Véronique Soulé chronique "
Il était une fois... La Traversée" de
Véronique Massenot et
Clémence Pollet, dans son émission "Écoute, il y a un éléphant dans le jardin", sur Aligre FM, le 14 juin 2017.
"Disparaître" n'est pas mourir.
Ni deuil à porter, ni tombe à fleurir.
Juste une absence.
Des souvenirs.
Et cette attente insupportable...
Le jour pénètre dans ma chambre par la fenêtre du jardin, dessinant sur le sol, au travers des persiennes, de longues rayures irrégulières. A plat ventre par terre, de nouveau j'ai relu les lettres. Maintenant, c'est mon tour. J'écris sous ton regard, celui du grand portrait penché au-dessus de mon lit - notre portrait - que Melina m'avait offert pour mon dixième anniversaire. Elle a osé défier la mort de la pointe de son pinceau. Avec des couleurs vives et le talent d'aimer. Se souvenir, donner. Un tableau, un cahier. Et un sens à ma vie. Ma main, déjà, court et s'envole sur le papier. Les mots jaillissent, l'un après l'autre, du fond de ma mémoire, et notre histoire, si douloureuse, sort de ma chair, pour apparaître enfin, dans la lumière.
Les heures, les jours, les mois se sont succédé sans nouvelles.
Rien.
Alors, peu à peu, doucement, sur la pointe des pieds, l'espoir s'en est allé.
Plus de mots qui apaisent, puis plus de mots du tout.
le désespoir est muet.
Des nuages passaient, jouant à cache-cache avec le Soleil ou la Lune.
Et ils se déguisaient : tantôt en poule géante et tantôt en violoncelle, tantôt bouc barbichu et tantôt tour Eiffel...
[lettre d'une mère à sa fille disparue]
Cette nuit, j'ai compris, Paloma, que ton absence a rempli peu à peu ma vie, que j'ai fait le vide autour d'elle... (p. 45-46)
Soudain, tandis qu'ils s'apprêtaient à jeter leurs filets, une vague immense se dressa devant eux : plus qu'un mur d'eau, plus qu'une forteresse de mer, il leur sembla voir une créature géante, gueule béante ourlée d'écume, prête à les avaler tous - pêcheurs, barques et filets - tout cru !
[sous une dictature sud américaine]
Désormais nous savons. Plusieurs militaires en mal de paternité ont enlevé des enfants et les ont élevés. Ceux de leurs propres victimes.
Toute la journée, ils torturaient, violaient, des pères, des mères. Le soir, rentraient chez eux, tranquilles, un petit dans les bras.
Et leurs femmes étaient très heureuses. Peut-être même pleuraient-elles de joie ? Enfin mamans ! Quel bonheur ! Elles en rêvaient depuis tellement longtemps !
Des femmes ? Des mères ? Ces monstres ! Des poitrines vides. Pas de coeur pour donner l'amour. Des êtres sans conscience. Une messe à la place. Et la bénédiction de Dieu.
(p. 30-31)
« Excusez-nous, vous reste-t-il un peu de place? Nous rêvons de vacances en face! » Les singes acceptent, sans la moindre grimace. « Avec plaisir. Vos petits sont tout légers, c’est le moment de voyager! »
Je suis rentrée à pied.
Fière... et honteuse à la fois.
J'aurais pu lui avouer, moi aussi, les lettres que j'écris et que je n'envoie pas.De ces mots d'encre qui coulent de mon coeur.0
La nuit avait duré longtemps.
Une nuit brune, au ciel nu et sans lune.
Une nuit de brume et de cendres,
au ciel en deuil de ses étoiles...
La guerre avait mangé le monde,
les champs, les villes et les villages.
Comme un ogre ! Les ports, les plages
et les gens, minuscules, entre ses énormes
mâchoires d'acier.
Elle avait tout broyé, tout dévoré.
Tout englouti.
Ou presque...