Citations de Vassilis Alexakis (190)
Je venais de découvrir que le mot grec alétheia, vérité est composé du a privatif et de léthé, l’oubli.
-Les gens bêtes croient volontiers que les choses sont simples, m'a t il dit.
Il a aussitôt changé de sujet :
-Les cigales ont commencé de chanter à neuf heures dix du matin et se sont arrêtées une demi-heure plus tard, lorsque le vent a redoublé. est-ce qu'elles se rendent compte du bruit assourdissant qu'elles produisent ? Le mot tzitziki s'accorde parfaitement à leur musique : on devrait les appeler ainsi dans toutes les langues du monde.
Nous avons parlé des mots qui voyagent, qui font le tour du monde et que plus personne ne reconnaît lorsqu'ils reviennent chez eux après bien des années. Je lui ai avoué qu'il m'arrivait de me sentir en Grèce comme un mot intraduisible.
Quant à la marche, elle me fatigue plus que tout le reste. Les distances ne cessent de croître. Il y a peu, j'allais volontiers jusqu'aux colonnes vertes du porche. A présent elles sont trop loin, j'ai l'impression qu'elles se trouvent à l'autre bout de Kifissia. Savez-vous combien de pas je dois faire pour aller aux toilettes ? Vingt-sept ! Comment en suis-je arrivée à compter mes pas, moi qui étais une enfant si turbulente ?
Nous sommes les enfants d’une langue… C’est cette identité que je revendique… J’écris pour convaincre les mots de m’adopter… J’essaie de retrouver l’odeur des premiers livres que j’ai jamais lus, La petite Poule et Les Trois Petits Cochons.
Le pi (π) évoque ces baraques qu’on construit en toute illégalité, parfois en une nuit, dans les forêts, le rhô (P) un touriste robuste chargé d’un volumineux sac à dos, le phi (Φ) le même touriste vu de face. Le sigma (Σ) représente la gueule ouverte d’un poisson affamé. Le tau (T) est un marteau, l’upsilon (ϓ) un lance-pierres, le khi (X) une paire de ciseaux, le psi (Ψ), comme je l’ai dit un trident.
On ne doit entendre alors que la musique du jeu lui-même, le déplacement caressant des boules, leur imperceptible rebondissement sur la bande, la note juste et sourde qu’elles produisent lorsqu’elles se rencontrent. On dirait qu’elles s’excusent mutuellement. Le ping-pong a un caractère plus gai : son bruit évoque le pas d’une femme qui descend un escalier de marbre sur des talons aiguilles. Sa balle est à peine plus lourde que l’air. Elle est faite pour s’envoler. On a raison de la coincer sous la raquette quand le jeu s’arrête.
La nudité de la statue est presque provocante. Leurs regards ne se croisent pas parce qu’ils ne peuvent se croiser. Ils appartiennent à deux mondes différents. Antinoüs est plutôt pensif. La lumière crue accentue l’ombre dans le creux de ses yeux. Il ne comprend pas comment il a pu se trouver encerclé par ces fantômes de l’avenir. Les ouvriers ressemblent effectivement à des fantômes car ils ont tous un peu bougé au moment de la prise de vue. Leurs silhouettes sont à moitié effacées, comme usées par le temps, alors qu’ils ne sont âgés pour la plupart que d’une trentaine d’années. Peut-être l’adolescent regarde-t-il avec tant d’anxiété l’objectif parce qu’il devine qu’il appartient déjà au passé. Ils paraissent nettement plus vieux qu’Antinoüs qui a le charme de la jeunesse et dont l’image est parfaitement nette. On dirait que ce sont eux qui sont sortis de terre. Nous avons l’âge de notre pays, ai-je pensé. Nous sommes beaucoup plus âgés que nos ancêtres. Les anciens Grecs, c’est nous.
Le fanatisme religieux était inconnu à Rome aussi bien qu'à Athènes. Il a été introduit par les premiers chrétiens, qui avaient une mentalité proche de celle des fondamentalistes musulmans d'aujourd'hui. Ils étaient les soldats d'un Dieu qui ne tolérait aucune autre autorité que la sienne, aucune autre vérité non plus. Le monothéisme est un monologue. Les Romains n'auraient pas pris la peine de persécuter les chrétiens si la parfaite organisation de ces derniers et leur exaltation ne les avaient rendus dangereux.
Le roman historique ne me paraît acceptable que lorsqu'il ne prétend pas à l'érudition, quand il met l'histoire au service du roman, comme le fait si bien Alexandre Dumas.
L'écriture peut vous dire des choses que vous ne désirez pas entendre.
Le métier d'écrivain oblige à commettre plus d'une indiscrétion, à trahir plus d'un secret à voler quelques histoires Il faut tant de choses pour composer un livre qu'on est obligé d'emprunter aux autres.
À mon frère qui me demandait de lui résumer L'Idiot [de Dostoievski], j'avais répondu que c'était un épisode inédit de la vie de Jésus qui se passait chez les alcooliques russes.
Je suis en train de me souvenir d'un livre que je n'ai jamais écrit.
Le présent n'est que le témoin d'un dialogue sans fin entre notre mémoire et notre imagination.
Le premier mot a été l'épilogue d'un très long silence.
La littérature est incapable de rendre compte du silence, tout au moins d'un silence qui dure.
Les gens bêtes croient volontiers que les choses sont simples.
Je regarde à nouveau mon verre. De toute façon, je suis incapable de penser à autre chose qu’aux journées passées à Aix. Je revois sans cesse le film des événements, ma chute à la sortie de l’amphithéâtre où se tenait la réunion, l’ambulance. L’attachée de presse craignait que le service des urgences ne soit fermé à cause de la grève.
Nous sommes les enfants d'une langue... C'est cette identité que je revendique... J'écris pour convaincre les mots de m'adopter...