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3.97/5 (sur 82 notes)

Nationalité : Chine
Né(e) le : 01/07/1937
Biographie :

La guerre sino-japonaise puis la guerre civile contraignent Bai Xianyong et sa famille à trouver refuge à Taïwan.

Dans les années soixante, Bai Xianyong part achever ses études aux Etats-Unis où il s'installe. Il enseigne le chinois à l'université de Santa Barbara en Californie.




Source : chroniques.bnf.fr
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Citations et extraits (10) Ajouter une citation
Sur la table un reste de chandelle d'un demi-pouce achève de se consumer - les coulures ont fait une sorte de galette de cire ocre étalée - et ne luit plus que par une flamme bleuâtre agonisante.
Qingsheng et Jade sont tous deux étendus sur le sol. Qingsheng gît sur le dos. Sa gorge est ouverte, béante d'une entaille large comme le rond d'un verre à boisson ; le sang y coagule en un caillot violet. Sa veste grise est mouchetée d'innombrables taches vermeilles, il y en a des grosses, il y en a des petites. Jade est penchée au-dessus de lui, une dague plantée dans sa poitrine, et dégoutte du sang frais, qui tombe sur la poitrine de Qingsheng. Un large disque d'un rouge intense croît et s'étale sur le chemisier clair-de-lune qu'elle porte.
La figure de Qingsheng est glauque, la bouche noire ; des boucles de cheveux sont collées sur le front, les sourcils rapprochés. La bouche est close. Les poils de la moustache aux nuances verdâtres sont couchés vers les côtés, soigneusement, comme toujours, et paraissent si doux...Une main de Jade entoure le cou de Qingsheng. Jade repose, la joue appliquée sur la poitrine de Qingsheng. Cette pression à son visage en étire les traits, en amplifie les formes ; et les boucles d'oreille baignent dans le sang de la gorge de Qingsheng.
Le visage de Jade est décoloré ; les couleurs en sont parties avec le liquide rouge qui l'irriguait ; les lèvres font deux fines lignes bleues. Les sourcils sont longs et leur arc épanoui, les paupières soudées ; l'expression du visage est sereine ; elle semble dormir douillettement.
Qingsheng a les paupières entrouvertes, et ses deux poings sont serrés fortement, et son cou tordu. On pourrait croire qu'il n'a pas rendu le dernier soupir, qu'il lutte encore, de toute sa jeunesse, aux prises avec son tourment, avec ce qui l'entrave.
Je m'étends auprès d'eux, et je les caresse. Je mêle leurs deux sangs de mes doigts. Je voudrais bien dormir un peu moi aussi. Ma main ressent le contact du liquide visqueux et froid. Je perds conscience de ce que je fais.
Il me semble que du dehors, le soleil a franchi le seuil, et pénètre tièdement dans la pièce, en y rampant.
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Une chandelle dont la flamme s'étire brasille sur la table ; à côté, une bouteille de vin vide est couchée parmi les assiettes contenant les reliefs d'un repas. Au dossier d'une chaise est accrochée la robe couleur de jujube tout à l'heure portée par Jade. Au pied du lit, ses escarpins aux broderies verdoyantes côtoient en bon ordre les chaussons noirs de Qingsheng. Jade n'est vêtue que d'une chemisette. Sa chevelure est défaite ; une longue mèche noire est déroulée jusque sur sa poitrine. Elle est étendue sur le dos. Ses bras enserrent le cou de Qingsheng le torse nu, qui expose une échine blême et décharnée. Les bras longs et fins du garçon sont posés sur les épaules de Jade. Il appuie le front contre sa poitrine ; niche sa figure dans la chevelure épaisse de Jade. Au chevet du lit, un brasero dispense une bonne chaleur par des flammes sombres. Cette lueur rejaillit sur les murs qu'elle fond dans des teintes rougeâtres. La moustiquaire rougeoie elle aussi.
Jade est méconnaissable. Son visage est enluminé, le plein cintre des pommettes bombées brille et flamboie. Des cheveux en trame filandreuse poissent le front. Les yeux mi-clos fulgurent d'éclairs. Des paroles incertaines, des ahans s'échappent de ses lèvres entre-closes. Tout à coup, sa chevelure tout entière vole, est projetée vers l'avant, sa bouche rencontre l'épaule de Qingsheng qu'elle mord comme pour en détacher la chair ; ses mains agrippant ce dos se mettent à ressembler à des serres d'oiseau rapace. Les doigts pénètrent la chair.
Elle se redresse légèrement à présent, elle saisit la chevelure de Qingsheng et presse cette tête contre son sein. Elle fait comme si, coûte que coûte, la tête de Qingsheng devait entrer dans son coeur.
Les bras frêles du garçon sont pris de tremblement ; ils ne s'arrêtent pas de trembler, tels ceux d'une hase blessée à mort. Il gît, les membres secoués de convulsions, mou et débile, comme frappé de paralysie. De nouveau, Jade porte la bouche à son épaule, mais il se débat, se défait d'elle dans un ultime effort ; il roule sur le côté et s'immobilise à plat ventre au milieu de la couche. Il geint misérablement. La bouche de Jade est ensanglantée à un coin. Sur l'épaule gauche de Qingsheng naît une minuscule goutte rubis qui lentement forme un chemin, court, tombe et se multiplie sur son flanc livide.
Jade se prend à pleurer, est secouée de sanglots, puis sans transition, brutalement, devient douce, d'une douceur absolue, inconcevable. Avec précautions, elle se glisse vers lui, contre lui ; "Comment te sens-tu ? comment te sens-tu...dis-moi...", continue-t-elle de lui demander ; elle pose sa joue sur le dos de son amant et fait de ce geste une caresse qu'elle répète, montant et descendant le long de ce dos. Elle rencontre l'épaule meurtrie qu'elle baise puis entreprend de frotter doucement la blessure de la pointe du doigt, avec un zèle tendre, que grandit son appréhension d'ulcérer le mal. Il pleut sans cesse des perles brillantes qui, de ses yeux viennent se briser sur le dos du garçon.
Je demeure immobile longtemps, ahuri et pétrifié.
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Le vieux monsieur Fu me regardait avec insistance, ses sourcils gris acier froncés.
"Vous autres gosses, comment pouvez-vous comprendre ce qu'est la douleur d'un père ?" Il appuya la main sur mon épaule et poursuivit gravement : "Aqing, tu n'habites ici que depuis quelques jours et je te considère déjà comme un membre de la famille. Toi aussi, tu as un père, et à cette heure il souffre à cause de toi. Moi aussi j'ai eu un fils, et, comme Wang Kuilong, il a brisé le coeur de son père. J'aimerais te le raconter ce soir, te narrer l'histoire d'un père ..."

p. 295
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Jade bondit, elle se précipite sur Qingsheng ; elle serre son cou entre ses mains et, dans le même mouvement, se réfugie entre ses bras. Elle dit d'une voix gutturale :
- Qingsheng, Petit Frère Qing, tu ne dois pas faire ça, tu ne peux pas me faire ça à moi. Je n'ai que toi, Qing Qing, Petit Frère, qu'est-ce qu'il me reste si je te perds ?
Qingsheng la repousse. Il se débat, d'une voix sourde et monocorde il répète :
- Jade, Jade...
Il se débat plus vivement, elle le serre plus fort encore ; elle serre en usant de toutes les forces de son corps ; ses bras tremblent par saccades. Elle dit :
- Non, non, tu ne dois pas Qingsheng, ne me quitte pas ! Si tu veux de moi, si tu veux de moi vraiment je ferai tout pour toi je supporterai toutes les fatigues, toutes les peines si tu voulais patienter seulement quelques années on aura de l'argent on partira d'ici ensemble toi et moi...toute sa vie Jade aura soin de toi, toujours elle veillera sur toi elle te servira te chérira elle achètera pour toi une belle maison elle sait que tu n'aimes pas celle-ci qu'elle ne te convient pas elle le sait...Jade sera à ton côté tous les jours elle te tiendra compagnie chaque jour Petit Qing il te suffit de dire que tu le veux.
Qingsheng lutte pour se dégager ; sa figure est congestionnée, bleuissante. A son front emperlé apparaissent d'épaisses nervures, qui saillent et étoilent, telles des doigts.
De toutes ses forces, il écarte les deux mains qui enserrent son cou. Il saisit Jade par les épaules, il lui dit :
- Soeur Jade écoute-moi, je t'en prie, ne sois pas comme ça ; si tu m'aimes comme tu le dis, tu ne dois plus t'occuper de moi. Si tu continues à vouloir te mêler de ma vie, je devrai te quitter, partir très loin. Je n'ai que vingt ans tu comprends, j'ai toute ma vie devant moi. Est-ce que tu veux bien me laisser vivre un peu ma vie ? Grande Soeur Jade, je t'en conjure ne t'accroche plus à moi. Je ne le supporte plus. Tu dois t'écarter de moi, parce qu'à vrai dire je ne peux rien faire pour toi. Et puis, il y a désormais quelqu'un avec qui j'ai...
Qingsheng laisse retomber les bras ; il tousse en baissant la tête, d'une toux caverneuse, aux spasmes rauques. Il se prend la tête entre les mains, empoigne sa chevelure, la pétrit, sa confusion est extrême...
Jade se tient droite, raide, les bras alignés au corps comme des planches.
Ses membres semblent privés de leurs articulations ; elle ne peut faire aucun geste. Sa face es parcourue de rictus, de grimaces incertaines où chaque muscle se tend, l'un après l'autre.
Elle est pâle comme les cendres de la mort. Le sang de ses lèvres s'est retiré.
Elle reste figée longtemps, puis ses larmes jaillissent, descendent de sa bouche, elle baisse la tête. Elle se dirige vers la porte. Elle me dit doucement :
- Allons, Jeune Seigneur, nous devons rentrer.
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Elle préférait ma compagnie ; assise à côté de moi, ses doigts fins sautillant, piquant et repiquant l'ouvrage qu'elle faisait progresser rapidement, laissant entendre le seul bruit frotté des aiguilles de bambou. Je levais la tête de temps à autre, et m'enhardissais d'un regard dans sa direction. Je contemplais son profil dans la lueur dansante de la chandelle : la neige des joues, la finesse de l'arête du nez qui faisait songer à la tige d'une fleur aquatique ; la chevelure opulente, aux mèches noires éployées, était retenue pour couvrir l'attache de l'oreille, laissant ainsi visible l'agrément du pendant de jade qui y brillait...Mais je n'aurais pu dire comment, peut-être sous l'effet de l'éclairage de la chandelle, des rides apparaissaient à son front, telles de petites ondes sur une eau calme. Chacun de ces sillons se détachait avec netteté. Un, deux, trois, je les comptais un par un. Ces rides me déplaisaient. J'eusse aimé les gommer en frottant ce front de ma main, en lisser les traits de cette manière. Lorsqu'elle fronçait les sourcils, l'air grave et absorbé - elle déposait souvent l'ouvrage pour s'abîmer dans ses réflexions - je distinguais clairement deux fins faisceaux de plissures à la pointe de ses yeux, de celles qui doivent à cette position leur nom de nageoires caudales.
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L’éternelle Beauté-des-Neiges
Après leur arrivée à Taïwan, certains en avaient été réduits à remplir des fonctions honoraires de « conseillers » d’usines, fonderies, cimenteries ou fibres artificielles ; un petit nombre, toutefois, avaient fait carrière, aujourd’hui directeurs de banque ou grands patrons de service public. Yin Xueyan, l’éternelle Beauté-des-Neiges, vaquait au-delà de ces humaines vicissitudes ; elle s’habillait à Taipei comme jadis, d’une simple robe fendue sur les côtés, toujours d’une blancheur immaculée, en cette sorte de soie fine appelée « aile de cigale ». Le même sourire imperceptible flottait sur ses lèvres, sans que la moindre ride lui envahît le coin de l’œil.
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Cette Beauté-des-Neiges, qu’est-ce que tu crois ? Une salope qui a plus d’un tour dans son sac, sinon comment elle te les mettrait en cage, tous ces hommes ? Même ton brave et honnête mari, elle a mis le grappin dessus. L’Histoire est pleine de cas de ce genre, tant de royaumes et de dynasties ont péri à cause de ces renardes, de ces oiseaux de malheur ! Tu t’imagines que ce sont des créatures humaines : pas du tout, ce sont des goules ! Quand le monde est sens dessus dessous, elles descendent ici-bas, en foule, pour nous jeter des sorts. Je ne sais de quel monstre elle est la transformation, cette Beauté-des-Neiges !
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Dans ce monde fermé, étouffant, nous en étions tous à tendre la main, affamés, assoiffés et désespérés, prêts à déchirer, à arracher, comme si nous voulions combler notre manque en dévorant la chair d'autrui.
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Ce qui nous est commun, c'est un corps en proie à l'insoutenable torture de brûlants désirs, un coeur souffrant à la folie de la solitude.
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Xianyong Bai
il disait que nous l'avions dans le sang, que nous portions dans notre sang cette force aveugle et aveugle tout comme les typhons et les tremblements de terre.
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