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Citations de Xavier Galmiche (20)


Je me dis souvent que j’ai le même rapport envers mes poules que Dieu doit avoir envers moi. Un peu d’émerveillement, un peu de hauteur, un peu de pitié.
Quand l’heure viendra de leur mort, elles ne comprendront pas : dans l’intuition du danger, elles auront peut-être des gestes de piété pour provoquer ma miséricorde, des gestes que je ne comprendrai pas, ou, comme la poule bleue entrevoyant sa fin imminente, émettront-elles un son minuscule de supplication – Dieu détournerait-il, sous prétexte que ma ferveur gesticule, la hache sur le point de trancher mon destin ? Dieu ne comprendra pas.

Mais l’analogie s’arrête : par fidélité machinale, les poules me donnent des œufs. Et moi, à Dieu, quoi ?
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Mon empathie avec la poule ne repose pas sur l’hypothèse d’une intellection mutuelle de la similarité de nos destins, car rien n’atteste que notre faculté de jugement respective soit similaire – même si rien ne l’exclut a priori.
Elle repose sur l’intime conviction d’un lot commun, décelable à certaines interactions avec les lieux auxquels le destin nous a assignés, interactions qui nous sommes communes, homme et poule.
Elle repose sur l’analogie, suspectée plutôt que sue, entre nos façons d’y réagir : tout en se défiant d’un monde, à long terme, ne promet rien de fameux, nous adonner aux sensations qu’il nous offre. Fussent-elles des pièges, elles offrent un sursis, un petit compromis avec la noirceur.
Toujours ça de pris.
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J’ai mis au point une formule que je risque à l’occasion, pour tenter le coup d’une vraie dispute à l’ancienne, une discussion à la loyale. La voici : « J’espère que Dieu aura pour moi autant de miséricorde au moment de ma mort que j’en ai pour mes poules au moment de la leur. Je n’en suis pas sûr, je suis même presque sûr du contraire. Mais je tente le coup. C’est une suggestion : à bon entendeur ! »
D’habitude, ça fait rire. Mais personne n’ose me prendre au mot et embrayer sur une authentique dispute. Mes congénères n’aiment pas parler de Dieu. Ils n’aiment pas parler des retombées métaphysiques du poulailler.
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De même que le 5 à 7 remplit la ville d’une armée d’ombres aussi zélée que furtive, il plonge le monde des objets dans la frange indécise où, sur le point de disparaître, ils sont rattrapés de force dans la sphère de l’existence, où ils redeviennent consommables, bons – enfin, pas toujours, mais en tout cas valeureux. Le 5 à 7 est la lisière aux contours flous, où paradoxalement l’être se régénère en son cœur même, à travers les choses qui cessent d’être déclassées, mais aussi à travers ceux qui s’en saisissent avec une passion (cupidité, faim, plaisir : tout est bon) qui font d’eux aussi des êtres valeureux. Vaillants, ils rendent leur butin précieux : cycle vertueux de la valeur.
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Je vois, noir dans la nuit noire, son regard vif entrecoupé de rares et imperceptibles battements de paupières, occupé à guetter le moment de sa propre extinction, déversant ce qui lui reste de force dans sa pupille pour que celle-ci soit encore impeccablement ronde d’opiniârteté au moment où le cercle de la mort la saisira, comme je t’ai saisie, ma poule, lorsque je t’aperçus dessous les fagots, et comme j’espère Dieu me saisira quand il viendra sans son seau blanc : la prunelle palpitante où bat l’envie de picorer, de courater, de vaquer, de faire des œufs, des fugues, des siestes, le tour des lieux.
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Le regard que je pose sur les vers de terre, j'espère que Dieu le pose sur moi. Je les vois appliqués et combattifs quand on les dit bêtes et lymphatiques. Je les mange en grande hâte, et apparemment sans autre préoccupation que de satisfaire ma voracité. Mais que se passe-t-il derrière mon œil vitreux ? Au moment où je les happe, je n'omets pas de me rappeler qu'ils sont des êtres, grands à leur manière, et sensibles à d'autres bestioles pour nous microscopiques, pleins de considération pour elles qui fournissent à leur corps longs et élastique sa nourriture, mais vraisemblablement aussi de thèmes à leur méditation.
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LE MYSTÈRE DE L’HOSTIE



extrait 2

            De meilleure mère il n’y eut jamais… quelques
jours durant. puis la couvée dépérit ; ne restèrent que
deux coqs en compagnie desquels elle se pavanait,
mère incestueuse, vivant presque au milieu de nous,
picorant jusque sous la table, causant du dégât au
jardin. Plainte des voisins, il fallut s’en débarrasser,
je trouvai une mémé du village qui accepta de l’adop-
ter ; je saignai les deux coqs, et m’employai à coffrer
la Va-nu-pieds.



p.18
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Cet appentis, à même la terre, dans le pré derrière notre hangar, c’est le poulailler !
Le mot est faible !
Poules, ma dinde et son dindon, pintades, parfois canards et moutons, mais aussi rats, sûrement bestioles rampantes et microbes, tout le monde ensemble !
L’hiver le transforme en cloaque.
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Pourtant, je tombe parfois en arrêt devant un ver qui semble dormir ou une araignée qui vaque et je me dis : « qu’il dorme, qu’elle vaque, confiants en la magnanimité des grands animaux que nous sommes à les laisser vivre leur vie de rampants ou d’insectes ». Ils se trompent, naturellement, car nous, grands animaux, nous avons trop faim pour les laisser filer de la sorte : comment continuer à pondre si nous renonçons à la ration quotidienne dont ils sont une part ? Et je les gobe d’un coup de bec. L’idée m’effleure qu’en m’apercevant penchée sur eux ils s’illusionnent et me prennent, moi pauvre poule dont le destin ride à peine la surface de l’univers, pour… Dieu !
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LE MYSTÈRE DE L’HOSTIE



extrait 3

      La capture eut lieu en réalité un peu au hasard,
alors que je l’avais surprise sur une botte de paille,
dans le coin le moins romantique du hangar, der-
rière la cuve à fuel, en train de pondre. Elle vit
que je l’avais vue, et suspendit net son opération.
Cela dénotait une belle maitrise du corps et, tout
en lui donnant la chasse je ne pus m’empêcher
de l’admirer. Elle se précipita sous des fagots de
branches sèches entre lesquels je la cherchais d’a-
bord en vain, car le noir de ses plumes se confondait
avec le brun des branches, et elle le savait bien, la
maligne. Au bout d’un moment cependant, je repé-
rai son œil qui palpitait d’angoisse, rond impeccable
au milieu de l’entrelacs hachuré du fagot : l’image
était magnifique. (Qu’est-ce qui, de l’angoisse ou de
la courbe parfaite de sa prunelle, attira davantage
mon regard ?)



p.18
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Il y a une chose qui fait toujours rire maman – que je lui dise « je vais aux poules ». Entre autres handicaps (elle est clouée sur son fauteuil), elle est de plus en plus sourde. Mais « je vais aux poules », ça, elle entend. Et elle rit – parce qu’elle pense « aller aux putes », et en effet – moi, aller aux putes, y a de quoi rigoler.
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L’histoire du respect pour l’œuf a sans doute déjà été écrite. Je me souviens d’un savant tchèque, un historien de l’art qui avait consacré un ouvrage épais aux images ovoïdes à travers les âges et s’acharnait à proposer son manuscrit, arrachant aux éditeurs des sourires polis. Est-il bien raisonnable de refaire cette enquête ?
Tentation, aussi, de chercher les bribes dans l’histoire personnelle, en remontant vers les premières admirations, les premières terreurs. Je tiens de maman, qui l’avait confiée avec pudeur, et malgré la pudeur – cette déclaration reçue de mon père : Je t’aime comme un cercle. Comme un œuf. Enquête à faire.
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LE MYSTÈRE DE L’HOSTIE



extrait 1


                                             Je l’appelais la Va-nu-pieds.
Sèche, petite, noiraude, vive, emportée, sympa-
thique. Fausse, rusée, mais si naïvement appliquée
à ses ruses qu’elle en était charmante. C’était une
naine toute noire, une poule pas très différente
d’un corbeau, la peau sur les os, pleine de carac-
tère. Elle dormait dans les arbres ; s’échappait sans
cesse, passait la clôture, par-dessus par-dessous, par
le moindre trou de grillage. Un jour elle disparut et
je la crus croquée par une fouine, mais quelques
semaines plus tard je l’aperçois vautrée dans l’auge,
les ailes déployées en éventail, me fixant de son œil
rond        (Toréador, prend garde ! un œil noir te
regaaaaaade…). Et comme je m’approchais avec le
seau blanc de la pâtée, elle souleva délicatement ses
ailes, comme Carmen aurait relevé ses jupons, étira
les pattes et découvrit douze poussins.
...


p.17
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Petit, j’admirais ma tante religieuse parce qu’elle clignait sans cesse des paupières, ce qui conférait à son visage un air futé, un peu moqueur, et en même temps inspiré ; plus tard, je retrouvai cette physionomie de sphinx espiègle chez le Président de la République, F. M. Signe ambigu : chez lui elle était symptôme de ruse, chez elle, l’indice d’une seconde vue qui faisait fi des apparences.
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Un matin cependant – mais peut-être est-ce en rêve – la poule me parle et au lieu de cot-cot, j’entends distinctement Goethe-Goethe-Goethe.
Goethe, oui ! l’écrivain philosophe de Weimar.
Je la détrompe.
« Y’a gourance, la fille ! Goethe, c’est pas moi ! 
Manquerait plus que tu me prennes pour Dieu ! »
Mais elle insiste : Goethe-Goethe-Goethe !
Quand l’incroyable devient réalité, l’homme occidental, éduqué à faire taire les prestiges qui peuvent illuminer sa vie austère, cède et s’autorise un pas de côté. Un peu cinglé, j’avance.
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pourtant en moi la conscience ne cesse de croître
je parie que le ver sur lequel je veille d’un coin d’œil partage l’intuition d’un système de regards qui se posent les uns sur les autres, infiniment – le sien sur l’animalcule, le mien sur le sien, et de proche sur nous les autres
il la partage sans le laisser voir, ni montrer qu’il la sait partagée
instant où il soupçonne derrière moi le Dieu véritable
peut-être la probabilité de cette hypothèse dépend-elle du secret qui pèse sur elle
surtout ne pas l’éventer
sage est le lombric qui se tait
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Dieu est grand, c’est à peine si nous apercevons sa face, aux moments fugaces où il se penche vers nous pour nous combler de bienfaits ou pour se saisir de celle d’entre nous qu’il a choisi d’emporter. De tradition, nous nous savons créées à son image, et de fait nous possédons comme lui deux pattes, deux yeux et une voix qui sort du bas de la tête, mais combien plus parfait que le nôtre est son corps à lui, puisque à la place des ailes il a de longs membres articulés qui se terminent par de petits tentacules qui le rendent très agile.
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AUJOURD’HUI NOTRE DOYENNE A ÉTÉ EMPORTÉE.
Elle se trouvait si fatiguée qu’il lui arrivait, alors qu’elle était à picorer ou à gratter la terre, de s’asseoir dans l’herbe pour somnoler. Et nous nous disions : « Qu’elle est mignonne, la petite vieille, avec sa plume terne, sa patte hésitante, l’oreille dure ! Qu’elle est gentille, avec ses pas restreints et sa diète si menue ! Et quelle longévité ! L’aurait-on oubliée, là-haut, pour tant la laisser traîner sur terre ? » Eh bien voilà ! nous avons vu cet après-midi Dieu s’introduire dans notre sphère, pencher sa main sur la vieille qui a à peine protesté, nous avons caqueté pour nous transmettre la nouvelle – et lui, il parlait dans sa langue, j’ai senti dans son attitude qui d’ordinaire me révulse une sorte de sens commun. On dit qu’avec la faculté de rire, c’est notre trait à nous, distinctif des autres espèces, d’avoir conçu que l’amour puisse s’imposer par-delà la stricte logique des intérêts et du conflit : pourtant, en cet instant, j’ai eu l’impression qu’en l’emmenant à son destin il se montrait capable de miséricorde.
Les esprits lucides me comprendront : de sentir que nous partagions peut-être cela, je me suis mise à rire, malgré mon chagrin de la voir emporter. À rire !
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Tel est notre pays : un royaume ou une contrée, l’appellation diffère selon les théories. Moi je dis « sphère », car je suppose qu’il en existe de semblables à la nôtre, autour de la nôtre et peut-être aussi infiniment loin de la nôtre. Je trouve du plaisir à cette extrapolation, mais c’est un plaisir difficilement communicable, car mes congénères (même et peut-être surtout celles que j’aime) ne comprennent pas ce qui me passionne. On me traite de philosophe ou de songe-creux. Mais je tiens bon – et tant pis pour les remarques, et tant pis pour l’ironie ! Tenace, je me consacre à la contemplation de notre vie singulière, entre l’attention méticuleuse à la matière et la spéculation passionnée sur les mondes possibles.
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Dieu prend nos œufs et, en échange, vide un seau débordant d’oignons, de fruits et de sucs mélangés. La corne d’abondance. Il fait tomber sur notre pays une pluie d’or, la manne de grains jaunes sur lesquels nous nous précipitons. De temps en temps il emporte l’une d’entre nous et nous ne la voyons plus, elle n’existe plus que dans notre mémoire, il l’emmène dans l’au-delà.
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