Jan Trefulka, ce nom ne dit pas forcément grand-chose à tout le monde, mais cet écrivain (1929-2012), traducteur, critique littéraire et journaliste, était l'un des dissidents tchèques les plus fameux. Il fut notamment le contemporain et ami intime de
Milan Kundera (il fréquentait l'école avec lui).
Après le putsch communiste de 1948, et l'instauration du régime autoritaire de Gustav Husak, il est chassé de l'université à cause d'une plaisanterie qui a mal tourné.
Cet épisode de sa vie inspire à
Kundera son roman «
La Plaisanterie ».
Comme beaucoup de ses confrères écrivains et artistes,
Jan Trefulka avait signé la « Charte 77 », rédigée par
Vaclav Havel, ce courageux manifeste en faveur du respect des Droits de l'Homme, et dès lors, il avait été interdit de publication pendant plus de 20 ans. Pour gagner sa vie, il sera obligé d'accepter un travail d'ouvrier et de conducteur de tracteur… Après la « Révolution de velours » de 1989,
Jan Trefulka, qui est très attaché à sa Moravie natale (partie est de la République tchèque), recommence à prendre une part active à la vie littéraire de son pays.
Ses ouvrages reflètent le désenchantement de sa génération ayant vécu sous le régime communiste. Ses thèmes récurrents sont la fuite, la séduction et l'abandon.
Au début de ce roman, on fait connaissance avec un jeune homme, du nom de Jindrich.
Il est soûl, il part de la ville, il a besoin de nature, mais surtout il fuit les gens, il veut oublier Rudolf le Diable et Mme Mareckova. Plus tard, on apprendra qui sont ces deux personnages…
Jindrich, le héros de ce livre, est croyant. La religion a une place très importante dans sa vie.
Apparemment, à cause de son abrutissement avec l'alcool, il a « manqué la plus grande occasion de sa vie. » Mais quoi ?
Son subconscient conserve depuis des années un semblant de faute, d'impuissance, d'incapacité à faire ce qui s'impose.
On le sent constamment démuni, et on découvre au travers de différentes anecdotes de sa vie quotidienne, que cela est lié à l'enfance. Dès que petit, il fera confiance aux adultes pour résoudre tous ses problèmes, n'étant jamais sûr de lui. Il n'est pas un enfant gai et insouciant.
Petit, des allemands investissent la maison où il vit en famille. Ils disent que son père est un criminel. Ils l'emmènent. Sa mère effondrée, lui dit que son père ne reviendra jamais ! Un sacré choc pour l'enfant qui, grandissant, reste très émotif.
Alors, c'est son oncle Frantisek, qui est curé, qui va faire figure de père pour lui, en étant protecteur et bienveillant envers lui. Jindrich est alors un gamin naïf, qui a beaucoup d'imagination. Trop d'imagination ! Dans ses jeux d'enfant, où interviennent légendes, châteaux-forts, et dragons, il invoque sans cesse le nom de Dieu. Cela irrite son oncle Frantisek, qui lui explique qu'« on ne doit pas invoquer le nom de Dieu en vain. » On ne demande pas l'aide divine dans un jeu ! Ca ne se fait pas !
Mais c'est la guerre avec l'Allemagne. On enterre son père qui était au camp de concentration… Jindrich est devenu un jeune homme. Il a 20 ans. La vie de son oncle, curé, lui paraît bien étriquée.
Il a de grands questionnements par rapport à la religion et à Dieu. Comment Dieu peut-il permettre de telles atrocités que celles de la guerre ? Il voudrait donner un sens à sa vie.
Il voudrait savoir définir ce qu'est la foi, l'amour, la liberté, la justice, le bien et le mal…
Plus tard, Jindrich apprendra pour quelle raison son père avait été arrêté par les allemands…
Il accompagnera son oncle curé, à la gare, et ce sera la dernière fois qu'il le verra, car bientôt, la famille recevra son acte de décès de la part de l'administration pénitentiaire. Son oncle lui avait dit : « Certains reçoivent le don de simplicité à leur berceau, toi tu es de ceux qui ne l'atteindront qu'à travers la souffrance. »
Puis pour Jindrich, ce sont les premiers émois amoureux. Mais quand il s'éprend d'une fille, il ne sait pas comment s'y prendre ! Et quand la fille accepte de sortir avec lui, il considère que c'est un miracle, car Dieu jusque-là n'avait encore jamais accompli aucun miracle en sa faveur !
Bientôt, les tanks russes pénètrent en Tchécoslovaquie, et libèrent les villes des allemands…
« le monde où ils venaient de vivre ces dernières années n'avait-il pas été pour tous une prison, avec ces étrangers omniprésents et leurs paroles saccadées, hérissées de menaces trop souvent mises à exécution ? »
Jindrich va entreprendre des études de théologie à l'université.
Il aura aussi différentes expériences amoureuses, dont il ne ressortira pas heureux.
Il souffre : « Ce que j'ai été jusqu'à présent, je l'ai toujours été pour faire comme si : chef de famille pour rire, étudiant en théologie pour rire, futur prêtre pour rire, amoureux pour rire. »
Puis Jindrich sera expulsé de l'Université et enfermé dans un camp de travail. Il retrouvera assez vite la liberté. Mais pour gagner sa vie, il deviendra aide-grutier et vivra la vie des ouvriers.
La prêtrise, ce n'était pas pour lui. Il la critiquait maintenant…
Et l'Histoire de nouveau réintervient, avec une annonce à la radio au petit matin : « Nous déclarons qu'aucune raison à notre sens n'autorise les armées du Pacte de Varsovie à occuper notre République. Nous désapprouvons cet acte et nous le condamnons. » Il s'agit de soutenir unanimement
Alexandre Dubcek, le président de la République légitime, et son gouvernement légitime, pour diriger le pays.
Dans ce roman, l'histoire personnelle du héros se confond avec l'Histoire de son pays, lui aussi déjà plusieurs fois
séduit et abandonné !
Si du point de vue sentimental, Jindrich rencontre bien des déboires, au travail ça ne va pas mieux.
Il est toujours en train de douter de lui-même et il a peur d'avoir omis quelque chose et qu'on puisse le lui reprocher… Il est toujours angoissé : « le matin, la nuit, le remplissaient de panique. »
Son supérieur hiérarchique, c'est Rudolf Krasa, le chef magasinier. Il est toujours alcoolisé. C'est quelqu'un qui recherche sans cesse les plaisirs. Il incite Jindrich à se dévergonder. Il lui propose de l'accompagner au dancing.
Rudolf, en lisant la Bible, veut démontrer à Jindrich que Dieu n'est pas si bon qu'il le pense, et jindrich finit par accepter son invitation. C'est ainsi que Rudolf Krasa devient pour Jindrich, Rudolf le Diable ! Au dancing, ils partagent une table avec un officier haut gradé et une femme mûre, divorcée depuis peu, Mme Mareckova. Un grand débat s'installe entre l'officier et Jindrich.
L'officier traite Jindrich d'arriéré. Jindrich se sent mortifié. Il pense sans cesse que Dieu veut l'éprouver. Alors qu'il a invité à danser cette Mme Mareckova, et que celle-ci accepterait ses avances, il ne souhaite pas s'aventurer dans une relation durable avec elle…
La vie pour Jindrich ressemble à un gros livre plein de ratures contenant des idées de mises en scène, des conceptions concernant la pièce de théâtre dans laquelle on l'a attiré sans lui demander son avis.
De façon sous-jacente, on sent l'impact négatif de l'atmosphère qui règne dans le pays, sur le mental de Jindrich, qui n'arrive pas à trouver sa place dans cette société.
Beaucoup d'ironie dans ce roman, de l'humour et le souci de chaque mot.
Jan Trefulka a un talent de conteur et son écriture se distingue par un sens extraordinaire du réel, du quotidien et de l'ordinaire. Deux autres de ses romans ont été traduits en français : « Une pluie de bonheur » et «
Hommage aux fous ».