuis qu’ils s’étaient rencontrés, dix ans plus tôt.
L’hôpital fêtait alors ses trois cents ans. Le hall avait été transformé en galerie éphémère pour l’occasion. On l’avait dépouillé de son décor triste et, pour le faire vivre, on avait fait appel à Laurent Strelli.
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– Ces images, dit-il. Je les ai vues toute la journée.
Elle lui prit la main et l’obligea à s’asseoir sur le drap.
– Quelles images ?
– C’est surtout après avoir passé la nuit ici, dit-il sans l’écouter vraiment. À chaque fois, puis elles disparaissent. Maintenant, c’est plus fréquent, ça dure plus longtemps. C’était quand, la dernière nuit ici ?
– Il y a une semaine, environ. Mardi, je crois ?
Il la coupa, tendu.
– Combien de jours ?
Stefania compta mentalement. Laurent avait besoin de cette précision, il ne supportait pas l’approximation. L’exactitude l’apaisait. Il en était ainsi depuis qu’ils s’étaient rencontrés, dix ans plus tôt.
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Personne n’avait accès à la construction mentale de son mari – elle moins que d’autres, lui semblait-il.
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Laurent contempla son avant-bras. Des cicatrices et des hématomes tachaient la peau.
– Une perfusion ?
– C’est mieux. C’est plus facile pour faire des prélèvements, ou pour injecter quelque chose.
Il leva les yeux sur sa femme, puis son regard se fixa ailleurs.
– Injecter ? Pour quoi faire ?
– Si tu préfères, on ne pose pas de perfusion. C’est d’accord.
Elle ne décela rien sur ses traits. Ni satisfaction, ni soulagement. La chaise : tout son être était concentré sur la chaise. Comme il pouvait le faire sur une table, un arbre, une brindille, n’importe quoi. Se figer pendant des heures. Contre cela, le parcours thérapeutique dans la clinique n’avait rien pu.
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Oui. C’est la dernière nuit que tu passes ici.
– Après je rentre et je ne reviens plus. Quel que soit le résultat.
– Je viens te chercher demain.
– Tôt, précisa-t-il.
– Oui, tôt. Je serai là à ton réveil.
– Je ne vais pas dormir.
– Tu vas dormir.
– Je te dis que non.
Stefania ne répondit pas. Il avait dit la même chose la nuit précédente, et celle d’avant. Chaque fois, depuis des mois. Elle desserra son étreinte. Le long corps de son mari se détacha sur le mur. Il se redressa, l’ombre s’étendit sur le lit en signe de résignation.
– Allons-y, dit-elle.
.
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Stefania posa la main contre la porte de la chambre et ferma les yeux un instant. Sa main glissa jusqu’à la poignée.
Son mari était debout, près du lit. Son haleine dessinait sur la vitre un halo brumeux.
– Dernière nuit, dit-il.
Les mots ne l’avaient pas quitté depuis ce matin, lui non plus, tel un refrain obsédant. La jeune femme s’approcha. Ses mains glissèrent sur la nuque rase, le long du dos, sous les bras, se rejoignirent sur la poitrine. Laurent la protégeait de la lumière d’hiver, déclinante. Elle se serra contre lui. Le dos de son époux était froid.
– Oui. C’est la dernière nuit que tu passes ici.
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– OÙ ?
– Chambre 22.
Stefania Strelli ressortit. L’infirmière se précipita derrière elle et s’arrêta sur le seuil de l’infirmerie : la neuropsychiatre ne semblait pas avoir envie qu’on la suive.
– Il n’a pas accepté que je pose une perfusion.
– Je reviens, dit le médecin.
– Il ne veut pas rester, il dit qu’il a changé d’avis, que…
Stefania tourna la tête.
– Je reviens
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Elle longe les couloirs. Des cris montent et meurent derrière des portes. Un pan de sa blouse s’accroche à une poignée, elle tire sur le tissu d’un geste sec, elle entend la déchirure. Elle avance.
Oui, c’est la dernière nuit.
Et elle tiendra sa promesse.
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Son pas martèle le sol. Les têtes se tournent, elle ne s’arrête pas. Elle croise un patient : ses yeux vides traînent sur elle avec indifférence, elle se sent transparente. Elle l’oublie aussitôt. Elle songe à l’homme, le sien, qu’elle a plongé dans cet univers insaisissable, enfermé dans ces pièces glacées. Quelque chose se tord en elle. Garder le cap, ne pas fléchir.
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LA dernière nuit.
Ce sont ses mots. Ils résonnent en elle comme un écho sans fin, il lui semble qu’ils ricochent contre les parois de son crâne.
La dernière nuit.
Il n’y en aura pas d’autre et il n’en démordra pas, elle le sait. Elle a lu la détermination dans sa posture rigide, ce matin, dans son regard fixe, cette façon particulière de martyriser ses mains.
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- J'aime bien lire à l'envers, dit-elle en retenant ses larmes. Ca raconte d'autres histoires.
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Rien n'est plus précieux que le savoir
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