9.
Les fermiers : la classe sociale oubliée
Jérôme Fehrenbach
Au gré de sa lecture des « Fermiers. La classe sociale oubliée », où elle renoue avec le parler rural des siècles précédents, l’écrivaine découvre l’histoire sordide de Charles Landru, ancêtre du célèbre tueur en série.
« Cette rencontre imprévue avec l’un des ascendants de Landru, le tueur en série, m’a totalement dégrisée »
Les livres, comme les liquides de vapotage, les chips ou les yaourts, ont des saveurs. On n’y retrouve pas « tarte tatin », « mojito » ou « fraise gariguette », mais des essences plus subtiles. Il y a les livres parfum « étés adolescents » (les sœurs Brontë, Stendhal), « genoux écorchés » (la série de romans Le Club des cinq) ou « première partie du bachot » (Malraux). S’il est une fragrance que j’apprécie tout particulièrement, c’est celle que je nommerais « physiocrates et champart ». Sous cette appellation, je range les livres d’histoire qui évoquent la France rurale d’autrefois. A peine les avons-nous ouverts, que se libère un délicieux fumet de « métivier » et de « droits de garenne ».
Ainsi, en lisant Les Fermiers. La classe sociale oubliée (Passés composés, 564 pages, 27 euros), de Jérôme Fehrenbach, j’ai évidemment ressenti une joie intense en rencontrant des termes attendus comme « frumentaire », « arpent », « herse », « cheval bai » ou « sole ». Mais ce bonheur a été décuplé par la retranscription des inventaires des biens de ces fermiers, notamment de leurs habits : les étoffes et tissus, « ferrandine », « gros de Tours », « calmande » sont autant de matières qui apportent une note romanesque et charnelle au parfum d’ambiance. Enfin, les toponymes – Boiry-Becquerelle (Pas-de-Calais), Verchain-Maugré (Nord) – comme les patronymes – Charlotte-Renée Chenard, Marie-Jeanne Peaucellier née Pillon – m’ont procuré des vertiges balzaciens. J’étais ainsi plongée dans ma délicieuse et très sérieuse lecture quand je suis tombée nez à nez avec un nom célèbre, moins plaisant à rencontrer que celui de Marie-Ursule Triboulet, que je venais de croiser. En six petites lettres, le charme s’est rompu : Landru, le même nom que le tueur en série parisien mort en 1922. Il est de notoriété publique que ses descendants ont fait le choix raisonnable de changer de nom. Mais je n’avais jamais pensé à ses ascendants, dont il est ici question. Sous le règne de Louis XIV, Charles Landru et sa famille vivaient dans la plaine du Santerre, dans la Somme. A Beuvraignes, plus précisément, à proximité de Crapeaumesnil (Oise). On est loin du riant village de Gambais (Yvelines) où vécut plus tard son descendant. Landru l’ancien, contrarié par une sombre histoire de baux, « engage une guerre totale contre le mari de sa sœur Jacqueline ». On assiste alors à une véritable « faide familiale », du nom germanique de la vendetta. Des petits billets – illustrés, analphabétisme oblige – menaçants sont déposés, des chevaux abattus. Incendie et meurtres mènent Landru à la Conciergerie, servant à l’époque de prison. Gracié, il a toute latitude pour de nouveau tuer. Les meurtres recommencent. Arrêté une seconde fois, il parvient à s’évader, est rattrapé. Puis sans doute pendu [...]