Le temps est venu de vous dire comment ces oiseaux à la patte puissante et incapables de voler sont apparus dans l'Etat d'Otchitchornyia dont la faune naturelle n'avait jamais vu de telles créatures. Un lecteur insouciant enverrait tout promener: tout ça, c'est des inventions, l'auteur arrive au bout de l'histoire des deux cousins, il est complètement abruti. Une fois de plus, ce lecteur là aurait tort : l'énigme des autruches et sa solution résident là où résident toutes les énigmes et solutions de notre société : l'argent. (...)
— Ces salauds-là, ils convertissent jusqu'au dernier centimètre cube du dedans, au dernier centimètre carré du dehors de ces fiers oiseaux, s'encolérait Tikh Bouréviatnikov, un double litre de Smirnoff à la main.
Dans le fond, qu'est-ce que j'en sais de sa vie actuelle? Peut-être qu'elle hurle de nostalgie, celle de son fils, celle de ses fabuleuses apparitions rue Gorki... Peut-être qu'elle échangerait le Connecticut entier contre ma mansarde, mon peintre et ses fleurs pas si innocentes que ça. La fuite en elle-même comporte une part de malheur, ce n'est pas pour rien que l'on dit que l'on ne s'échappe pas à soi-même.
Elles se levèrent et s'en furent d'un pas lourd vers le tramway : on aurait dit deux vieilles, et pourtant, c'étaient deux jeunes femmes en pleine sève.
Il attrapa au vol son petit-fils Boris IV et l'assit sur ses genoux. - J'espère qu'au moins ce rejeton-ci, Boris IV, suivra les traces de son grand-père et deviendra un grand médecin russe.
- Je les suivrai, grand-père, je les suivrai ! Où elles sont tes traces ? s'écria Boris.
Fallait-il rouler ses cheveux au fer pour obtenir quelque chose dans le genre dernier cri de la "couronne de la paix" ? Tout remonter pour dégager son col de cygne ? Ou les partager sur les côtés ? Ou les serrer en arrière ? Maman s'était drôlement bien débrouillée, elle s'était fait couper à la garçonne, liquidé tous les doutes, et de plus, elle avait rajeuni de dix ans.
Mais la nuit, la terreur envahissait les rues. Des dizaines de fourgons cellulaires émergeaient du portail de fer de la Loubianka et partaient en mission. A leur vue, le Moscovite ne manquait pas de détourner les yeux, comme tout homme qui chasse la pensée d’une mort inévitable. Mon Dieu, pourvu que ce ne soit pas pour moi, pas pour les miens, voilà, Dieu merci, ils sont passés. Où il y avait lieu, à l’adresse figurant sur le mandat, les fourgons s’arrêtaient et les hommes de la Tchéka pénétraient sans hâte dans les maisons. Le bruit de leurs bottes dans l’escalier ou celui de l’ascenseur montant en pleine nuit étaient devenues le fond ordinaire des terreurs moscovites.
On aimerait bien savoir comment naissent et combien de temps durent les stéréotypes russes. Avant la Révolution, dans les villes d'eaux du Pays Basque, l'on considérait tous les Russes comme des gens fortunés aux manières pleines d'aristocratique réserve. Après la Révolution, les Russes avaient été partagés en blancs et rouges, étant entendu que les "blancs" étaient d'une extrême pauvreté et les "rouges" fort riches, vu que c'étaient des "commissaires", des "bolchevik", des "tchékistes" et qu'ils émargeaient aux fonds secrets du Kremlin pour la forte somme. Ensuite, les Russes ont disparu ou plus exactement, se sont mués pendant des dizaines d'années en de vagues "Soviétiques" déplaisants et pitoyables Sans le sou. Puis soudain, là-bas au loin, l'Union soviétique a capoté, et à la place des personnages ci-dessus, sont arrivés des "nouveaux Russes" au portefeuille bien garni, parfois sans lui, mais les poches bourrées d'une quantité de devises étrangères. Ce sont ceux là que l'on a baptisés non sans raison "la maffia russe". Les Français croient voir l'ombre du meurtre et d'autres crimes courir sur leur face. Mais dans le fond, ici sur la Côte d'Argent, ils se tiennent convenablement. On dit qu'ils vivent de proxénétisme? Je ne sais pas, je ne l'ai pas vu. Sur la plage, ils s'emploient surtout à dorloter leurs plébéiens bedons. Ils se font cuire des œufs dans le sable et rafraîchissent leur vodka dans des trous d'eau entre deux rochers.
incipit :
Non, mais vraiment ! Un embouteillage à Moscou la huitième année de la révolution ! Toute la rue Nicolskaïa, qui coule de la Loubianka à la place Rouge à travers le coeur de Kitaï-Gorod, est encombrée de tramways, de charrettes et d'automobiles. Près du Bazar Slave, des camions à chevaux déchargent des viviers de poisson. Sous l'arche du passage Trétiakov, montent le hennissement des chevaux, les trompes des camions, les jurons des charretiers. La Milice s'empresse au son de trilles encore naïfs, comme si elle n'était pas toujours pleinement convaincue de la réalité de son rôle urbain et non politique, tout à fait normal. On se croirait à un spectacle d'amateurs. Les éclats de rage eux-mêmes sont factices. Ce qui frappe, c'est que tous ces gens-là jouent leur rôle de bon coeur. De fait, le bouchon de la rue Nicolskaïa est un événement heureux, comme un verre de lait chaud après les frissons d'une maladie infectieuse : la vie revient, c'est l'aube de la prospérité.
Qu'est-ce qu'il peut bien connaître à l'amour, Dimka ? Que peut-on bien connaître de l'amour à dix-sept ans, quand on est de bonne famille ? Oh! ce n'est pas le bagage théorique qui lui manque. Il a assisté à des conférences ad hoc et même contradictoires, sans compter que, depuis un an, il a le droit de voir tous les films, qu'il voyait avant, d'ailleurs.
Dans le fond, qu'est-ce-que je sais de sa vie actuelle ? Peut-être qu'elle hurle de nostalgie, celle de son fils, celle de ses fabuleuses apparitions rue Gorki... Peut-être qu'elle échangerait le Connecticut entier contre ma mansarde, mon peintre et ses fleurs pas si innocentes que ça.