Une (bonne) enquête policière avec pas mal d’hémoglobine, et aussi quelques scènes de sexe explicites, le tout dans un ton belgo-bruxellois très accentué, ça vous tente ? Alors vous avez trouvé le bon livre ! On y croise un tueur en série réellement psychopathe, un policier très doué qui se retrouve ainsi face à sa première série d’échecs, et son équipe très humaine, très amie, très soudée qui l’entoure chacun avec ses spécificités. Bref, que du bonheur !
Évidemment, ce qui précède était la version courte, car je dois bien l’avouer : malgré un sentiment très positif qui persiste deux jours après avoir terminé ce bouquin (eh oui, pour une fois j’ai un peu tardé à rédiger mon avis), les quelques regrets qu’il a suscités sont toujours bien présents eux aussi – et je dis bien regrets, pas défauts, car il s’agit bien d’un ressenti tout à fait personnel, et ici il est exacerbé par le fait que l’essentiel de l’intrigue se déroule « chez moi », à Bruxelles, où je vis désormais depuis plus de 20 ans, où a toujours vécu mon mari, et où sont nés mes trois enfants.
D’abord, comme dans de nombreux livres très « localisés », je regrette que l’éditeur n’ait pas proposé de carte pour présenter ma ville ! Il est quand même question de plusieurs des communes de Bruxelles-Capitale, ainsi que de plusieurs communes de la périphérie (flamande) – pour moi qui vis ici, c’est du quotidien ; pour un Namurois (Namur étant la « capitale de la Wallonie », or je suis namuroise et y ai vécu plus de 25 ans, n’allant alors à Bruxelles que de façon très épisodique pour faire du shopping…) ou un Français ou un Québécois, qui, les uns comme les autres, ne connaîtraient Bruxelles que de très loin, mais qui se risqueraient à lire un tel livre ; bref, pour des non-initiés, tout cela ferait peut-être « couleur locale », mais ça génèrerait aussi pas mal d’incompréhensions, qui peuvent entraîner une certaine frustration – d’autant plus que la situation géo-linguistique de la Belgique, et de Bruxelles en particulier, est compliquée ! Je ne demande pas une introduction géo-politique à mon pays, juste une petite carte bien faite aurait été déjà bien utile.
En revanche, l’éditeur (en concertation avec les auteurs j’imagine) a fait le choix de proposer ce livre avec un double marque-page : l’un très sympathique qui rappelle la couverture, c’est toujours appréciable, et l’autre, double-face, qui reprend, je cite, les « expressions belges ». Si, au début, j’avais trouvé l’idée formidable, à l’usage je suis nettement plus dubitative. En effet, ces expressions belges sont un florilège certes alphabétique mais complètement aléatoire (et dès lors pas forcément opportun) d’expressions populaires issues du flamand, de mots typiquement bruxellois, ou parfois bruxello-wallons qui sont utilisés au jour le jour, mais aussi de mots d’usage courant qui ne sont même pas tout à fait des belgicismes ! J’ai notamment été bien étonnée de trouver dans cette liste des mots tels que « souper » - après tout, on soupe aussi dans certaines régions de France ! – ou « nonante » - que nos amis suisses ont également adopté, et qui soit dit en passant, est beaucoup plus logique (d’un point de vue mathématique) que l’imbuvable quatre-vingt-dix !
Mais surtout, ce que je veux dire avec tout cela, c’est que les auteurs usent et abusent de ces mots et expressions… donnant à Bruxelles (et à la Belgique) une teinte très particulière, qui est certes agréable et fait sourire tout le long du livre quand on connaît, mais qui a malgré tout un petit côté artificiel et peut faire penser aux non-initiés que les Belges ne savent décidément pas parler un « bon français » - ou, pire, pourrait leur faire penser que ce livre est truffé de « fautes ». Alors, je les rassure (mais ils liront moins mon avis qu’ils ne liront ce livre) : non, on ne parle pas comme ça, comme nos personnages, au quotidien à Bruxelles ! Le langage que les auteurs mettent dans la bouche de nos personnages existe certes, mais se rencontre surtout dans certains quartiers plutôt populeux, et auprès d’une population d’un âge plus avancé que celui de nos héros. Ainsi, il paraît forcé et peu naturel, quand il apparaît de façon ainsi exagérée dans les dialogues de nos protagonistes.
En outre, je reconnais que j’utilise moi aussi un certain nombre de ces expressions (et, s’il en est que je n’utilise pas spontanément, aucune ne m’était inconnue), mais certainement pas au rythme soutenu de nos personnages, et encore moins dans un contexte professionnel quel qu’il soit ! Pour ne donner que quelques exemples : cette liste contient « -ke : (suffixe) petit » (vous avez pensé à Manneken Pis, non ?) – eh bien, tous les jours, spontanément, j’appelle mon petit, dont le prénom est Julien, « (mon) Juleke » ! C’est normal et c’est mignon (enfin, ça l’est pour nous). En revanche, cette liste cite aussi « smeirlap : saligaud, cochon, ordure », que pour ma part je n’utilise jamais, à moins d’être très, très, très, très (vous avez compris) en colère contre la personne que je désignerais ainsi ; d’ailleurs, la traduction vous donne déjà une idée – en réalité, c’est un mot 100% flamand (ce qui n’est pas signalé), et en flamand donc, c’est une grave insulte qu’il vaut mieux ne pas prononcer à haute voix… Oh ! et je fais régulièrement du « stoemp » pour ma famille… mais ce n’est pas exactement de la « purée de pommes de terre aux légumes », même si ça y ressemble, de loin! Le mode de préparation est différent, et souvent très « familial » (comme tous les plats typiques, c’est aussi un moyen de cuisiner les restes, qui peuvent être très variés) et le degré d’écrasement est très grossier, laissant de gros morceaux bien visibles…
Tout cela étant dit, au risque de me répéter : je dis oui à une langue française qui n’a pas honte de ses racines propres, de ses spécificités régionales même empruntées à une autre langue, et qui les utilise sans faux-semblants… mais j’adhère plus difficilement à ce choix des auteurs d’accentuer ces traits-là, dès lors de façon trop artificielle, au risque de flirter avec une certaine caricature. Mais comme je disais : je pense que c’est un choix parfaitement assumé des auteurs, et je le respecte tout à fait ! même si ça me donne un petit sentiment de malaise en pensant à l’image que ça peut refléter de ma chère ville, auprès de ceux et celles qui ne connaissent pas, et qui feraient l’erreur de prendre ce livre et les expressions de ses personnages au pied de la lettre…
À part ces détails géo-linguistiques, auxquels je suis très sensible comme vous l’aurez compris, ce livre est vraiment un tout bon polar qui balade le lecteur comme il balade notre équipe de policiers. Les auteurs ont opté pour une histoire toujours très visuelle, et réellement je suivais la petite équipe tout au long de sa progression dans l’enquête à travers la ville (puisque les noms de rue sont cités clairement, puis on tourne à gauche ou à droite, on s’y croit vraiment !). Comme l’équipe de policiers, on a des doutes sur certains personnages… et si, pour ma part, je n’avais pas deviné qui était le tueur, je n’ai pas non plus été surprise, car tout à coup on se rappelle l’un ou l’autre détail qui avait frappé lors de la lecture, de ces détails parsemés çà et là l’air de rien, sans réelle mise en exergue, mais suffisamment interpellants sur le moment, pour revenir en force au moment de la révélation.
Les personnages ne sont pas ultra-travaillés, on n’est clairement pas dans un thriller psychologique (même si, dans certains passages, on n’en est pas loin), mais ils ne sont jamais lisses non plus et parviennent à susciter un réel attachement : on ressent véritablement la rage mêlée d’accablement d’un David Corduno humilié, confronté à ses premiers échecs dans une brillante carrière de policier ; on a envie d’accompagner son ami de toujours et collègue Michel, malgré ses propres failles dans sa vie privée et le fait qu’il soit moins présent qu’il ne voudrait dans un contexte difficile ; on rencontre avec plaisir les amies de Sascha ; et mention pour « Le Fabe » et son esprit parfois décalé d’informaticien – à la limite du cliché, j’en ai connu de ces informaticiens au mode de pensée tellement « différent » du commun des mortels qu’on en reste parfois pantois, mais ici c’est exploité intelligemment.
Pour clôturer, il faut aussi révéler la petite histoire : je lis ce livre bien « tard » car je ne l’ai découvert qu’à la parution du second tome ! J’étais en pleine panne de lecture lors de la sortie de ce premier opus, et l’ai donc complètement manqué ; or, je reprenais peu à peu goût à la lecture lorsque j’ai découvert le second, lors d’une de mes désormais habituelles déambulations en librairie – librairie dans laquelle les nouveautés belges sont toujours mises en avant, et je n’en remercierai jamais assez mon libraire ! Moi qui ne lis presque jamais deux tomes d’une même série à la suite, je sens bien que je ne vais pas tarder à lire « … Jeux de vilains », j’ai hâte de retrouver cette bien sympathique équipe dans une nouvelle enquête !
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