Citations de Yaa Gyasi (367)
J ai fermé ce roman avec une pointe de nostalgie, attachée aux personnages, désireuse d en savoir en core plus sur ce qu allaient vivre les 2 héritiers d’Effia et d’Esi. Pourtant au début je trouvais l écriture à certains endroits maladroite, remarquais quelques incohérences, un peu agacée et me demandant si c était la traduction qui n’était pas à la hauteur. Mais au fur et à mesure la plume gagne en aisance et en dextérité, et les personnages en profondeur puisqu ils sont les descendants de ceux qu on a rencontré au début . Ils en deviennent terriblement émouvants. On repense à leur père, à leur mère, à ce qu ils ont perdu et sacrifié pour qu’eux soient libres, aux aléas, aux lois régressives malgré l abolition de l esclavage. Sans jamais donner de leçons mais simplement en racontant la descendance et l héritage de 2 femmes ashantis,, ce livre offre une voix à ceux qui ont été victimes de crimes contre l humanité; il nous émeut, nous révolte et nous fait réfléchir à la mémoire, à l’Histoire, au devoir de mémoire. A lire !
Ce jour-là Sonny avait serré dans sa main l'argent que lui avait donné sa mère en rentrant chez lui, espérant ne pas rencontrer de blancs qui voudraient prouver quelque chose, car il savait dans sa chair, même s'il ne l'avait pas encore totalement enregistré dans son esprit, qu'en Amérique, le pire qui pouvait vous arriver était d'être noir.
"Ce qu'il vous faut, monsieur Agyekum, c'est une femme. Pas ce livre stupide."
"J'ai pas de famille", avait dit U à la cantonade. Il était venu à pied de Géorgie. Il était habitué à être seul, mais l'Alabama avait transformé sa solitude en une forme de présence physique. Il pouvait la prendre dans sa main quand il allait se coucher le soir. Elle était dans le manche de sa houe, dans les touffes de coton qui flottaient dans l'air.
Il sortit de la cave et revint accompagné de plusieurs hommes.
C'étaient des hommes blancs, les premiers qu'Esi ait jamais vus. La couleur de leur peau ne lui rappelait rien ni elle des arbres ni celle de la boue ou encore de l'argile.
"Ces gens ne viennent pas de la nature, dit-elle.
- Je te l'ai dit, ils viennent nous manger", répliqua Tansi.
"Aime-la", ordonna Cobbe, comme si aimer était un acte aussi simple que de prendre de la nourriture dans une assiette et la porter à sa bouche.
Tu veux savoir ce qu’est la faiblesse ? C'est de traiter quelqu'un comme s’il t’appartenait . La force est de savoir qu’il n'appartient qu'a lui-même.
« Bientôt », dit-elle, mais ce mot avait perdu toute signification. Je l'avais entendu prononcé par mon père et compris que c'était un mot vide, un mensonge que les parents racontent à leurs enfants pour les apaiser.
Les opioïdes agissent sur les circuits de la récompense du cerveau. La première fois où vous en prenez, votre cerveau est inondé de dopamine au point que vous êtes persuadé que les opioïdes sont, comme l'activité sexuelle ou la nourriture, bons pour vous, nécessaires à la survie de l'espèce. « Encore !
Encore ! » vous dit votre cerveau, mais chaque fois que vous l'écoutez, la drogue est un peu moins efficace et il en demande un peu plus jusqu'à ce que vous finissiez par tout lui donner et ne rien recevoir en échange - pas de flash, pas d'explosion de plaisir, seulement un soulagement temporaire de la détresse du manque.
La première fois que j'avais vu Nana drogué, je n'avais pas compris. Il était prostré sur le canapé, les yeux révulsés, un léger sourire sur le visage. Je crus qu'il était à moitié endormi, plongé dans le plus doux des rêves. Des jours s'étaient écoulés ainsi, puis une semaine. J'avais fini par comprendre. Aucun rêve ne pouvait causer de tels ravages.
Ma vie actuelle me paraît tellement éloignée de cet enseignement religieux de mon enfance qu'il m'arrive de me demander ce que la petite fille que j'étais penserait de la femme que je suis devenue - une neuroscientifique mettant parfois sur le même plan les fonctions du cerveau et cette essence appelée esprit par les psychologues et âme par les chrétiens.
Mais le souvenir demeura, cette leçon dont je ne me suis jamais libérée : le fait que j'aurais toujours quelque chose à prouver et que rien d'assez éclatant ne suffirait à le prouver.
Nana avait été le premier miracle, le véritable miracle, et l'éblouissement de sa naissance avait laissé une ombre durable. J'étais née dans l'obscurité de cette ombre. Je l'ai compris, même enfant. Ma mère m'en a convaincue. C'était une femme réaliste, pas tout à fait cruelle, mais pas loin de la cruauté.
Je traversai le séjour, bavardant avec les uns et les autres. Tous d'âges différents, de vingt-deux à quarante-sept ans. Et nos formations étaient tout aussi diverses - robotique, biologie moléculaire, musique, psychologie, littérature. Des chemins qui menaient tous au cerveau.
– Abena, lui avait-il demandé, qu'aurais-tu fait différemment si tu avais su que les plantes allaient mourir ?
Elle avait réfléchi un moment, s'était appuyé le nez du revers de la main et avait répondu :
– J'aurais apporté plus d'eau.
Son père avait hoché la tête.
– Alors la prochaine fois apporte davantage d'eau, mais ne pleure pas pour cette fois-ci. Il ne doit pas y avoir de place pour le regret dans ta vie. Si au moment de faire quelque chose, tout te paraît clair, si tu es certaine, alors pourquoi regretter plus tard ?
Mais j'avais dix ans et j'étais honteuse. Je restai assise pétrifiée sur ma chaise, espérant qu'elles ne pouvaient pas m'entendre de l'autre côté de la porte. J'agrippai si fort les rabats de ma bible que je laissai des marques de doigts sur les pages. Quand les deux femmes furent partis, je repris ma respiration et me pinçais la peau entre le pouce et l'index, un truc que j'avais appris pour m'empêcher de pleurer. A ce moment-là, pour la première fois de ma vie, j'ai détesté Nana. Je l'ai détesté, et je me suis détestée moi-même.
Et pour moi, le prix à payer pour avoir fréquenté une église où les gens murmuraient des mots méprisants à propos de "mon espèce" fut en soi une blessure spirituelle si profonde et si secrète qui me fallut des années pour les découvrir et y faire face.
La première fois que j'avais vu Nana drogué, je n'avais pas compris. Il était prostré sur le canapé, les yeux révulsés, un léger sourire sur le visage. Je crus qu'il était à moitié endormi, plongé dans le plus doux des rêves. Des jours s'étaient écoulés ainsi, puis une semaine. J'avais fini par comprendre. Aucun rêve ne pouvait causer de tels ravages.
Je pense que lorsque les gens apprirent ce qui était arrivé à mon frère, ils imaginèrent que je m'étais tournée vers les neurosciences à cause de lui ; en réalité, je m'étais engagée dans cette voie non pas ce que je voulais aider les autres, mais parce qu'elle me semblait la plus difficile à suivre, et que je voulais faire ce qu'il y avait de plus difficile.
C'était ainsi qu'on vivait ici dans le bush : manger ou être mangé. Capturer ou être capturé. Se marier pour être protégé. Quey n'irait jamais dans le village de Cudjo. Il ne serait pas faible. Il faisait le commerce des esclaves, et cela imposait des sacrifices.
Baaba se tenait à la grille de l'entrée. Elle semblait avoir vieilli de cent ans pendant les deux années d'absence d'Effia. Son rictus maussade était maintenu en place par les centaines de rides minuscules qui lui tiraient la peau, et ses ongles étaient devenus si longs qu'ils se recourbaient comme des serres.