Citations de Yu-jeong Jeong (101)
Je ferme la boîte mail et sors du cybercafé. Je marche à l'aventure en cherchant un endroit où dormir. La ville est déserte, la nuit de décembre est sinistre. La mer est cachée par un épais brouillard. Là-bas, devant moi, quelqu'un marche. Tap tap tap, j'entends le bruit de ses pas. Dans le vent salé, une puissante odeur de sang sature mes sens.
Il y a une semaine, j'ai connu la migraine la plus terrible et la plus implacable de toute mon existence. J'ai dû supporter un pouls devenu fou, des acouphènes qui me vrillaient les tympans et des maux de crâne atroces ; on me faisait bouillir la cervelle au lance-flammes. Et je n'avais aucun moyen de faire face si ce n'est m'allonger, respirer profondément, m'écrouler sur le lit en me prenant la tête dans les mains, tomber à genoux, pousser des gémissements bestiaux, attendre que la douleur passe en pressant l'arrière de mon crâne avec mes doigts croisés, suffoquant. J'ai souffert d'hallucinations, senti ma langue gonfler comme un testicule de taureau et m'obstruer la gorge. Jusqu'à ce que j'explose, le crâne éclaté en mille morceaux. Exploser de pitié envers moi-même, condamné à avaler cette merde toute ma vie...
Dans ce monde, on trouve toutes sortes de gens. Chacun fait tout et n’importe quoi de sa vie. Et quelques-uns deviennent des meurtriers. Par accident, par colère ou par jeu. Je crois que cela fait partie de la vie de l’homme. Pourtant, je n’avais jamais imaginé devenir l’un d’eux, ni que ma mère deviendrait une victime. Tout ce que je voulais, c’était avoir une vie à moi. Mon espoir, c’est que vienne le jour où je pourrais faire ce qui me plaisait, où je pourrais vivre ma vie à moi – après la mort de ma mère. Mais je n’aurais jamais pensé qu’elle mourrait de cette manière. Encore que si, d’ailleurs autant l’avouer.
En voyant ma mère allongée par terre, ma gorge se serre. En voyant ma main qui tient encore le coupe-chou, tous mes os se mettent à crier. Une voix plante des clous dans mon front. C’est toi. Le meurtrier. Toc. Toc. Toc.
Le sang afflue à mes joues brûlantes. La femme est pile devant moi. Il me suffisait de tendre la main pour la toucher. J'écoute sa respiration haletante. J'ai presque l'impression d'entendre le bruit de ses côtes à chaque respiration. De sa nuque monte l'odeur de l'adrénaline, acide comme la sueur, entêtante comme un parfum. Depuis que ma maladie de chien s'est déclarée, c'est la première fois que je sens une odeur aussi capiteuse et d'aussi près.
Mon thorax se raidit. Mon estomac se durcit, un ballon gonflé à bloc. Dans ma tête, le scénario maintes fois imaginé tourne en boucle. Suivre, épier, suivre encore, courir, se cacher, trouver, faire face... Le rasoir est toujours dans ma paume, son aile tranchante grande ouverte.
Ça fait cinq minutes que l'idée m'est venue que contre les taches de sang, il y a Google. [...] Je réveille mon portable [...] et j'ouvre Google. Je demande Comment effacer une tache de sang et toutes les astuces de tous les spécialistes en ce domaine s'affichent à la queue leu leu.
Frotter avec du dentifrice. Frotter légèrement avec de la mousse. Couvrir la tache de radis broyé. Frotter avec une serviette trempée dans l'eau oxygénée...
Tout cela est très tentant mais je n'ai aucun des matériaux de base en quantité suffisante pour traiter la couverture et le drap. Autant rester fidèle à l'eau de javel expérimentée auparavant.
Vu les étoiles qui brillaient dans ses yeux, il devait se trouver dans le cosmos ou quelque part par là. J'étais de plus en plus curieux. Qui était la fille qui l'avait envoyé la nuit dernière dans l'espace infini ?
Aucun risque qu'il entre dans ma chambre [...] Haejin n'empiète pas sur le territoire d'autrui. Que ce soit par le biais du corps, du regard ou des paroles, il n'agit que dans la limite de la tolérance des autres. A une femme en train de se noyer, il demanderait d'abord la permission de saisir sa main. Ceci dit, cela ne risque pas d'arriver, car non seulement il ne sait pas nager mais il a une véritable phobie de l'eau.
Je me sentais plus libre dans l'eau que sur la terre et la piscine était mon véritable chez moi, plus que l'école ou la maison. Dans l'eau, il n'y avait pas ma mère. C'était mon monde à moi. Là, je pouvais tout faire. Comme je voulais. Absolument tout.
Prologue
(...) pour parler franchement, je suis littéralement tombée amoureuse des Bonobos.
Leur sensibilité aiguë, profonde, leur grande intelligence, leurs gestes pleins de vivacité, la richesse de leurs expressions faciales...Mais ce qui m'a le plus touchée, c'est qu'ils soient aussi timides et peureux. Ils me fixaient de très près comme s'ils voulaient me sonder, puis, à un moment donné, leurs yeux noirs qui semblaient s'insinuer d'un seul coup en moi me faisaient oublier que j'étais une humaine et me poussaient à me comporter en bonobo avec eux: s'observer mutuellement d'un air nonchalant, la gueule ouverte, ou quémander un contact physique en tendant les lèvres en bec de canard, ou encore rire tous ensemble à en perdre le souffle. (p. 6)
(...) peut-être voulait-elle empoisonner mon bol de riz ? oui, c'est peut-être ça qu'elle mijotait? La bête la plus démente doit tout de même manger.
Le lien le plus coriace et le plus sordide au monde est celui du sang.
Hyeon-su est retourné vers la fille. Fléchissant un genou, il s'est accroupi à côté d'elle. Un visage étrange et effrayant accrochait son regard. La fille était exagérément maquillée ; le fard appliqué sur les paupières faisait de ses yeux deux trous noirs ; entre les lèvres éclatées, la chair rose d'une gencive sans dents s'offrait à la vue. Et à côté d'elle, il restait là, lui qui courait à sa perte : conduite sans permis, en était d'ivresse, accident meurtrier...
Ce n'était pas possible. Ce n'était pas juste. Il n'avais jamais fait de mal à une mouche. Il n'avais jamais commis de crime, il n'avais jamais mis les pieds en prison. Il n'avais jamais fait suer personne. Il n'avait jamais eu de rêve de grandeur, il se contentait du bonheur de pouvoir nourrir sa famille, élever son fils, se payer un verre de soju de temps en temps.
Je ne garde aucun espoir dans les rapports humains même si on fait parfois preuve de sympathie envers moi. Rien ne me trouble, quelles que soient les circonstances dans lesquelles je me trouve. Je sais. L'embarras est une réaction normale à la surprise. La fureur résultant de l'humiliation est une réaction saine. Répondre à l'amitié par l'amitié est humain. C'est ainsi que les adolescents de mon âge réagissent. Seung-hwan m'a dit que je devais vivre comme eux. Je lui ai répondu qu'il devait omettre "comme eux" dans sa phrase.
D'après le spécialiste Ryu à Wamba, les bonobos sont les animaux les plus proches des humains sur le plan des sentiments, de la mémoire et de la capacité à tisser des liens amicaux; ils lisent les pensées des humains beaucoup mieux que les chimpanzés. Ils ne comprennent pas le langage humain mais captent les émotions contenues dans les phrases, y réagissent et s'en souviennent. Ils ont également la capacité de se rappeler un événement précis: qui ? quand ? où ? quoi ? comment ? pourquoi ? (p. 74)
Pour elle, le stress était l'un des prétextes préférés des lâches. Tous les êtres vivants étaient selon elle voués à subir la pression. Chacun devait se battre jusqu'au bout pour abattre tout ce qui menaçait sa survie. Ainsi à défaut de la vaincre, il fallait au moins savoir lui cracher dessus. C'était sa manière de vivre à elle.
- Tu as un talent inné pour comprendre les émotions des animaux, tu dois bien le savoir, non ? a-t-il dit sur un ton indifférent, mais tout de même chargé d'une note de déception.
Et c'est tout, il n'a pas réagi davantage. En plus, le talent dont il avait parlé était aussi un défaut problématique, d'après lui: ma "tendance excessive à l'humanisation". (p. 86)
Les prédateurs ont une autre façon d'appréhender le monde, m'a expliqué Hyewon. Ils ne ressentent pas la peur, ils n'éprouvent ni angoisse, ni mauvaise conscience. Ils ne sont pas capables d'empathie. Avec ça, ils sont incroyablent doués pour lire les sentiments chez les autres et savent en profiter. Ils sont nés ainsi.
Demander à un buveur où et pourquoi il a bu est aussi utile que de demander à un mort pourquoi il est mort.
J'ai lu quelque part que quand on donne un pistolet à un homme, il tire. C'est la nature humaine.
Son front plat comme si une vache avait marché dessus heurtait Yeong-je. Non, c'était la femme qui l'irritait, dans son ensemble. Sa peau fine comme du parchemin, des expressions faciales sans profondeur, des yeux rusés scrutant son interlocuteur... Le pire, c'était son corps flétri comme une feuille de chou fanée. On aurait plutôt troué un quartier de viande de bœuf pour s'ébrouer dedans plutôt que de la baiser.