Ce roman est présenté et vendu comme un roman Young Adult parce qu'il est centré sur le parcours d'un personnage adolescent. On est donc certes dans le roman d'apprentissage, mais l'auteur ne sacrifie en rien à sa formule spaghetti et on retrouve avec plaisir le mélange action, aventure et humour noir truffé de dialogues incisifs.
Comme d'autres auteurs avant lui, y compris de bien connus auteurs britanniques,
Joe Abercrombie glisse un peu de la fantasy à l'historique. Ici l'aspect fantasy se résume au mythe de la guerre des Elfes contre la Déesse Unique qui aurait eu pour dommages collatéraux la multiplicité des divinités et la présence de moult ruines elfiques de part et d'autre de la mer éclatée.
La mer éclatée pourrait être la Mer Baltique, la Vansterland, le Gettand et le Trovenland pourraient être la Norvège, la Suède et le Danemark, l'Impératrice du Sud une reine byzantine, les indigènes septentrionaux les Lapons et les Finnois, les habitants de la rive orientale des Baltes et des Slaves… On retrouve même les tensions entre païens tenant des anciennes croyances et chrétiens partisans de la nouvelle religion.
Tout au long du récit, nous suivons Yarvi, prince handicapé avec sa main mutilée et destiné à la prêtrise, qui doit monter sur le trône à la suite de l'assassinat de son père et de son frère aîné. Il prête le serment de châtier les meurtriers des siens…. Nous voilà donc parti pour une bonne vieille histoire de vengeance qui va être le moteur de l'une bonne vieille trilogie ! J'ai tout de suite pensé au pitch de "La Trilogie de l'empire" de Feist et
Wurts. Est-ce que Yarvi va suivre la même route que Mara des Acoma ?
Mais si on connaît ses classiques, on peut aussi penser à une autre histoire qui s'est déroulée IRL. Un adolescent malin mais malingre, qui n'a que son nom pour le protéger contre les maîtres de guerre et les animaux politiques qui lorgnent sur son héritage… Est-ce que cela rappelle quelque chose ? Mais oui, le neveu du divin Jules : celui qui était Octave et qui est devenu Auguste !
Rapidement Yarvi comprend qu'on l'a trompé sur l'identité de ceux qui ont tué son père et son frère… mais il est déjà trop tard !
Laissé pour mort, il est vendu comme esclave. Galérien sur le navire d'une condottiere en disgrâce, il fait l'apprentissage de la vie et de la camaraderie avec ses compagnons d'infortune… Et à la première occasion, qui tardera à se présenter, il se fait la malle en bonne compagnie :
- Personne, le barbare taré dont nul ne connait le passé
- Sumaelle, la navigatrice esclave à la peau bronzée
- Jaud et Rulf ses camarades de bordée
- Ankran l'intendant margoulin
Dans leur cavale, il les entraîne tous à la reconquête de son trône perdu… à moins que ne cela ne soit l'inverse ! ^^
Et toute la progression des personnages et de l'histoire se structure autour d'une série aphorismes que Yarvi comprend, utilise et détourne au fur et à mesure de son odyssée sur la mer éclatée et ses rivages. Difficile de ne pas penser aux tirades des films de
Sergio Leone genre « le monde se divise en deux : ceux qui ont la corde au cou et ceux qui la coupent, ceux qui ont un revolver chargé et ceux qui creuse. Toi, tu creuses ». Mieux j'ai retrouvé l'esprit d'un chouette western spaghetti aujourd'hui méconnu : "Le Dernier jour de la colère" de Tonino Valerii (1967). Dans le film, le jeune Scott Mary interprété par Giuliano Gemma, est un paria qui rêve de voir la communauté l'accepter. Il est pris en main par Frank Talby, un vieux pistolero ambivalent, interprété par Lee van Cleef, qui va lui apprendre à la dure comment devenir un homme et affronter les dures réalités de la vie à coup de règles/leçons numérotées.
A l'image d'un Quentin Tarentino,
Joe Abercrombie vient nous du monde de la vidéo et est un grand cinéphile (ceux qui ont envie d'aimer tous les films et tous les genres de films, pas ceux qui s'extasient sur les trucs que personne ne comprend sauf eux pour ensuite cracher sur tout le reste au nom du mieux disant culturel). Il est fort à parier qu'il connaît ses classiques et que nous sommes en face d'une chouette histoire de Vikings spaghetti dont il me tarde de lire la suite !
Celui qui aura déjà fait un bout de chemin avec
Joe Abercrombie reconnaîtra vite l'univers de l'auteur et ses personnages fétiches :
- Personne le cinglé emprunte à Logen le barbare schizophrène
- la relation Yarvi /Sumaelle emprunte à la relation Temple / Farouche
- le Haut Roi et sa grande prêtresse empruntent à Bethod et sa sorcière
- la reine aux mains d'or pourrait être un alter ego de Carlot dan Eider
- les compagnons de Yarvi ont parfois une bonne tête d'Expandables du Nord…
- la capitaine de navire Shadikshirram semble sortir du même moule que Cosca le condottiere alcoolique ^^
Et là où l'auteur m'a bluffé c'est la manière dont il brouille les cartes :
J'ai vu arriver le whodunit au sujet de Personne à l'instant même où le personnage était présenté. du coup, comme tous les lecteurs expérimentés, tandis que je cogitais sur la manière dont l'auteur allait amener la vérité sur l'identité de Personne sans faire un truc trop cliché, je n'ai pas du tout vu l'autre whodunit sur les véritables commanditaires de la mort du père et du frère de Yarvi… Well done Joe !!!
On retrouve donc humour de l'auteur britannique, ses punchlines, ses personnages à la fois attachants et hauts en couleurs, ainsi que ses scènes d'action qui déchirent ! Mais il a allégé son style et a carrément lâché du lest sur le grimm & gritty. Nous sommes donc en présence d'un page-turner fantasy accessible à tous : les chapitres sont courts et rythmés, avec des cliffhangers qui donnent envie de passer à la suite. Les easy readers n'ont donc désormais plus aucune excuse pour ne pas se lancer dans la découverte des univers de
Joe Abercrombie.
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