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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Vidée... Je sors épuisée, ébranlée et vidée de cette lecture éprouvante et essentielle. C'est à des livres comme celui-ci que l'on prend la mesure de ce que les livres d'histoire ne diront jamais, et j'ai résisté un nombre incalculable de fois à l'envie d'en noter des citations pour les partager : il vaut bien mieux s'y plonger entièrement et le lire...

Il parait que d'aucuns ont questionné le bien fondé du prix Nobel accordé à l'auteure au motif que le mode narratif de l'interview, "ce n'est pas de la littérature". Ce sont des interviews en effet, mais le travail littéraire de réécriture au plus près du réel est aussi spectaculaire qu'invisible, et témoigne autant d'une forte pertinence historique que d'une puissante sensibilité.

Des interviews et rien d'autre : une longue série de monologues entrecoupés de quelques scènes de "conversations de cuisine", multipliant les points de vue dans la bouche d'anonymes d'opinions, confessions, convictions, trajectoires personnelles différentes.

Le résultat est bouleversant : à travers cette litanie de souffrances, de violences, de frustrations et de désillusions, on reconstitue par bribes ce qu'a été qu'être et vivre en Union soviétique, celle des débuts triomphants et implacables, celle des guerres, celle de Staline, celle de la perestroika, puis d'avoir assisté, pris part ou subi son effondrement et son basculement brutal dans un capitalisme barbare.

Du soldat de la première heure méprisé sous l'ère d'Eltsine à l'Arménienne brutalement jetée dans une condition de paria; de la jeune fille calculatrice et matérialiste à l'ex Komsomol enthousiaste condamnée à la mendicité dans ses vieux jours, de l'amour à la fatalité, de la naïveté à l'amertume, chaque voix apporte un éclairage nouveau à cet Homo Sovieticus dont la somme de ces témoignages finit par cerner la diversité, la complexité et la profondeur.

Edifiant, magnifique!

Car une fois l'émotion primale retombée, le caractère universel apparait : il y aura un jour une Svetlana pour témoigner de la chute du monde occidental, comme il doit y avoir eu des témoignages - écrits censurés, narrations orales perdues - de la chute du monde romain, du monde ottoman, du monde maya, de toutes les utopies, de tous les totalitarismes, de toutes les formations sociales crées par l'homme. Toujours la même histoire, les mêmes inégalités de pouvoirs, les mêmes espérances, les mêmes violences.
Va y croire, avec ça...
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« Naître en URSS. Vivre en Russie. » Peau contre peau avec les russes.

« Время секонд хэнд ». Voilà ce que nous propose Svetlana Alexievitch, par son entier retrait de l'oeuvre, elle place le lecteur, brutalement parfois, face aux personnages, témoins désenchantés des transformations sociales que connaît le peuple slave depuis la fin du XXème siècle.

« C'est grâce à ça que je vis maintenant. Grâce à l'aumône des souvenirs. » Ces aumônes de la mémoire - toujours trop avare, faute de se rappeler suffisamment de nos vies écoulées, liquidées - l'écrivaine les a traqués : de conversations sur la place rouge aux chuchotements dans les cuisines, de souvenirs de goulag aux guérillas civiles entre ethnies de l'ex bloc-soviétique, l'autrice parcourt inlassablement les mémoires torturées.

Les livres n'ont pas été écrits pour être lus dans les transports en commun, hagards après une journée de travail. Pourtant ici l'effort de concentration n'a pas été insurmontable. Une fois que ces histoires, très dures mais passionnantes, vous attrapent, elles ne vous rejettent qu'empreint de rage, de tristesse, d'impuissance ou gonflé d'empathie.

« La vérité des hommes est un clou auquel tout le monde accroche son chapeau ». Il faut bien comprendre que ce livre est un matériau brut, il ne s'agit pas d'un livre d'histoire. La quête de vérité au sens de vérification des témoignages, de recoupements factuels n'est pas l'objet de l'écrivaine, prix Nobel de littérature.
C'est la subjectivité du vécu que propose l'autrice minskoise et c'est ainsi que je l'ai lu, me rappelant soudainement que peut-être, on me mentait, et qu'en tout cas je n'avais qu'un son de cloche. Et ce n'est pas grave. Il ne s'agit pas d'opposer subjectivité humaine et vérité des documents : « j'ai travaillé dans les archives, je sais que les papiers mentent encore plus que les hommes », souligne l'un des protagonistes.

« Nous avons une âme d'esclaves ». S'il est exact que le mot « slave » (esclave en anglais) vient bien du peuple slave, historiquement un des premiers peuples à avoir été réduit en esclavage, j'ai peine à croire à la prédisposition des russes à la soumission. C'est un thème récurrent pourtant dans les témoignages, les russes « aiment souffrir » ne se « préparent pas au bonheur », « La liberté ! Les russes ça leur va comme des lunettes à une guenon. Personne ne sait quoi en faire ».
Voilà bien l'exemple de subjectivité du livre car il est tout à fait possible d'appliquer les préceptes de la « servitude volontaire » à bien des peuplades par le monde. Mais les russes, spécialement depuis la chute de l'U.R.S.S, se comparent aux occidentaux et à leur système politique plus libéral : «et à la télévision, ils nous montrent la façon dont vivent les allemands... les vaincus vivent cent fois mieux que les vainqueurs ».

« Il croyait que le communisme serait là pour toujours. C'est ridicule de dire ça maintenant ». Que s'est-il passé en 1991, lorsque la Russie a tourné le dos au communisme et rejoint le capitalisme ?
C'est la question à laquelle se propose de répondre Svetlana Alexievitch grâce à ses entretiens, ainsi nous avons l'avis d'anciens membres du parti, de nouveaux riches, d'intellectuels dépassés, d'anciens déportés. le choc a touché les russes mais s'est vite propagé aux biélorusses, géorgiens, tchétchènes, arméniens, azéris, kazakhs etc, réveillant les nationalismes et les antagonismes entre les « camarades » d'hier.

« Nos parents ont vendu un grand pays pour des jeans, des Marlboro's et du chewing-gum ». Ce que constatent les russes, c'est qu'ils n'étaient pas prêts pour ça. L'esprit d'entreprise, l'accumulation ne faisait pas partie de leur logiciel. Chacun recevait selon son rang, dans des écarts jugés limités et qui semblent avoir explosés, de l'avis de certains récits, avec l'arrivée du capitalisme.
Il y a comme un malentendu, les russes ne seraient pas tous sortis lors des évènements de 1991 pour qu'Eltsine déclare le pays « capitaliste », ce que lui reprocha aussi Gorbatchev, mais simplement pour que des ruines d'un communisme autoritaire naisse le véritable progrès socialiste et non pas ce qui a été vécu, de la pérestroïka à l'avènement de la Fédération de Russie comme une trahison des élites, ainsi que le regrette cette manifestante « la liberté de parole m'aurait suffi ». Finalement « après tous les changements, les gens simples finissent toujours par se faire avoir ».

« Des communistes auraient jugé d'autres communistes, ceux qui avaient quittés le Parti le mercredi auraient jugé ceux qui l'avaient quitté le jeudi... ». Mais l'homo sovieticus n'a pas disparu pour autant, l'homme rouge n'est peut-être plus à la mode dans les grandes métropoles, mais la Russie périphérique reste fortement imprégnée par le communisme. Les méthodes de la police russe ne sont pas forcément très éloignées des méthodes communistes, les écoutes, la paranoïa et la surveillance orwellienne généralisée et de tous par chacun non plus. Les anciens déportés aux goulags reviennent parfois vivre dans le quartier où réside ceux qui les ont dénoncés : « notre drame c'est que chez nous les victimes et les bourreaux se sont les mêmes personnes ».

« Les hommes n'ont de pitié que pour eux-mêmes ». La répression des camps est toujours présente dans les mémoires, les horreurs staliniennes sont racontées par les survivants ou leurs enfants : « en hiver, les crevards qui n'avaient pas rempli la norme quotidienne étaient arrosés d'eau. Et des dizaines de statues de glace restaient là, devant le portail du camp, jusqu'au printemps. ».
Mais la fin de l'U.R.S.S a également son lot d'avanies, ainsi les anciens soldats, ivres de vodka, qui retrouvent une vie miséreuse en rentrant de la Seconde Guerre Mondiale, d'Afghanistan ou de Tchétchénie et perpétuent eux-mêmes sur les femmes une violence sordide, insoutenable car presque banale : « la guerre et la prison se sont les deux mots les plus importants de la langue russe ».

Mais malgré les atrocités vécues, il semble à nombre des protagonistes que « si on rouvre des camps, on n'aura aucun mal à trouver des gens pour les garder ». Ainsi, l'heure où l'on enraillait les téléphones pour empêcher les « tchékistes » d'espionner les conversations, où l'on se faisait passer des livres « samizdat » sous le manteau est peut-être passée mais les réflexes policiers sont bien présents. Les récentes manifestations pour des élections libres en Russie ou en Biélorussie le montrent.
Preuve de l'impasse dans laquelle s'engouffre les russes, l'écoeurement face aux méthodes de la police et du pouvoir politique actuel alimente une nostalgie nauséabonde : « il faudrait que Staline sorte de sa tombe tiens ! (...) il aurait dû en arrêter et en fusiller encore plus, de ces petits chefs ».

“que les héros se sont ceux qui achètent quelque chose dans un endroit pour le revendre trois kopecks de plus ailleurs. C'est ce qu'on nous rentre dans le crâne maintenant.” En effet, la Russie semble être revenue aux temps pré-communistes. Désormais il faut faire de l'argent, la télévision vante les mérites des oligarques dans chaque foyer démuni, on montre sans pudeur leurs résidences secondaires avec piscine, leurs vacances à Miami, leur personnel de maison « comme les propriétaires terriens au temps des tsars ».

« L'argent, ça aime ni la pitié ni la honte ». Alexievitch, adaptée au théâtre des Bouffes du Nord, dont la série « Tchernobyl » et le film « Une grande fille » en 2019, sont inspirés par l'oeuvre, n'a pas fini d'interroger l'âme slave trente ans après la chute du mur de Berlin. A l'heure où la Russie s'est convertie au capitalisme débridé « en trois jours » (contre plusieurs siècles en Occident), les inégalités ont métastasées, un seul crédo : « comme nous l'avait dit le prof de physique : chers étudiants ! N'oubliez jamais que l'argent résout tout ! Même les équations différentielles ! ».

« Comment as tu fais pour rester en vie là-bas ? J'ai été très aimé dans mon enfance. La quantité d'amour que nous avons reçu, c'est ça qui nous sauve. » Mais « faute d'amour », beaucoup n'ont pas survécu…

Il ne tient désormais qu'à vous d'enfiler une chapka et d'aller à la rencontre de l'Homme rouge, ou ce qu'il en reste, il ou elle vous recevra dans sa datcha, vous proposera des pirojkis et une vodka et peut-être alors vous ouvrira ses entrailles et remembrera ses souvenirs pour vous, trop longtemps étouffés, comme des lames de rasoir impuissantes à franchir le pas de sa gorge. Spasiba.

Qu'en pensez-vous ?
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Âmes sensibles, déprimés, mois de 16 ans, s'abstenir! Les textes sur la guerre sont éprouvants, les textes sur les goulags nauséabonds, la misère écrite est déprimante : ici le lecteur se prend de plein fouet un condensé des trois.

Svetlana Alexievitch a collecté « les voix de centaines de témoins brisés » pour créer ce ce testament accablant de ce que fut l'URSS.


Le désespoir :

C'est la perte de l'espoir. Sous un régime politique dont on a pu apprécier après coup l'abomination, une lueur guidait ce peuple : celle de lendemains meilleurs, celle d'une souffrance nécessaire pour le bonheur des générations futures. Et pour ceux qui n'y croyaient déjà plus, la résistante verbale occulte, celle qui refaisait le monde à voix basse dans les cuisines des appartements communautaires, après avoir camouflé le téléphone sous un oreiller. Les lendemains qui chantent sont restés des chimères, la perestroïka est passée par là, la nostalgie est tout ce qui reste, quand de nouvelles règles bannissent le passé.

Les conséquences immédiates sont dramatiques : fossé générationnel qui font des anciens des radoteurs, culte de l'argent, et surtout disparition du ciment qui unissait les républiques soviétiques. La guerre civile fait rage, au nom d'un dieu ou d'une ethnie, les liens sont détruits : la sauvagerie mène une danse macabre entrainant dans sa farandole femmes, enfants, vieillards, jusqu'aux défunts qui sont profanés. L'ami d'hier est un ennemi à abattre, avec toute la cruauté possible. A Moscou, les jeunes loups qui ont compris le système n'ont rien à envier aux ex-dirigeants : la violence est partout et compassion ou empathie sont des mots qui ont disparus du lexique. On tue, on viole selon les nouveaux rapports de force nés avec la chute de l'ancien régime.

J'ai dû interrompre cette lecture pour reprendre mon souffle, lire une bluette. Décidée cependant à aller jusqu'au bout, dans l'espoir d'y trouver quelque chose de positif : que nenni! A part le récit d'une jeune femme amoureuse et libre, tout n'est que drame et tragédie.

A la lumière des événements récents, ces textes retentissent à la façon d'un glas et on tremble pour l'Ukraine.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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« Je tiens à être une historienne au sang froid, et non une historienne brandissant un flambeau allumé. »
...
Un Livre d'Histoire.
De ces livres indispensables, dont la lecture est remise à de beaux lendemains…
Et puis à la fin, on est tout idiot de ne pas l'avoir lu plus tôt.
...
Réfléchir; transformer ce qui relève des émotions, par leur accumulation, en un début de conclusion, impossible.
Impossible pour ceux qui ne l'ont pas vécu, et pourtant… Il y a la littérature pour essayer, approcher, jusqu'à saisir…
Car il s'agît bien de littérature, dans le sens où les mots, leur enchainement, dépassent le récit, écrivent l'histoire, et témoignent de tout ce que l'on va oublier, l'utopie en premier, nous qui continuons comme d'habitude, pensant sans hésitations que le capitalisme est le moins mauvais système, jugeant ce que l'on a pas vécu à l'aune des camps, des morts et de l'absurdité.
...
« Je tourne, je n'en finis pas d'explorer les cercles de la souffrance. Je n'arrive pas à m'en arracher. Dans la souffrance, il y a tout: les ténèbres et le triomphe… Parfois, je crois que la douleur est un pont entre les gens, un lien secret, et d'autres fois, je me dis avec désespoir que c'est un gouffre. »
...
Chaque histoire entrainera un brouillard de pensées, mouillé de larmes des autres, trop précieuses à une simple identification.
Tenter cette critique parait vain, la résumer à un claquement de bottes ou de fouet dérisoire.
...
Il y a l'histoire de cette mère dont le fils adolescent, poète, se suicide. Elle conclue par cette interrogation, vertige dont je ne me suis toujours pas remis:
« Il m'arrive d'avoir une pensée affreuse. Et si jamais, lui, il vous avait raconté une histoire complètement différente ? »
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Si on examine l'oeuvre de Svetlana Alexeivitch elle se pose souvent en gardienne de la mémoire de l'URSS… Ici elle nous livre le contenu d'interviews de russes qui vécurent la chute du communisme : ce sont les espoirs et désillusions des années de la Pérestroïka sur un fond de nostalgie et regrets du communisme. le peuple russe était-il vraiment enthousiaste pour construire cet idéal communiste ? Certes, sous Lénine et Staline il n'y avait pas de pauvres, mais ils avaient des centaines et des centaines de déportations et de morts !
Ce récit nous parle de l'élan de fraternité qui régnait alors.
Svetlana Alexeivitch a une écoute humaniste, elle va à la rencontre les gens parlent de leurs vies de leurs rêves brisés, du grand élan qu'a suscité les promesses de liberté des années 91-93 : « Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions ». Nous avions un grand empire qui allait d'un océan à l'autre, du cercle polaire jusqu'aux tropiques. Où est-il passé ?
L'avenir… il devait être magnifique… il allait être magnifique, plus tard … j'y croyais ! On y croyait à une vie magnifique ! C'était une utopie … Vous, vous avez votre utopie à vous. le marché. le paradis du marché. le marché va rendre tout le monde heureux… C'est une chimère ! Des gangsters se baladent dans les rues en veston rouge avec des chaines en or sur le ventre. C'est la caricature du capitalisme, comme sur les dessins du Crocodile, le journal humoristique soviétique. Une parodie ! Au lieu d'une dictature du prolétariat, vous avez la loi de la jungle : dévore les plus faibles que toi, et rampe devant ceux qui sont forts. La plus vieille loi du monde. »
Après des années de silence les gens se confient, ils parlent d'eux avec beaucoup de pudeur, ils dévoilent le plus profond de leur âme. C'est déchirant mais aussi tout simplement beau.
C'est un livre fort, terrible ! Je suis profondément ébranlée, touchée par tous ces récits et je pense que beaucoup devrait lire ces témoignages qui éclairent sur « l'âme russe ».

Pour qui s'intéresse à la Russie, force est de constater que les russes ont connu bien des malheurs au cours des siècles et en ce sens nous pouvons dire qu'ils sont à la fois résignés et endurants.






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Un livre insupportable, pas du tout une romance : des témoignages de personnes qui ont habité la grande URSS et qui ont vécu son démantèlement.

C'est une lecture pénible, car pleine d'horreurs. J'ai lu Soljenitsyne et j'avais entendu parler de l'enfer des camps de l'époque stalinienne. Cela représentait pour moi un passé lointain, révolu, comme le nazisme. Mais quand on parle de massacre des années 90, en Azerbaïdjan, en Arménie, c'est juste hier. Et ce ne sont pas des bombes anonymes qui détruisent les maisons, mais des voisins qui tuent leurs semblables, qui pendent des enfants aux arbres… atroce!

Pas facile à appréhender aussi, une société bien malade où « La moitié des jeunes de dix-neuf à trente ans considèrent Staline comme “un très grand homme politique”. Un nouveau culte de Staline dans un pays où Staline a exterminé au moins autant de gens que Hitler?!! (p. 21) »

Déprimant aussi une Moscou où une population frustrée des injustices des riches tape sur le Tadjik, sur l'immigré sans papier, esclave utile pour balayer les rues et servir d'exutoire au désespoir et aux pulsions violentes du mécontentement.

Bien sûr, il y a aussi des moments de bonté et d'altruisme, des moments de beauté et d'exaltation amoureuse. Peut-être existe-t-il des masses de gens pour qui les choses n'ont pas été aussi difficiles. Les gens heureux n'ont pas d'histoire et leur témoignage ne remplit pas les pages des livres.

Le livre n'explique pas autrement que par les paroles des témoins, il laisse le lecteur entièrement libre de tirer ses propres conclusions. S'il serait trop facile de se dire que ce sont « eux » et que « nous » ne sommes pas comme ça, il est également difficile de concevoir comment sortir de cette impasse. Comment les choses vont-elles pouvoir s'améliorer? Sûrement pas avec un nouveau tsar ou un nouveau Staline…
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Magnifique !

L'auteur a invité un grand nombre de gens à raconter leur enfance dans l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques et à partager leurs pensées et expériences en ce qui concerne les développements et changements sous Gorbatchev. Toutes ces histoires et ces pensées se sont couchées sur le papier dans ce livre. de plus, l'auteur présente des commentaires de gens inconnus enregistrés dans les rues. L'ensemble, les histoires personnelles et les commentaires, constitue un récit impressionnant et touchant.

On trouve beaucoup des sujets dans ce livre ; la fierté des vrais communistes, la répression, l'angoisse, la pénurie, la vie en Sibérie, la Seconde Guerre mondiale, les développements sous Gorbatchev… Mais on trouve surtout des souvenirs personnels, les espoirs et les tragédies humaines. Évidemment, grâce à Soljenitsyne et d'autres auteurs, on connaît déjà la vie et le désespoir des prisonniers dans les camps et dans les prisons en URSS. Svetlana Alexievitch, elle, elle présente les histoires des citoyens normaux dehors les camps et les prisons.

On développe de la sympathie pour les grands-parents qui racontent leur vie dans l'URSS. Leurs histoires sont touchantes. Ils ont souffert de la répression de Staline, ils ont souffert de la peur et de la pénurie, ils se sont envoyés en Sibérie… Toutes ces expériences crèvent le coeur du lecteur. Après Gorbachev, ils ont perdu leur travail, leur sécurité financière et leur pays. Les fiers soldats de l'URSS de la Seconde Guerre mondiale et après, ils sont devenus des mendiants dans leur nouveau pays.
Les grands-parents d'aujourd'hui, ils ont aussi perdu leurs petits-enfants qui ne connaissent plus l'histoire d'URSS. Leurs petits-enfants vivent dans un autre monde et connaissent à peine les noms de Lénine et Staline. Ces jeunes, ils ont un seul intérêt : l'argent. Leurs grands-parents, ils étaient des intellectuels, ils n'avaient pas d'argent ou de biens. Ils lisaient et ils partageaient secrètement des textes interdits (le samizdat et le tamizdat) dans leurs cuisines. Ils ont souffert beaucoup de la répression et de la pénurie. Et voilà, les gens de la jeune génération d'aujourd'hui, ils ne veulent pas savoir. Les grands-parents craignent qu'ils perdent leur histoire à eux. Ils craignant que toutes leurs expériences soient oubliées et que toute la souffrance ait été pour rien. Ancien communiste ou pas, les grands-parents de l'URSS ne peuvent pas s'adapter à leur nouveau « pays capitaliste à la Russie ».

Il y a aussi d'autres récits, comme l'histoire d'une Arménienne, réfugiée de la guerre dans le sud de l'URSS ou l'histoire d'une survivante d'un attentat terroriste contre le métro à Moscou. Tous les récits sont émouvants et très bien écrits. En effet, le texte du livre est toujours fluide et cohérent. On ne remarque pas que ce sont des récits des personnes différentes. le livre se lit très facilement. On a presque l'impression qu'on est là, ensemble, à table avec le raconteur ou la raconteuse.
C'est un bel oeuvre admirable. L'auteur a réussi à transformer un grand nombre des histoires personnelles et émouvantes dans un livre cohérent et digne d'être lu. le livre donne une historiographie alternative et captivante. Il m'a donné beaucoup d'envie de lire aussi son autre oeuvre connu, celui sur la tragédie de Tchernobyl.

L'auteur a gagné le Prix Nobel de littérature en 2015.



Lien : http://nebulas-nl.blogspot.n..
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Ce n'est pas une lecture facile, je l'ai faite sur presque un mois et comme ce sont des interviews ça ne gêne pas, c'est même plus facile à “digérer” car il y a des moments douloureux !

Svetlana Alexievitch a recueilli les témoignages des oubliés de la dernière révolution de l'Union soviétique : la chute du Mur de Berlin et l'éclatement de l'URSS qui a suivi.

Elle a donné la parole à toutes sortes de personnes, sans choix politiques ou religieux et chacun a pu exprimer sa vie passée sous l'URSS, ses espoirs ou ses peurs dans les années 90 et faire le constat de sa vie actuelle.

Dans ces écrits j'ai retrouvé une pensée qui me mettait mal à l'aise à cette époque d'ouverture : qui allait penser à la majorité de la population qui a toujours eu du travail, un toit, une maison mais qui n'avait pas la possibilité de s'adapter à un monde capitaliste ? Comme partout en tout temps, les plus riches, les plus débrouillards, les mêmes personnes avides ont accaparé les richesses et les droits et les laissés pour compte, survivent, regrettent et espèrent rarement, seule la douleur et le désespoir persistent !

Prix Nobel mérité même si ce livre n'est pas de la pure littérature mais doit-on mettre en marge ce genre d'écrits ? Son intérêt est ailleurs et a le mérite de nous montrer la vérité du peuple, propre à chacun.

Challenge MULTI-DEFIS 2021
Challenge PAVES 2021
Challenge ATOUT PRIX 2021
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Il est des lectures qu'on repousse sans trop savoir pourquoi ou peut-être parce qu'elles trifouillent notre inconscient littéraire et nous font un peu peur.
Oui c'est cela, La Fin de l'homme rouge est restée sur ma table de chevet pendant plusieurs années parce que j'avais la trouille.
Et j'avais raison. Mais ce livre terrible et exceptionnel m'attendait au tournant. Il m'a avalé tout cru pendant l'invasion russe. Parce qu'il faut bien essayer de comprendre malgré tout. Même si ça fout les jetons.
On a reproché l'attribution du prix Nobel à Svetlana Alexievitch parce qu'elle faisait des recueils d'interviews , de conversations de cuisine , de train, de manifestation.
C'est pourtant un travail prodigieux de mise en mots et de transcription littéraire.
On ressort du livre exsangue mais incroyablement enrichi.
Il y a 2 parties bien distincts :1991-2001 puis 2002-20012 donc avant Poutine puis pendant Poutine.
Impossible de résumer ces histoires de vie banales et stupéfiantes qui balaient l'URSS et la Russie de l'Holodomor à la guerre de Tchéchénie, des purges staliniennes de 1937 aux premières manifs anti-Poutine.
Ces histoires de déportations, de survies improbables, de tortures innommables , de massacres, de viols collectifs .De dénonciation en pogroms , de l'alcoolisme endémique des hommes à la folie amoureuse des femmes ,les russes sont à la fois victimes sacrificielles et bourreaux impitoyables. Certains ukrainiens regrettent l'occupation allemande qui les délivraient de la faim mais figeait l'horreur "On s'était habitués aux communistes, on s'habituera aux allemands". D'autres enveloppent d'une aura poétique les steppes du Kazakstan où d'immenses goulags martyrisaient les mères et leurs enfants.
On se rappelle du temps où on l'on chassait les petites filles arméniennes réfugiées dans les arbres azerbaïdjanais .
"La vodka et la guerre sont des choses dont on ne guérit pas" ou alors il faut mobiliser toute sa rage pour vivre.
S'il y a une histoire à lire, une seule, je vous conseille:
"Où il est question des ténèbres du mal et d'une autre vie que l'on peut construire à partir de celle-ci"
Et cette jeune femme grisée par le néo-libéralisme qui décide d'être amoureuse d'elle-même. Elle raconte les nouvelles distractions touristiques: chasse à l'homme la nuit, séjours payants dans d'anciens cachots de torture ou concours de prostitution.
Du sang, des larmes et du sperme.
"Je tourne, je n'en finis pas d'explorer les cercles de la souffrance. Je n'arrive pas à m'en arracher. Dans la souffrance, il y a tout: les ténèbres et le triomphe ...Parfois, je crois que la douleur est un pont entre les gens, un lien secret, et d'autres fois, je me dis avec désespoir que c'est un gouffre" nous révèle dans un murmure la grande, l'immense Svetlana Alexievitch.
Ce livre est plus d'actualité que jamais.....

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Armée d’un magnétophone et d’un stylo, en Russie, après la chute du communisme et l’éclatement de l’URSS Svetlana Alexievitch s’est penchée sur le ressenti des Russes (au sens large en incluant les pays de la CEI). Pour comprendre, pour en savoir plus elle a enquêté, elle a recueilli les mots, les témoignages, les questions de ses compatriotes. Elle a écouté leur colère, leurs regrets, leur honte, leur désarroi, leur angoisse. Il a fallu les faire parler, les accoucher de leurs souvenirs. Ces récits sont ahurissants, drôles, émouvants, incroyables, horribles et toujours d’une grande simplicité. L’auteur recueille des centaines de témoignages sur l’effondrement de l’URSS et la transition vers le libéralisme sauvage.

L’auteur nous livre ces témoignages bruts, sans aucun commentaire, voilà la force de ce livre. Elle arrive à libérer la parole des anonymes, et ce qu’ils nous racontent est bouleversant parfois même horrible. Ils sont tous là : jeunes et vieux, bourreaux et victimes, Ukrainiens ou Russes, Tchétchènes ou Arméniens, pauvres ou nouveaux riches. Tout est passionnant, il y a des moments très forts comme cette femme relatant comment son père revenu du Goulag garde toute sa foi dans le communisme. À travers ces témoignages, on mesure l’ampleur des tragédies vécues par les pays de l’ex-URSS.

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