L'interview de Franck Villemaud au salon « Lire à Limoges 2015 », par la chaîne de télé 7ALimoges. http://www.7alimoges.tv/
[Allez, One more cup of coffee, pour la route.
La reprise de Frazey Ford.
Je ne sais pas vous, mais moi j’ai quand même souvent pensé que Bob Dylan, il n’était jamais aussi bon que quand c’était pas lui qui chantait ses chansons.
Pas que je déteste sa voix, hein, mais elles sont tellement bonnes, ses chansons, qu’elles prennent encore une autre force dans la bouche d’un ou une autre, tout en gardant le même arôme génial de base.
Un peu comme le truc au monde que vous préférez à bouffer, en fait, et qui passerait entre les mains des plus grands chefs pour vous le faire redécouvrir sous d’autres formes avec chaque fois plus de plaisir.
Alors quand là, rien que pour vous et moi, mes enfants, c’est la petite Frazey Ford qui se met aux fourneaux, je ne vous raconte même pas la saveur que ça prend, une chanson de Bob Dylan.]
[…] à mon âge et vu la gueule que je me traîne, y a guère plus que Youporn qui soit assez ouvert d’esprit pour me donner du plaisir de temps en temps.
On a découvert son corps calciné sur les restes de son canapé calciné, au milieu de sa petite maison calcinée.
- Je ne t’espionne pas, mon prince – je veille sur toi, nuance.
- C’est gentil mais je suis un grand garçon, tu sais. Et puis à part peut-être un tour de reins ou une pénurie de capotes, je suis pas sûr de risquer grand-chose, tu sais.
J’étais devenu un compétiteur du sexe, finalement on ne peut plus détestable et d’autant plus débile que je ne concourrais que contre moi-même et mes propres records minables.
Mais je n’étais certainement pas d’humeur à m’encombrer de scrupules ou de peur du ridicule : désormais j’étais une bête, une bête à queue sans conscience ni culpabilité d’aucune sorte, et je l’assumais totalement.
L’important était de faire vivre et revivre à l’envi cet instant parfait, de retarder le plus possible l’instant où cet instant s’en irait.
Je me suis posé sur ma terrasse, histoire de retarder le plus possible le moment d’investir ma nouvelle maison qui m’écœurait déjà.
J’ai allumé une cigarette, me suis servi une première bière, puis me suis tranquillement effondré en larmes, tout en me disant entre deux sanglots morveux qu’il faudrait que je repeigne bientôt les murs blancs du rez-de-chaussée qui me rappelaient trop l’hôpital, voire que je repeigne ceux couleur chocolat de la mezzanine, histoire au moins de perdre du temps à quelque chose de parfaitement inutile qui me donnerait malgré tout l’illusion sur l’instant de faire quelque chose d’utile.
En rouge vif, tiens, pourquoi pas ?
En rouge vif ce serait peut-être chouette.
Ou pas.
Mais demain en tout cas, là pas le temps, là je fume et bois et pleure.
Vous voyez un peu comme j’étais con, comme j’étais terriblement, magnifiquement con. Con à en rejouer des heures le même morceau, juste pour le plaisir de jouer des heures avec elle. Alors qu’il était parfait comme ça, notre morceau, et qu’on en reviendrait sans doute au bout du compte à la version que nous venions de jouer – mais l’important n’était pas là.
De toute façon, le rock, c’est un truc de mecs, point. Les filles savent pas faire, c’est tout, c’est comme la charpente ou les concours de bites. Tiens vas-y, cite-moi une rockeuse, une vraie.
- Oula, attends... Ah ben tiens, si : Patti Smith.
- C’est un mec.
- Pardon ?
- Mais oui c’est un mec, Patti Smith, évidemment ! Non mais t’as vu sa touche ? Elle s’en cache même pas, d’ailleurs – regarde la pochette de Horses : costard-cravate. Verdict : c’est un mec ; un putain de bon rocker de mec, d’ailleurs.
- Chrissie Hynde !
- Un mec. Pareil. La pochette de Get close en 86 : même costard que la Patti sur Horses. Sans cravate, mais pareil. Un mec, donc. Pareil.
- Janis Joplin !
- Un mec. Moche.
On s'est regardé, tourné autour un moment en s'évitant, cherchant chacun le coin le plus opposé à l'autre dans la maison, histoire de retarder malgré tout encore un peu l'instant de dire les mots qu'on avait plus d'autre choix que de se dire, que ça y est on est au bout, que s'il te plaît ne nous gâchons pas, arrêtons, arrêtons avant de ne plus nous aimer.