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EAN : 9782910435714
138 pages
L'Esprit des Péninsules (30/11/-1)
4.25/5   2 notes
Résumé :
Employé dans une entreprise chargée "de la construction de grands complexes industriels en Tchécoslovaquie et à l'étranger", Richard Baumann a bien des soucis : à une douloureuse crise de la quarantaine s'ajoute un persistant syndrome de Buridan, puisqu'il se montre pareillement sensible aux charmes de ses trois collègues de bureau. Comme si ces graves questions physiques et métaphysiques ne suffisaient pas, Richard Baumann se voit en outre confier l'enquête relativ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Pour définir en quelques mots « le Grand Chantier », je dirais qu'il s'agit en quelque sorte d'une fable grinçante, d'une farce vacharde sur le fonctionnement des sociétés totalitaires avec leurs projets inutiles et l'absurdité de la nature humaine noyée dans un cauchemar collectif !

Dans ce roman de Jan Trefulka (1929-2012), on fait connaissance avec Richard Baumann, un quadra, qui est envoyé par sa direction pour vérifier l'abandon d'un énorme chantier industriel dont on craint qu'il continue à grossir dans la plus absurde clandestinité.
« Vous allez prendre vos affaires » avait dit le directeur,
« et vous rendre au Vallon. Vous y resterez le temps nécessaire pour découvrir exactement ce qui s'y passe. Ne vous précipitez pas, ne racontez rien à personne. Et surtout, faites comme si de rien n'était. Quand vous aurez les données en main, vous soumettrez une proposition qui nous sorte de cette merde dans laquelle nous sommes jusqu'au cou. »
Le Vallon est un gros chantier qui a été arrêté depuis plusieurs années, mais pourtant des livraisons de matériaux de construction n'ont pas cessé d'y affluer, et qui ont continué d'être payés !
C'est un véritable gouffre financier pour l'entreprise, et pour Richard Baumann qui va devoir enquêter sur place, c'est une lourde mission qui l'effraie énormément à l'avance. « La peur lui plantait de fines aiguilles acérées dans le dos. »

« Richard n'était plus assez jeune pour ne pas sentir le danger, mais pas assez vieux encore pour savoir l'éviter. »
Arrivé à la quarantaine, Richard vit seul dans un petit appartement avec son matou. C'est un homme instable, plein de doutes, et qui éprouve des difficultés à s'imposer. Il a parfois des réactions démesurées envers ses supérieurs, et ensuite il en éprouve des remords.
Sentiment d'infériorité ? Besoin de s'imposer ?
Richard est aussi sous le charme de trois femmes qui travaillent au bureau dans lequel il est employé. Il les convoite, fait constamment des avances à chacune d'entre elles, mais il ne sait pas pour laquelle se décider, en définitive.
Jan Trefulka nous livre une bonne analyse psychologique des personnages qu'il met en scène. C'est humoristique. le ton est badin, et on rit.

Mais si ce roman donne à certains moments matière à rire, le rire y est jaune et l'humour y est noir, car Richard Baumann avec cette mission que lui a confié son directeur, a le sentiment d'avoir été placé dans une situation désespérée.
« La voie qu'on lui avait assignée ne menait qu'à une grande souricière où on ne lui avait pas même préparé une miette de lard. »
Richard réfléchit beaucoup, et reste dubitatif. Il se trouve parfois incapable de se forcer à agir en accord avec sa propre raison. « Est-ce que ce serait, non un piège, mais une occasion ? Mais comment distingue-t-on l'occasion du piège ? Si tu rates une occasion, elle devient un piège. Si tu arrives à triompher du piège… voilà précisément où réside le secret de la réussite. »
S'il réussit cette mission, il y aurait semble-t-il pour lui une promotion à la clé…

Mais en s'éloignant de sa ville, de son divan et de ses habitudes, vers cet endroit inconnu, Richard Baumann ne peut s'imaginer combien d'ennuis et d'adversité l'attendent !
Arrivé à destination, il se renseigne auprès des autochtones, qui bizarrement ne semblent pas connaître « le Vallon » ! Finalement, il trouve le site : « Un monde comme sorti du haut de la rivière et frappé par un tremblement de terre, un immense tas de détritus, une tumeur cancéreuse sur le corps du paysage. »
Et Richard découvre que ce chantier que l'on dit abandonné depuis des années, compte étonnamment encore cinq hommes sur place… Rykr, le plus âgé d'entre eux semble faire figure de chef du groupe. Cette équipe a été livrée à elle-même, n'a pas reçu de directives concernant la façon de procéder à l'arrêt du chantier, ni dans quel laps de temps… « le chantier a été arrêté par suite d'intrigues de fraudes et de sabotages… »
Ces cinq hommes compensent leur sentiment d'infériorité, d'exclusion et de dévalorisation par des records de travail sur le chantier en suivant d'anciens plans…

Ils ont été chargés par leur Direction de liquider progressivement des entrepôts, mais ce n'est pas d'un contrôleur dont ils ont besoin, mais de bras ! dit Rykr à Richard !
Richard Baumann qui aime le côté douillet de son appartement va devoir se contenter d'une simple paillasse dans un baraquement de chantier. Les hommes du petit groupe semblent être restés soudés depuis quatre ans qu'ils sont ensemble. Chacun est différent physiquement et mentalement, mais ils lui semblent honnêtes et travailleurs. Ils poursuivent la construction du Vallon comme si la décision secrète d'arrêter l'entreprise n'avait jamais été prise… Et bientôt, alors qu'il était venu pour contrôler et enquêter, Richard se voit alloué par Rykr d'une tâche d'ouvrier de chantier ! « On lui avait fourré une brouette entre les mains avec l'ordre de la pousser entre la bétonneuse et la plate-forme cimentée à portée du bras de la grue. »
Richard constate combien ces gars sont courageux, et travaillent dur, et de fait, dans le rapport qu'il doit rédiger à sa direction, il se demande comment il va bien pouvoir intituler l'activité des hommes restés là. Doit-il les décrire comme des fous, des fanatiques ? Des héros, ou des criminels ? S'ils étaient des escrocs, qu'avaient-ils détourné ? de l'argent ou leur propre vie ? Pourquoi vivaient-ils dans ce goulag volontaire ?

Parfois Richard Baumann sombre profondément dans le marasme d'une songerie.
Des pensées érotiques et sensuelles viennent alors apaiser momentanément ses tourments, son angoisse vis-à-vis de sa mission. Dans ces moments-là, il pense à Miriamka, une des trois femmes, collègue de bureau, avec laquelle il a eu le plus d'intimité. Miriamka l'attire par son sans-gêne, son ingéniosité et sa détermination. Richard semble avoir besoin de sa main protectrice au-dessus de lui, de son soutien moral pour l'aider à surmonter ses propres difficultés. Mais en même temps il a l'impression que s'il s'engageait plus loin avec Miriamka, il serait vite dévoré par elle comme le mâle de l'araignée ! Décidément, devoir prendre une décision appropriée est toujours pour lui un supplice.

Un soir, Richard Baumann se réjouit à l'idée de se glisser enfin dans son lit, mais manque de chance, ceux-ci ont été déplacés pour faire de la place de façon à pouvoir se réunir pour un procès !
En effet, Rykr accuse un homme de leur petit groupe, de menées criminelles en vue de saboter et d'arrêter le chantier, ainsi que d'une tentative de corruption morale de ses collègues travailleurs. L'accusation porte plainte contre le dénommé Patek pour liaison avec des services de renseignements étrangers… Dans des lettres, Patek écrivait combien lui semblait idiot de travailler à un tel chantier où les plans changent d'un jour sur l'autre, où il y a beaucoup de discours et des parades, pour permettre aux personnes dirigeantes de profiter des détournements d'argent.
Pour Rykr, la conduite déréglée de ce Patek est source de mauvais exemple pour les travailleurs et perturbe leur moral. Mais l'accusé n'est pas présent à son procès. Rykr s'adresse à une chaise vide…

Richard Baumann est prisonnier d'êtres qu'il ne comprend pas, « entouré de forces contre lesquelles il se sentait aussi impuissant qu'un cerf-volant arraché à son fil. »
Le tribunal statue donc que l'accusé Patek doit quitter le collectif. Mais Richard est loin de s'imaginer l'horreur qui va s'en suivre, et nous aussi, lecteurs. Quel genre d'homme est ce Rykr ? Un fou ? Un fanatique ? Richard a peur de la violence et de la douleur. Il ne se sent plus du tout en sécurité au Vallon. Il a très peur pour sa vie.

Dans ce livre, Jan Trefulka aborde les thèmes de la responsabilité personnelle, de la relation entre l'individu et la société, et de l'homme et l'Histoire.
Sa prose reflète le désenchantement de sa génération qui a assisté à la désillusion du communisme. Jan Trefulka a vécu en Tchécoslovaquie sous le régime communiste face au contraste entre les idéaux socialistes et la vie pratique. Avec « le Grand Chantier » qui a été publié en samizdat en 1973, il dénonce habilement les dérives de ce régime totalitaire.
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Trefulka est un immense écrivain en République Tchèque, il est notamment étudié au lycée et en fac. Ici il est inconnu. Et c'est bien dommage pour les lecteurs français qui passent à côté d'une plume riche, caustique, très actuelle, avec des histoires complexes et sophistiquées.
Présentement, un homme travaillant pour une entreprise investissant dans le BTP doit aller enquêter dans un endroit perdu pour un chantier qui aurait où être arrêté depuis des années mais qui est toujours financé.
Cette histoire sert un propos critique de la bureaucratie, de l'absurdité du monde systémique et ce au travers le questionnement individuel du héros quant à sa vie, ce qu'il fait, ce qu'il est, qui est l'Autre. C'est parfois drôle parfois songeur et perplexe. Un récit séduisant qui ne peut que nous renvoyer à nous-mêmes.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Durant toute sa vie il avait été persuadé, comme d’ailleurs la plupart des gens qui évitent les conflits par manque de combativité, qu’il ne pouvait lui arriver de malheur plus grave, qu’il n’avait pas la poisse, que le destin ne lui avait pas réservé que de petites joies mais aussi seulement de petits malheurs ordinaires. Et voilà qu’il se trouvait dans une situation qui sortait absolument de son expérience et contre laquelle il n’avait pas de contre-poids intérieur. Ses armes subtiles, l’ironie et l’exagération, étaient aussi impuissantes qu’un canif contre une mitrailleuse. (…) Seule une femme serait peut-être capable de paralyser leur volonté et de les déconcerter au moins pour un temps. Mais Miriamka ne venait pas et Richard n’entendait même pas sa voix. Peut-être n’officiait-elle pas juste à ce moment, à moins qu’elle n’ait eu mal au cœur devant tant de sang.
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