Maman, je reste en colère. Je ne puis ni comprendre, ni accepter qu'un père abandonne son propre enfant, sans jamais - je dis bien jamais - chercher à le voir , l'entendre, lui parler, l'embrasser - même lorsqu'il est venu à ton chevet alors que tu souffrais du décès de Daddy, même alors le Roi n'a pas daigné me rencontrer. Je ne puis comprendre, ni accepter que sa vie durant la mère de cet enfant se rende complice d'un tel déni, qu'au moment de prétendre avouer, elle cherche encore à se justifier et qu'au moment de mourir, elle brûle tout au lieu de tout révéler. Ni comprendre, ni accepter que tu aies jusqu'au bout , préféré défendre le Roi, plutôt que condamner sa lâcheté. Tu ne t'es pas grandie, tu t'es rabaissée. Par rapport à tout ça, la question royale, c'est une blague, un brouillamini agité pour esquiver - tu en étais la spécialiste ! Tout ce que tu racontes dans cette lettre concernant ma filiation , je le savais, je l'avais progressivement appris à travers les actes manqués des uns et des autres, et d'abord à travers les tiens - car oui il est très difficile de bien mentir dans la durée sur ce qui doit être dit. Ta lettre n'apprend donc rien d'important à ce sujet, mais elle est bien utile pour te disculper.
Sauf pour ceux qui ont le goût de l'histoire, ce qu'a fait une génération n'intéresse pas la suivante. C'est un fait qu'il n'y a d'expérience valable que celle que chaque génération fait elle même et que c'est lettre morte pour les générations suivantes (...) Comme historien, je pense qu'on ne comprend bien une génération que si l'on tient compte de ce qu'elle a vécu (...) On peut restituer le cheminement d'une collectivité, d'une société, d'une famille de pensée à travers l'étude d'une vie.
"Ne pas juger le passé d'après le présent, mais d'après le passé qui est derrière ce passé."