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Critiques de William Trevor (100)
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En lisant Tourgueniev

En lisant Tourgueniev de William Trevor j’ai rencontré Marie Louise, une jeune fille protestante à la lisière du monde et de celle d’une communauté catholique provinciale. Le cadre: l’Irlande encore figée du début des années 50 mais montrant des signes avant-coureurs de changement.



Mais qui est Marie Louise? Qu’attend-elle au bord du gouffre et comment en est-elle arrivée là ?

Dans un récit alternant les temporalités, nous découvrons l’histoire de Marie Louise Dallon.

Marie Louise, adulte, recluse dans un asile dans les années 80 dont la fermeture est imminente, cohabitant avec une douzaine de femmes, une sororité en marge.

Marie Louise jeune femme en devenir dans la petite ferme familiale, rêvant de vivre en ville, à la recherche de l’époux idéal.



Un récit où la vie de l’héroïne, au-delà de ses propres souvenirs, est mise en lumière par le biais de ses proches, sa famille, Mrs Mullover l’institutrice à la retraite toujours soucieuse des ses anciens élèves, le révérend, mais aussi obscurcie par le regard de ses belles sœurs jalouses, malveillantes, de vielles filles frustrées, maniaques et acariâtres avec qui Marie Louise doit partager son quotidien depuis qu’elle a épousé leur frère Elmer Quarry, un drapier protestant de la bourgade, et qu’elle s’est installée dans leur maison familiale rivée au commerce du rez de chaussée, outil de travail de toute la famille. Ainsi sous nos yeux peu à peu un tableau prend vie animé par autant de voix que de personnages.



Très vite l’émancipation de Marie Louise tourne aux désillusions, au cauchemar et elle comprend que cette union avec un homme bien plus âgé qu’elle, un commerçant, est une erreur. Mariage de raison, mariage de convenance mais non mariage d’amour. Isolée, Marie Louise se replie sur elle même alors qu’ Elmer est aspiré dans une sombre spirale. Deux êtres noyés dans leur propre solitude, sans aucun confident, lui trouvant réconfort dans la boisson, elle dans un monde parallèle papier buvard de sa désespérance.



Alors que Marie Louise attend dans un univers qu’elle a recréé loin des contingences du monde réel elle s’évade et s’accomplit dans une relation amoureuse esquissée dans sa jeunesse en ressassant et en lisant Tourgueniev… Une ouverture rendue possible par le fruit du hasard, une retrouvaille inattendue avec Robert, un cousin perdu de vue qui ranime sa flamme... « le hasard à son mot à dire » se plaît à souligner William Trevor.



William Trevor a su m’absorber et m’entraîner dans les tourments, les difficultés de vivre de deux êtres que tout oppose et le bonheur de deux êtres qui se complètent. L’écriture et la finesse des analyses psychologiques permettent une immersion entière et rendent les personnages intimes. En filigrane se dessine les changements d’une société en pleine transition qui relâche peu à peu ses brides comportementales où deviennent envisageables les mariages mixtes entre Protestants et Catholiques. Aliénation et frustration sont ici évoquées avec une grande humanité et sensibilité mais une certaine tristesse se dégage à deviner ses vies sous clés, écartées de la société, de leur famille pour leurs comportements incompréhensibles ou dérangeants, les « timbrées », les mélancoliques. A travers Marie Louise, William Trevor nous suggère que lorsque le monde réel devient cruel et insupportable, le rêve peut devenir refuge et l’imagination consolation. “Je m’intéresse aux ‘désaxés temporaires‘, parce qu’ils sont un miroir possible pour chacun de nous” une confidence de William Trevor qui prend du sens dans En lisant Tourgueniev.



En lisant Tourgueniev j’ai découvert l’univers de William Trevor (1928-2016) et j’ai été heureuse de partager les chemins de vie d’êtres en souffrance, des vies bouleversées et, parcourir la campagne irlandaise avec ses lieux cachés et oubliés lors des escapades en vélo de Marie Louise.



En lisant Tourgueniev forme un diptyque avec Ma maison en Ombrie, l’ensemble ayant été publié en anglais sous le titre générique Two Lives. Un titre déniché en papillonnant dans les rayons de la librairie d’une recyclerie. Un hasard heureux. Un univers à redécouvrir.
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Lucy

« Lucy » est une œuvre qui a toutes les caractéristiques du roman classique, à ceci prés que l’auteur a su ménager des surprises à son lecteur et un suspens digne d’une épopée.

Tout commence par une nuit de 1921, dans une Irlande agitée par les rebelles qui réclament l’indépendance du pays, le capitaine Everard Gault, propriétaire terrien, blesse à l’épaule d’un coup de fusil l’un des trois gamins venus incendier sa ferme et qui ont empoisonnés ses chiens. Il décide de mettre sa femme Héloïse et sa fille de huit ans Lucie à l’abri en partant s’installer à l’étranger et en laissant la propriété à la charge de son gardien Henry et de sa femme Bridget. Mais le jour du départ, Lucie s’est enfuie refusant de quitter sa maison natale. On retrouve quelques jours plus tard son chemisier sur la plage. La pensant morte noyée, le couple Gault part désespéré pour l’Europe…

C’est sur ce quiproquo que William Trevor va bâtir toute l’intrigue de son roman et raconter avec des coups du sort et des rebondissements ce qui aurait pu être une banale histoire de famille.

L’écriture est claire et la beauté de la campagne irlandaise décrite donne toute sa poésie à ce récit. On est pris par la vie de Lucie et on a hâte d’en connaître le dénouement.

C’est un roman très agréable à lire, une promenade au milieu d’une nature verdoyante en compagnie de personnages attachants.

Traduction de Katia Holmes.

Préface de Carole Martinez.

Editions Phébus, Signature Points, 339 pages.
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Cet été-là

Nous sommes à Rathemoye, une petite ville Irlandaise,dans les années 50 où il ne se passe rien mais où la plupart des habitants continuaient à y vivre, les jeunes partaient pour l'Angleterre,parfois pour l'Amérique, beaucoup revenaient.Il était peut - être exagéré de dire qu'il ne s'y passait rien......

Lors des obséques de la riche madame Connulty, Ellie, une jeune femme , issue d'une institution, enfant du besoin et de l'humilité, née sans rien, n'attendant rien,mariée à un fermier veuf plus par devoir que par amour,croise Florian kilderry, et tombe éperdument amoureuse de lui, lui qui prenait des photos du lieu,du cimetière, du cortége....il loge dans un hôtel spartiate avant de vendre sa maison et de partir en Scandinavie...son passeport est prêt....

L'auteur décrit le quotidien d'une petite ville , raconte la vie des gens simplement, sans fioritures, il observe sans complaisance les personnages qui entourent le couple, le pasteur qui guidait les fidéles et posait les principes spirituels,miss Connulty , jalouse , cancaniére ,qui dirigeait une pension de famille, son frère Joseph Paul ne manquant aucune messe,un certain Orpen Wren, esprit dérangé racontant n'importe quoi à tout le monde dans la rue, le mari d'Ellie, homme honnête, respecté et sobre mais si ennuyeux au fond,....les gens s'épient , se scrutent,chacun a quelque chose à se faire pardonner, une faute passée, un accident oublié....on découvre décrite à petites touches la vie et les secrets de gens ordinaires ..tout en subtilités comme une photo oubliée en noir et blanc....

"Cet été là" scintille d'un amour fugitif, caché, glandestin et déchirant,l'amour qu'Ellie porte à Florian et réciproquement.

Cet amour illumine soudain son existence terne, mélancolique et routiniére...elle se prend à rêver que Florian va l'arracher à son statut d' épouse liée à un quotidien monotone auprés d'un mari qu'elle n'a pas choisi même s'il la traite bien.

L'écriture est délicate et pudique, le style est lent, riche de détails,subtil, l'auteur tisse autour du couple des histoires et des secrets ordinaires enveloppant cet d'amour d'été bref, lumineux et grave à la fois, un émerveillement passager, provisoire...

A la sincérité, à l'élan, à la loyauté d'Ellie répond la désinvolture, la puérilité, la distraction de Florian....partira t- il ailleurs?se construire une autre vie?

Leur relation durera où sera t- elle celle des espoirs déçus?

Il espérait qu'il lui serait difficile d'oublier Ellie, qu'au moins , il y aurait cela?

N'est - il que de passage?un roman irlandais tendre et nostalgique....à l'émotion contenue....

Un amour ...d'été...





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Cet été-là

Florian vend la maison familiale trop grande pour lui. Son projet est de partir mais en attendant il trie les affaires de ses parents décédés et se promène à vélo pour faire des photos dans les villages voisins.







Il arrive à Rahtmoye, petit village irlandais, en plein enterrement d’une femme pieuse et renommée. Les villageois sont présents pour lui rendre un dernier hommage. Florian prend des photos du cimetière, des gens, et se fait beaucoup remarquer.







Parmi les villageois se trouve une jeune femme, Ellie, mariée avec un fermier. Elle aussi remarque Florian.



Leurs sentiments comme l’été, prennent un peu de temps pour se mettre en place. Puis, comme une évidence, c’est l’amour fou, les rencontres cachées puisqu’Ellie est mariée, l’espoir d’une nouvelle vie pour elle, un bel été pour lui.







Autour d’eux, certains villageois se posent des questions, s’inquiètent pour Ellie. Puis cet été si beau, si lent ne fait rien pour arranger les choses. Ellie se pose beaucoup de questions sur sa condition de femme mariée, son mari, gentil bonhomme traînant ses propres failles, le fait de ne pas avoir d’enfant. Ellie se met à rêver. Le rêve de Florian est de quitter l’Irlande, seul.





C’est l’amour d’un bel été dans les années 50, une pause agréable dans ce monde.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Cet été-là

Nous sommes à Rathmoy, une petite ville irlandaise dans les années 50. La vie y semble paisible, immuable, même si le livre commence par un enterrement, celui d’une femme relativement riche, un personnage dans sa ville. Mais cette vie, où tout le monde connaît tout le monde, fait à peu près la même chose tous les jours, toutes les semaines, où l’on vit devant les yeux de la communauté, où rien n’échappe aux regards vigilants, est aussi étouffante, voire mortifère pour certains. Pour les enfants de Mrs Connulty, la femme morte, qui n’arrivent pas à sortir des rôles assignés par leur mère. Pour la jeune Ellie, mariée à un fermier bien plus âgé qu’elle, et qui a vécu un drame traumatisant avant de la rencontrer. Ellie rencontre un jeune homme, sur le point de quitter la région, et en tombe amoureuse, éprouvant enfin des sensations dont elle ignorait l’existence jusqu’ici. Mais Florian a vendu sa maison et il partira à la fin de l’été.



Comme à son habitude, William Trevor trace tout en finesse des portraits doux-amers de personnages attachants. Rien n’est asséné, tout est suggéré, pas grand-chose ne se passe, mais il y a une grande intensité dans les petits riens du quotidien. Il y a les souffrances enfouies, dissimulées dans des habitudes et routines qui permettent de faire comme si de rien n’était, la nostalgie de ce qui aurait pu être et qui ne sera pas, faute d’audace ou de chance, ou des deux. Et aussi des renoncements assumés, qui ne sont pas forcément que des abdications, des espoirs qui perdurent, entre raison et folie.



Un très beau livre, doux et violent à la fois. L’univers de William Trevor me touche une fois encore, et me donne envie de découvrir tous ses livres.
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Coups du sort



Les lieux sont toujours importants dans les livres de William Trevor. Ils sont un personnage à part entière du récit. Les pierres, emmêlées dans les ronces de l'Histoire "parlent", et influencent la trajectoire des vies.



Kilneagh est de ces lieux dont on ne se défait pas, comme un sortilège qui serait jeté dès la naissance.





1918. La vie à Kilneagh est douce, malgré les évènements du monde, rythmée par les saisons, et la vie de la minoterie, le départ et l'arrivée des domestiques : certains se marient et s'en vont, remplacés par d'autres qui découvrent la vie paisible de ce manoir. La famille - les Quinton - y font régner une atmosphère sereine dans laquelle tous se plaisent à donner le meilleur d'eux-mêmes et aspirent à vivre longtemps.



1918, c'est aussi la fin d'un conflit qui a endeuillé beaucoup de familles : beaucoup d'hommes ne sont pas rentrés. Aussi quand le père de Willie Quinton engage un dénommé Doyle, il le fait à contre coeur faute de pouvoir choisir, faute d'hommes disponibles. Doyle ne lui semble pas être un homme de confiance, la franchise ne semble pas l'habiter.



1920. C'est aussi une époque tourmentée de l'Irlande, entre désir d'indépendance et joug anglais, les affrontements sont quotidiens, les exactions fréquentes dans une atmosphère de haine et de vengeance...





Volontairement, je ne dirai rien de plus de l'histoire vous la laissant découvrir petit à petit au fil des pages. L'histoire d'un manoir et de la famille qui en est propriétaire, est racontée par trois personnages en un roman choral extrêmement prenant et passionnant.

Par la haine d'un homme, toute une famille verra sa destinée bouleversée comme si l'Histoire se chargeait de venir détruire l'harmonie qui habite cette demeure préservée.

La chronologie des faits, les implications, l'existence tumultueuse des personnages se dévoilent petit à petit dans les voix de ceux qui racontent laissant des zones d'ombre pour construire l'histoire d'une vie et faire le récit d'une tragédie.



La trahison et ses conséquences appellent-elles une vengeance ?

Doit-on sacrifier une existence à obtenir réparation ?

Que reste-t-il des projets de vie qu'on a formés ?



Et si l'Histoire était toujours avide du sacrifice de quelques uns...



(Mai 2021)
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Les enfants de Dynmouth

Rêveries d'un gamin solitaire par W. Trevor





Timothy rêve, il rêve tellement fort qu'il en crève les bulles des autres, leur petite vie tranquille, leur bonheur simple.





Il s'voyait déjà en haut de l'affiche

En dix fois plus gros que n'importe qui son nom s'étalait

Il s'croyait déjà le plus grand des grands fantaisistes

Faisant un succès si fort que les gens l'acclamaient debout





Vous vous rappelez de Chucky ? Cette poupée increvable à la voix de fausset possédée par l'esprit d'un tueur en série.





Et bien Timothy, c'est un peu le Chucky de Dynmouth.





Tout aussi infatigable, nourri aux séries TV et aux récits de tueurs, Timothy c'est le gamin qui raconte des horreurs avec un grand sourire innocent, choisissant ses victimes parmi ceux qui auraient quelque chose à cacher, quelque chose d'honteux et qui leur promet son silence en échange d'un service farfelu: la robe de mariée d'une morte, le transport d'une vieille baignoire, un costume trois-pièces, un grand rideau pour le spectacle de la Kermesse.





Timothy, c'est l'écharde dans votre doigt, c'est la crotte qui ne s'enlève pas de la semelle de votre chaussure, Timothy, c'est une obsession qui vous fait entendre des voix ou croire des choses qui peut-être ne sont pas ou peut-être que si --- Timothy, c'est celui qui hante vos nuits même quand il n'est pas là et vos journées quand il surgit là où on ne l'attend pas





“Je m'intéresse aux ‘désaxés temporaires‘, parce qu'ils sont un miroir possible pour chacun de nous”, William Trevor





C'est exactement ce qui se passe dans ce récit où l'auteur, nouvelliste écrivant des romans comme il aimait se dénommer lui-même, nous narre l'histoire d'un ado de 15 ans qui sème la terreur dans une paisible petite ville côtière d'Angleterre.





Timothy, ce dont il rêve, c'est d'être tout en haut de l'affiche, acclamé comme le nouveau Benny Hill (référence de l'époque) et il semble prêt à tout pour y arriver.





Timothy, vous l'aurez compris, il est un peu, beaucoup dérangé ou alors serait-il simplement une victime lui aussi dans cette histoire, un gosse laissé pour compte dans une famille où il ne trouve pas sa place ?





Et serait-ce une raison pour pourrir la vie des autres, s'immiscer dans plusieurs foyers, révélant des secrets dont ils se se seraient bien passés, leur ouvrant les yeux parfois...





Est-il seulement conscient des dégâts qu'il occasionne,

pire qu'une tempête ? ou s'en nourrit-il ?





Jusqu'où ira-t-il ? Suspens





Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi glaçant ou éprouvé un tel malaise en lisant un récit qui semblait si anodin de prime abord.





Fermez vos fenêtres, baissez vos volets, évitez de répondre au téléphone ou d'ouvrir la porte si on sonne.





Un petit Chucky avant d'aller au lit ce soir ?



PS: êtes-vous bien sûr que vous êtes seul dans votre chambre ?

Regardez un peu dans l'armoire, sous le lit, à la fenêtre, dans le jardin, sur la terrasse --- si si regardez bien





Un visage d'enfant sourit en regardant la maison
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Cet été-là

Fuir l’été actuel et se plonger dans l’un des années cinquante, quelque part sur le sol irlandais. S’immiscer dans la moindre petite parcelle du quotidien, à priori bien banal, de certains habitants de ce petit coin d’Irlande. Mais la banalité de la vie d’une bourgade existe-t-elle vraiment ? Chaque âme qui l’habite a un passé et un présent où se bousculent des impressions, des sentiments, des blessures, des pertes, des sensations et même des envies de protection d’une vague connaissance. Des personnes se croisent, s’observent, s’attirent alors que les gestes du quotidien continuent de se dérouler, tâche après tâche.

C’est un début d’été, un bel été dont les habitants se réjouissent dans ce bourg de Rathmoye. Avec ses commerces, son dépôt de charbon, ses pubs, ses deux églises… rien de particulier le distingue des autres petites villes irlandaises. Ce jour de juin, un jeune homme étranger au bourg prend des clichés des funérailles de Mrs Connulty. Ellie, la femme d’un fermier du coin, s’interroge sur cet homme venu à vélo et qui demande le chemin du cinéma brûlé lors d’un incendie survenu des années auparavant. Qui peut-il être et pour quelle raison est-il là ?



Lentement, très lentement, en s’attachant à tous les petits détails qui composent ces vies dites ordinaires, William Trevor nous les fait vivre de l’intérieur, avec un partage qui s’installe à notre insu, graduellement mais de manière diablement efficace. On se laisse aisément, presque hypnotiquement entraîner vers ces quotidiens scrupuleusement décrits. Ils laissent place parfois à des évènements plus ou moins dramatiques qui composent les existences des uns et des autres.



L’auteur nous fait rentrer au numéro 4 de la Grand-Place, la demeure de la défunte Mrs Connulty. Pas de chagrin chez sa fille qui n’était pas appréciée par sa mère. De cruels souvenirs remontent de l’enfance à la vue des bijoux qui sont désormais les siens. Avec son frère, elle partage maintenant cette pension à l’atmosphère morne. Frère et sœur n’ont pas grand-chose à se dire.

On se glissera à la ferme de Dillahan, l’époux d’Ellie, pour la suivre dans ses moindres mouvements ; nettoyer la laiterie, désherber le potager, ramasser les œufs… l’accent porté minutieusement sur chaque geste, même les plus anodins comme ouvrir la fenêtre, raccrocher la balayette, donne l’impression très nette de partager la pièce, les déplacements, de suivre ce rythme lent synonyme de monotonie des jours. Chaque vendredi elle va livrer ses œufs au bourg à quelques kilomètres qu’elle parcourt à bicyclette.

Florian, notre inconnu photographe, vit dans une gentilhommière, héritée de ses parents avec les créances qu’il ne peut honorer. Une vente et un exil sont ses uniques projets. Passif, sans aucun allant lié à son jeune âge, il vit doucement, au jour le jour. Les successives descriptions de cette demeure délabrée qui se vide peu à peu sont magnifiques. J’ai visualisé ce qu’elle fût, ce qu’elle est.

Il y aussi le vieux Orpen Wren qui n’a plus toute sa tête, qui attend chaque jour le train dans la gare désaffectée et discourt sur une ancienne demeure désormais rasée et ses habitants morts ou exilés.



Une autre rencontre d’Ellie et Florian se fera au cash and carry. Dans les habitudes d’un bourg à l’apparence tranquille, un homme arrivant à vélo se remarque.



Alors que la banalité des gestes de chaque jour emplit les pages, l’auteur y glisse subrepticement les échanges qui ont lieu entre Ellie et Florian. C’est un sourire qui ravit, une envie de rire étouffé. Dans les faits et gestes d’Ellie, ses pensées s’égarent vers le photographe et lui font parfois perdre le fil d’une conversation. Tout est dit sous couvert, modestement, et paradoxalement j’ai été saisie par la force de ce récit éthéré. Les songes de la jeune femme s’immiscent dans le texte comme ils s’immiscent dans son quotidien, la transformant et la faisant se sentir coupable sans pouvoir s’opposer à de telles pensées.

La construction est lente et minutieuse, même si on sent une accélération dans la seconde moitié. Cette trame intéressante insère aussi les personnages avec qui nous avons lié connaissance car les blessures des uns agissent et interfèrent dans l’histoire à venir. Elle nous fait également appréhender le temps qui file, au rythme des travaux des champs et des signes climatiques annonçant la fin d’une saison.



Ce roman est une perle mélancolique. Il dépeint à merveille la fugacité d’un été, des relations, mais aussi la fausse banalité de la vie lorsque l’on creuse dans les sentiments et le passé de chacun. J’ai aimé toute la sensibilité humaine qui se dégage de cette lecture simple et envoûtante, dans laquelle on entre à pas comptés, presque précautionneusement pour ne pas perturber le magnifique fil de cette histoire où les sentiments émergent et se démarquent des petits détails qui emplissent le quotidien.

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Cet été-là

Il s'agit d'une histoire d'amour interdite dans l' Irlande pudibonde des années 50 soumise aux diktats du clergé, aux rumeurs et aux cancanages .





Ellie se marie, presque malgré elle au fermier Dillahan, plus âgé et veuf. Il est gentil Dillahan mais il traîne un fardeau bien plus lourd que le travail de la ferme. Un drame le ronge. Ce fardeau s'appelle culpabilité. Et l'auteur nous raconte son histoire. Il gère" sa tonte, son enclos, son amas de vieilles barrières" en tentant vaille que vaille d'échapper à ses idées sombres.

Ellie croise Florian qui vient dans la région régler ses affaires et vendre la maison de ses parents décédés.



Nous vivons, le temps d'un roman, leur amour naissant, puis foudroyant et enfin douloureux mais de toute façon interdit. "Elle lutte contre son fantasme et s'agrippe à la réalité" Florian lui rappelle que" le temps ne pourrait que mettre à nu, ajoutant la blessure à la blessure, la douleur à la douleur et la honte à la honte".



Les personnages sont bien campés dans le décor verdoyant et unique de la campagne irlandaise. Il y a le curé qui accueille ses pélerins au confessionnal. Les soeurs de Cloonhill qui ne manquent pas d'influencer d'éventuels futurs adeptes et Miss Connlty "tranchante comme un rasoir" et qui, finalement se révèle bien différente et plus humaine.



Très beau texte. Très belle histoire qui ne peut s'articuler que dans le contexte auquel elle s'apparente. le style est concis, précis, les caractères parfois suggérés.

Ce livre on ne peut l'oublier, on peut par contre le conseiller.



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Les splendeurs de l'Alexandra

"Je suis un provincial de cinquante-huit ans. Je n'ai pas d'enfants. Je ne me suis jamais marié." Ainsi commence "Les splendeurs de l'Alexandra" de William Trevor.

Trois phrases courtes et lourdes qui tombent comme des pierres dans l'eau. Puis vient le récit d'un amour de jeunesse ou plutôt de l'amour de toute une vie. Harry est lycéen quand il rencontre Frau Messinger. Ses parents le destinent à reprendre la scierie familiale mais Harry s'y refuse. Alexandra a 27 ans et vient de la ville. Elle est anglaise, a épousé un allemand de 62 ans et la guerre a poussé le couple à se réfugier dans ce coin perdu d'Irlande. Harry est immédiatement ébloui par la beauté et la personnalité de cette jeune femme pleine de vie. 

"C'était une femme grande, mince à l'extrême, aux cheveux d'un noir de jais relevés au sommet de la tête, aux yeux bleus, aux lèvres minutieusement fardées. De ma vie je n'avais rencontré une personne aussi belle ni entendu une voix qui me fît aussi délicieusement frissonner." écrira-t-il dans son journal.



Parce qu'il se sent à l'étroit dans sa famille, dans son lycée, dans son église, parce qu'il rêve d'une toute autre vie que celle qui lui semble destinée, Harry va s'attacher à ce couple qui a le projet un peu fou de construire un cinéma dans cette petite ville de province irlandaise. C'est le cadeau que Herr Messinger veut offrir à sa femme avant qu'elle ne meure. Le cinéma s'appellera l'Alexandra. Et sur cet écran, Harry découvrira tout un monde, toute une vie de rêves.



"Ce jour-là, avant que je parte, elle me demanda de l'embrasser parce que c'était la veille de Noël. J'effleurai sa joue de mes lèvres et un instant elle glissa sa main dans la mienne."

Il n'y aura rien de plus charnel entre Harry et Frau Messinger. Il eut été facile pour l'auteur de nous écrire une sorte de "Blé en herbe" mais ce n'est pas le choix de William Trevor. A cela il préfère dessiner les contours d'un amour immense entre les deux époux dont Harry demeure le témoin privilégié. Toute sa vie sera marqué par ce haut idéal, cet amour total d'un mari pour sa femme. Le cinéma sera par la suite comme le tombeau d'Alexandra, un endroit sacré dont il ne pourra jamais se séparer.

"Je suis un vieux propriétaire de cinéma de cinquante-huit ans sans cinéma, pourtant lorsque je m'assois au milieu des sièges vides, mes souvenirs me comblent".



Roman nostalgique au charme suranné, "Les splendeurs de l'Alexandra" m'a conquise par son écriture subtile et pudique. Je me suis attachée à ce jeune homme qui refuse de perdre cet amour si beau et si pur que la mort a rendu éternel. Un amour de cinéma peut-être. La vie rêvée de Harry.
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Lucy

Les éléments qui peuvent infléchir sur le devenir d’une famille peuvent être multiples et puiser leurs sources dans l’Histoire, les êtres vivants, ou tout simplement la nature environnante. Parfois, les trois sources se concertent et tissent leur toile autour d’un petit cercle familial qui n’a pas les armes nécessaires pour résister aux pressions que les mailles exercent inexorablement sur son pourtour si fragile.



L’été 1921 voit une Irlande indépendante mais la guerre civile s’est installée et sème ses troubles visant les maisons cossues abritant une présence anglaise. C’est le cas du domaine de Lahardane, près d’Enniseala, où vivent le capitaine Gault, sa femme anglaise et sa fille Lucy. Après une première tentative d’intimidation qui s’est soldée par l’empoisonnement des chiens, des jeunes activistes récidivent pour incendier la maison mais Everard Gault blesse l’un d’entre eux à l’épaule et dès lors, la peur de sa femme n’y voit qu’une issue : l’exil.

« Je ne partirai pas de Lahardane. » Lucy, bientôt neuf ans, ne peut se résoudre à abandonner cette maison perdue dans son écrin forestier et maritime, ses allées pavées desservant le jardin et un verger, ses chambres donnant sur la mer, le bleu des hortensias explosant sur le gris de la pierre et la longue allée flanquée de marronniers qui mène à cette demeure. Elle ne remplira pas la valise bleue toute neuve mais préparera quelques vêtements et nourritures pour rejoindre un cottage abandonné dans la forêt. De sa fugue, elle espère le retour de ses parents sur leur décision d’un départ précipité. Les planches posées pour obstruer les fenêtres de sa maison lui sont insoutenables. Mais c’est là que la nature intervient en plaçant un trou sur le chemin de Lucy qui endommagera fatalement sa cheville. De ses baignades faites en catimini et d’un chien sans nom chipeur de sandales et vêtements viendra la certitude, pour ses parents, que leur enfant s’est noyé.



Dans un quotidien scrupuleusement décrit, dans les bruits ou les silences qui martèlent les évènements, William Trevor signe ici un roman aux accents terriblement tristes où le deuil, la solitude et les remords ondoient sur des personnages ne pouvant lutter contre ces forces invisibles écrasantes.

Lorsque le départ est imminent, il nous fait ressentir le silence qui s’installe, juste troublé par la fermeture des malles et valises. Dans ce silence, une promesse flotte mais ne demande qu’à sombrer, celle d’un retour possible, mais l’exil, qui semble le drame intrinsèque de cette terre irlandaise, sonne son irrévocabilité.

Le regret de ne pas avoir discuté davantage avec Lucy de leur départ accompagnera les parents dans leur deuil qu’ils vont traîner dans leur exil. Aucun endroit ne sera assez loin pour fuir la mémoire de ce tragique passé qu’ils s’interdiront d’évoquer. Ils poursuivront leurs voyages sans jamais éloigner le chagrin alors que Lucy poursuivra sa vie à Lahardane sans jamais s’autoriser d’être aimée.

L’auteur esquisse aussi le désarroi qui s’empare de l’homme blessé par Everard Gault, une culpabilité confuse dont il ne pourra se défaire.



Dans ce roman, William Trevor, avec une magnifique plume éthérée, qui évoque encore bien plus que les mots marqués sur les pages, pétrifient des existences à partir d’un contexte historique et de déductions erronées. Lucy, ses parents, l’homme blessé, ne se débâteront pas. Leurs sorts se fossiliseront sans aucun bonheur de vivre, dans l’attente d’une rédemption qui n’arrivera pas ou alors si tardivement, si imparfaitement… Le temps effritera les êtres et délabrera les intérieurs.

Dans l’attente du retour des parents, Lucy, cachées sous ses robes blanches en souvenir de sa mère, laissera filer les années, recluse à Lahardane, malgré les doux efforts des rares personnes qui traverseront sa vie.



C’est une lecture plutôt écrasante sur les conséquences de ce choix cruel entre s’exiler ou rester, avec de petits faits qui bouleverseront tragiquement les destins, mais la force mélancolique soufflée par l’auteur est absolument envoûtante, magnifiquement écrite et suggérée. Avec des personnages accablés qu’il sait nous faire aimer, William Trevor sublime l’infiniment triste qui a résulté d’une page de l’histoire de cette magnifique terre irlandaise.

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En lisant Tourgueniev

En lisant William Trevor, je me disais que ce court roman était à sa façon un vrai petit chef-d'œuvre. Tourgueniev désigne ici l'auteur le plus fréquemment lu par une femme mal mariée et son cousin (aimé d'elle en secret puis ouvertement). En se plaçant sous le patronage du grand roman russe, cette oeuvre se trouve en bonne compagnie. Mais il faut dire que les points communs sont nombreux. Comme Anna Karénine le roman retrace l'existence d'une femme malheureuse et comme chez Tchekov on dépeint ici l'a vie de province, les rêves avortés, les hommes parfois minables et pourtant d'une grande bonté...

Rien ici ne correspond à l'image que l'on peut se faire d'une Irlande de carte postale des années 1950 qui occupent la place centrale du livre. On est aux antipodes de l'Homme tranquille. Pas de joie de vivre dans les pubs, pas d'évocation de la nature sauvage, mais au contraire les mesquineries d'une campagne arriérée vue au prisme d'une famille protestante au sein d'une Irlande ultra-majoritairement catholique.

La traduction semble parfois renforcer la volonté apparente de Trevor de se rapprocher des grandes oeuvres russes.

Toutefois ce livre écrit à la fin du 20ème siècle n'est pas que cela. Sa construction habile mélange chapitre anciens et situation actuelle en préservant une large part de mystère et le roman se révèle d'une incroyable profondeur en particulier à propos du pouvoir de la littérature (mais le livre en témoigne), de la beauté des amours platoniques, et de la difficulté à percevoir les autres. Un roman magistral que je recommande chaudement ! Certaines scènes restent gravées telle cette dérisoire et terrible soirée au premier jour du voyage de noces...
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En lisant Tourgueniev

Marie-Louise Dallon a grandi dans la ferme de ses parents, avec sa sœur Letty et son frère James. Quand elle accepte la demande en mariage d’Elmer Quarry, qui dirige la boutique de draps de la ville, elle s’engage dans une union morne. « Elle s’était mariée moitié par impatience, moitié par ennui et elle avait été payée de retour, avec usure. » (p. 114) Le mariage est un échec et les époux cohabitent sans vraiment se rencontrer, sous l’œil aigre des sœurs d’Elmer, Rose et Mathilde, deux vieilles filles acariâtres qui n’ont jamais accepté l’union de leur frère avec cette fille trop jeune. La déception conjugale est mutuelle, mais les époux ne se haïssent pas. Ils se contentent de vivre côte à côte sans rien attendre. Et voilà que Marie-Louise renoue avec son cousin Robert, un jeune homme à la santé fragile. Une ancienne attirance renaît et devient une véritable affection. « C’est ainsi que son cousin lui a fait la cour, en la faisant accéder à l’univers d’un romancier : c’était la seule chose en leur pouvoir, lui, d’offrir, elle, de recevoir. Et pourtant la passion est née, seule forme de consommation de leur amour. » (p. 235) Hélas, cet éveil à la tendresse est de courte durée et Marie-Louise reste seule avec ses sentiments, prisonnière de son mariage et de l’attention suspicieuse de ses belles-sœurs. C’est dans un grenier qu’elle vit ses meilleures heures, entourée des souvenirs et des livres de son cousin.



Le lecteur découvre Marie-Louise des décennies après le début de son histoire, alors qu’elle vit dans un établissement de soin, traitée pour un mal que l’on suppose moins physique que mental. Solitaire et mutique, elle nourrit en elle le souvenir d’un amour non consommé, plus précieux que la parodie de mariage qu’elle a vécue. « Qu’elle et Robert se soient aimés était une chose, faire part de cet amour en était une autre. » (p. 131) Lourde d’un amour adultère et indicible, Marie-Louise souffre de cette affection secrète. Et, à l’instar des autres personnes, elle ne sait jamais se confier et avouer : dans l’Irlande des années 1960 peinte par William Trevor, dans cette petite ville sans agitation, on ne dit pas les choses tout haut, mais les rumeurs vont bon train et c’est dans le sous-texte qu’on apprend le plus de choses.



Fin et délicat, ce roman offre un émouvant portrait de femme porté par le style puissant de William Trevor. Qu’il me tarde de découvrir les autres textes de cet auteur irlandais !

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Ma maison en Ombrie

Publié en 1991, ce roman de William Trevor est présenté par l’auteur comme faisant pendant à un autre de ses livres, En lisant Tourgueniev. Il ne faut toutefois pas que le lecteur recherche un quelconque lien dans l’intrigue ou les personnages, les deux récits sont bien distincts.



Ma maison en Ombrie est le récit fait à la première personne par le personnage principal du roman, Emily Delahunty. Elle est une dame mûre, pas si loin d’entrer dans la vieillesse, et après une vie compliquée et nomade, dont certains épisodes seront évoqués de manière plus ou moins explicite dans le livre, elle s’est installée en Italie, dans une belle maison, transformée en maison d’hôtes. Un événement tragique a transformé ce qui pouvait être considéré comme une existence confortable et sans grand soucis : un attentat dans le train où se trouvait Emily, qui s’en est tirée sans réelles séquelles, mais qui a provoqué la mort de la plupart d’occupants de son compartiment. Elle a recueilli trois des rescapés dans sa maison : un vieil général anglais, qui a perdu sa fille unique, un jeune allemand son amour ainsi qu’un bras, et une petite fille américaine dont toute la famille proche a succombé. Emily, qui jusque là écrivait des romans sentimentaux à succès, n’est plus capable d’écrire autre chose qu’une sorte de chroniques des événements, avec des retours en arrière, qui évoquent son passé.



Le récit n’est pas linéaire, ni complètement structuré. Emily s’avère progressivement comme une narratrice pas complètement fiable. Sa mémoire embellit un certain nombre de souvenirs, sélectionne, recompose. Au moment du récit, elle a quelque peu tendance à abuser de l’alcool, sans même s’en rendre compte, ce qui fausse quelque peu son appréciation de la situation. Elle croit aux rêves, aux signes astrologiques, aux prémonitions. L’optimisme de façade, une façade de bonne humeur positive, laisse apparaître les blessures, les expériences très difficile qu’elle a vécues. Et malgré le séjour dans la belle maison, le sort des survivants de l’attentat n’est guère enviable au final. Le tragique est bien présent dans le quotidien, même si Emily refuse de l’expliciter, de le considérer comme tel.



Un beau livre, plein de lumière, même si la noirceur et la cruauté de l’existence sont terriblement présents.
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Hôtel de la Lune oisive

Je considère William Trevor comme un très écrivain, malheureusement pas assez connu et reconnu. Il a été question de lui attribuer le Nobel, et je regrette que les académiciens suédois n’aient pas fait ce choix, car cela rendrait ses livres plus accessibles. C’est encore plus vrai pour les nouvelles, dont il est un grand maître, et qui sont loin d’avoir été toutes traduites : pour pouvoir lire ce recueil, j’ai du le faire sortir de la réserve de la bibliothèque, et le gentil bibliothécaire avant de me le donner a essuyé la poussière qui couvrait le volume, visiblement pas ouvert depuis un très long moment.



Il contient pourtant, ce volume oublié des lecteurs, dix petits chef-d’œuvres de concision, de justesse, de cruauté aussi. Les personnages de William Trevor sont des êtres désarmés, fragiles, avec des failles, des faiblesses, qui les rendent vulnérables, qui en font des victimes potentielles. Dans les deux premières nouvelles, du fait de leur grand âge, dans d’autres du milieu familial, ou d’un handicap, ils peuvent devenir la proie de ceux qui convoitent quelque chose qu’ils possèdent ou tout simplement qui ont le pouvoir de les faire souffrir. La solitude semble être la compagne la plus fidèle de la plupart des personnages de ce livre, et c’est cela aussi qui les fragilise, qui les rend susceptibles de céder à la force ou au charme destructeur des forts, des sûrs d’eux, de ceux qui sont sans scrupules et sans sentiment de culpabilité.



Mais toutes les textes ne sont pas dans la même tonalité, l’avant dernier est presque comique, d’un comique grotesque. Un personnage imbu de lui-même et totalement creux, se voit remettre à sa place lors d’un cocktail par une femme quelque peu déséquilibrée, mais surtout prête à dire leurs quatre vérités à tous ceux qui croisent son chemin, avec une acuité pour repérer les défauts de chacun.



C’est comme toujours chez William Trevor d’une immense justesse, et au-delà des portraits psychologiques d’une finesse extraordinaire il dresse aussi des constats qui dépassent les individus : c’est la manière dont la société rejette à ses confins les personnes âgées qui rend possibles les tragiques aventures des Marston et de Mrs Malby, dont la peur panique de finir en maison de retraite l’amène à accepter des choses qu’elle n’a aucune envie d’accepter.



Très fort et dense, un magnifique recueil de textes, tous de très grande qualité, sans aucun raté.
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Les enfants de Dynmouth

Les enfants de Dynmoutth.



Années 70, dans une petite ville anglaise en bord de mer, Timothy ado de quinze ans épie tout le monde et se constitue un patrimoine de ragot dont il se sert pour obtenir par chantage les moyens de réaliser un numéro comico-morbide qu’il compte présenter au concours annuel des jeunes talents.



Il traque ainsi jeunes et vieux et leur rend la vie difficile. Avec ses habits jaune clair et ses cheveux filasse, Timothy nous est présenté par William Trevor comme un pervers indélicat, aux limites de la folie.



De fait ce garçon isolé sans père et sans vraie famille ne dirait-il pas la vérité et ne provoquerait-il pas des séismes dans toutes les familles comme le ferait un ange exterminateur?

Il est odieux et ricane sans cesse mais s’en tient à une ligne destructrice sans détour.



Trevor nous tend ce piège. Et nous y tombons en nous prenant à détester la personne elle-même de Timothy, ses propos et son comportement. On a envie qu’il se taise, qu’il lâche les gens qu’il tourmente, qu’il aille au diable et pire qu’il disparaisse on qu’on lui donne ce qu’on appelle une « bonne leçon ».



Une fois remonté comme un ressort, Trevor abandonne son lecteur à sa colère et lui donne une magistrale leçon d’humanité en réveillant le sentiment irrépressible du pardon, en montrant ce qui est caché, ce qu’on n’a pas voulu voir, aveuglé par une haine grandissante que le lecteur aura nourrie tout seul.



Un curieux malaise s’installe mais c’est trop tard. Impossible de revenir en arrière et nous comptons,malgré nous, parmi les habitants de Dynmouth avec nos propres secrets.



Ce livre sulfureux publié chez Phébus n’est pas préfacé par Michel Le Bris.





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Lucy

William Trevor affectionne, semble-t-il ,la fiction brève.

Nouvelles, bien sûr, mais aussi courts romans, dans lesquels beaucoup de choses sont éludées, varient en fonction de la mémoire de chaque personnage et en fonction de l'époque. L'écriture est lisse, l'analyse souvent très fine-c'est court, mais il vaut mieux ne pas sauter une phrase, il n'y en aura pas d'autre pour vous expliquer plus avant- comme dans la vie des personnages qui n'ont jamais droit à une séance de rattrapage.



Une famille, un couple et leur fille. Les parents décident de s'exiler, la petite s'enfuit et on la croit morte. Les parents quittent l'Irlande, Lucy revient dans la maison familiale où sont restés les domestiques et y passera sa vie. Le père, veuf et très âgé, entreprendra seul le chemin du retour.

Il règne dans les romans et les nouvelles de Trevor une atmosphère brumeuse et désespérée. Les détails n'abondent pas, il faut deviner, essayer d'entrevoir la lumière. Même au sujet du contexte historique, car, après tout, pourquoi fuient-ils, ces parents ? On ne le comprend qu'au début de la deuxième partie.

Nous sommes en Irlande au début du XXème siècle, l'Irlande de la guerre civile qui ensanglante le nouvel Etat libre. Et pourquoi Lucy s'enferme t'elle comme en attente ? Par choix, sentiment de culpabilité, inaptitude à la vie ? On n'en sait rien, elle non plus, c'est le récit de vies gâchées, de vies de malheur, de soumission à un destin, d'incapacité d'action et de révolte, un récit qui transpire la mélancolie et le désespoir, chuchoté par des petites phrases bien concises.

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Les enfants de Dynmouth

N'allez pas croire que Timothy emmerde le monde juste par plaisir. Non, c'est juste qu'il a absolument besoin de quelques bricoles pour présenter un sketch comique au concours "Les talents de demain" organisé dans sa ville.. Il s'imagine déjà y faire un tabac, être repéré comme le nouveau Benny Hill . Il sait qui peut lui coudre un rideau de scène, lui transporter une baignoire, lui prêter un costume et une robe de mariée mais comme personne ne semble décidé à l'aider, Timothy va devoir employer les grands moyens pour obtenir ce qu'il veut. Et croyez moi, ses moyens ne sont pas jolis jolis.

Face à l'indifférence, l'incompréhension et la méchanceté des adultes, ce gamin pas pire qu'un autre, juste un peu plus fantasque, se comporte de façon inquiétante. Tout à son obsession, il est totalement indifférent ou inconscient de la souffrance qu'il inflige à ses victimes en ébruitant ce qu'il sait. Même s'il prétend ne dire que la vérité ...

Trevor fait ici le portrait troublant et dérangeant d'un gamin face à des adultes respectables si préoccupés par eux même et leurs vilains petits secrets qu'ils ne sont pas capable de voir et d'entendre sa détresse.

Au début du roman on aurait presque pitié de cet ado sans père à la maison, rejeté par sa mère et sa soeur qui lui font bien comprendre qu'elles seraient mieux sans lui. Mais plus le récit avance, plus il devient odieux à force de s'incruster chez les gens pour réclamer ses satanés accessoires en les menaçant de balancer ce qu'il appris sur eux en les épiant. Il finit par devenir totalement flippant en harcelant et effrayant deux enfants qui n'ont aucun moyens de se défendre de lui.

Tout le monde déteste Timothy mais à qui la faute s'il agit ainsi ?

Au diable peut-être ...
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Le silence du jardin

Livre sorti des étagères pour continuer les lectures au gré des jardins : celui-là est en Irlande. Celle des années 1930 à 1960 et c'est l'histoire de l'existence de plusieurs membres d'une même famille et de leurs domestiques. Egalement l'histoire d'une demeure et de ses jardins...

Mais dont on ne peut raconter grand chose au risque de dévoiler tout l'intérêt du récit.



Les personnages sont attachants pour certains, détestables pour d'autres et la voix de plusieurs opinions nous raconte le quotidien de cette petite communauté.

C'est une lecture mélancolique qui nous parle d'êtres qui cherchent la façon de vivre une existence au plus près de leurs motivations, au plus près de leurs espérances.



Il y a toujours une certaine nostalgie dans les récits de William Trevor peuplés d'êtres parfois bien désemparés.



Ce n'est pas mon roman préféré de cet écrivain, mais c'est , cependant, un merveilleux moment de lecture.
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En lisant Tourgueniev

Nous suivons Marie-Louise, d'abord jeune fille chez ses parents, dans une ferme d'Irlande. Ils sont protestants, dans une région où ils sont de moins en moins nombreux, et le choix d'homme épousables se restreint, elle accepte la demande un commerçant de vingt ans son aîné, vivant avec ses deux soeurs, avec qui elle n'a pas grand chose en commun. Un amour d'enfance la lie à un cousin, malade, dont elle se rapproche après son mariage. Après la mort du cousin, ses comportements de plus en plus excentriques pour la petite communauté où elle vit, finissent pas la conduire dans "une maison de santé pour troubles nerveux".



Un livre bouleversant. Marie-Louise qui se réfugie de plus en plus dans une vie imaginaire, rêvée, pour fuir un quotidien terne et pénible, son mari qui fuit dans l'alcool, les deux soeurs acariâtres, les parents gentils mais à côté....tous les personnages sont rendus avec une grande justesse et sensibilité. Malgré la noirceur du sujet, il y a de beaux moments, une ironie aussi, finalement la "folie" de Marie-Louise lui donne une liberté, la possibilité d'échapper à ce qu'on veut lui imposer.

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