Mossoul (Irak), Alep et Palmyre (Syrie), Leptis Magna (Lybie) sont quatre villes et sites archéologiques majeurs du monde arabe et du patrimoine mondial que l'on découvre dans ce catalogue. C'est le support indispensable à l'exposition virtuelle que leur consacrait l'IMA récemment, à la fin d'une mission de quantification scientifique, demandée par l'Unesco, des destructions causées par la guerre en Irak et en Syrie et des dégâts sur les sites lybiens en raison de leur abandon et du désintérêt des autorités à leur égard. Des contributions très diverses y mettent en perspective l'actualité et l'histoire, exposent les problématiques archéologiques propres à ces sites ainsi que d'autres enjeux politiques et économiques soulevés par les questions de conservation ou de sauvegarde du patrimoine dans ces pays (“Protéger le patrimoine pour restaurer l'identité nationales”, Faisal Jeber). Mais si la guerre a fait payer un lourd tribut aux hommes et à leur patrimoine dans ces contrées ces dernières années, leur passé millénaire les fera sans doute renaître. La vieille Alep revit déjà (“Fin de guerre” à Alep, Jean-Claude David et “Faire revivre Alep”, Luis Monreal) et Mossoul/Ninive ancienne capitale de l‘Empire assyrien elle aussi (“Mossoul et Ninive”, Zainab Bahrani). C'est l'aspect lumineux qu'il faudrait retenir de cette lecture qui documente, recense, inventorie et montre par ailleurs (plan satellite, images aériennes, documents d'archives, photos, restitutions 3D) des saccages ou des destructions partielles ou totales qui donneraient plutôt envie de pleurer (église N. D. de l'heure, mosquée Al-Nouri et musée de Mossoul, souks et mosquée des Omeyyades à Alep, sanctuaire de Bêl, temple de Baalshamîn et musée de Palmyre etc., etc.).
Connues très tôt des Grecs et des érudits musulmans ces villes ont inspiré l'imaginaire occidental : biblique Ninive, Alep troisième ville de l'Empire ottoman, Palmyre carrefour des cultures aux portes du désert, Leptis Magna égale de Rome. Dominique Fernandez écrit deux très belles pages sur Palmyre citant Hölderlin, Chateaubriand et Volney qui, sans la connaître, disait en 1787 : “ ici, me dis-je, ici fleurit jadis une ville opulente, ici fut le siège d'un empire puissant. Ces marbres amoncelés formaient des parlais réguliers ; ces colonnes écroulées ornaient la majesté des temples ; et maintenant voici ce qui subsiste de cette ville puissante, un lugubre squelette.” Sous l'égide de l'Unesco pour le meilleur et pour le pire car faisant d'elles aussi des cibles, s'ouvre maintenant pour elles la page des questions multiples et parfois nouvelles et complexes posées par leur reconstruction ou leur devenir ("Reconstruire Palmyre ?", Pierre-André Lablaude et “Quel avenir pour les monuments détruits ?” Jean-Luc Martinez). Si le voyage virtuel, “exposition sans oeuvres", permettait d'approcher de manière troublante les ruines d'aujourd'hui et celles d'avant la guerre c'est que parfois, sous les décombres de ruines récentes, il y avait des vestiges encore plus anciens. Comme sous le mausolée détruit de Nabi Younes (Jonas) à Mossoul d'où ont surgi des taureaux ailés assyriens… Mais les immenses projections murales aériennes en 3D ne pouvaient se suffire à elles-mêmes. Leur caractère irréel et presque esthétisant appelait la mise en perspective documentaire plurielle qu'apporte remarquablement ce catalogue - par la voix de chercheurs, conservateurs, archéologues ou historiens, d'un écrivain et d'un poète (Adonis), d'acteurs sur le terrain. Un bel écho papier aux images de haute technologie.
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En juin 2014, l'organisation État islamique (EI) s'empare de Mossoul et détruit vingt-cinq sépultures, trente-sept églises et monastères et plus de soixante-dix mosquées dans cette zone. En 2017 l'EI dynamite la magnifique mosquée Al-Nouri, érigée par Nûr al-Dîn en 1170. Paradoxalement, l'EI à ravagé l'essentiel du patrimoine islamique de la ville et, par là même, l'un des ensembles islamiques les plus importants du monde. Les vestiges pré-islamiques, auxquels l'EI s'est également attaqué, demeurent cependant bien présents. En 2014, en détruisant le tombeau de Nabi Younes, les djihadistes commettent un acte odieux contre un site multiculturel vénéré par tous. Ils veulent ainsi anéantir une identité partagée et une existence commune. Mais l'intolérance ne triomphe pas. Des ruines du tombeau émergent, tel le phénix renaissant de ses cendres, des sculptures assyriennes : déesses en rang sculptées dans le calcaire, portant des plantes sacrées et répandant alentour l'eau bénie jaillie du sol, et, à leurs côtés, des statues de lamassus, les taureaux ailés protecteurs de l'Assyrie. Ailleurs, l'EI a détruit des statues de lamassus, des antiquités assyriennes et plus largement mésopotamiennes, à filmé ses actions pleines de haine et diffusé les vidéos sur Internet. Mais ici, les lamassus sont réapparus dans toute leur force comme pour affirmer que l'on ne peut ni les vaincre ni les effacer de l'histoire. Nous nous relèverons. (p. 27)
Mossoul et Ninive, Zainab Bahrani.
Comme le site, contrairement à la plupart des parcs archéologiques dans le monde, n'était ni clôturé ni surveillé, on pouvait s'y promener jour et nuit, venir le contempler sous la lune comme sous le soleil, errer au hasard dans le damier des rues, se faufiler dans le grand temple de Bêl et y adorer le maître du ciel, ou se glisser dans ce petit joyau d'architecture qu'était le temple de Baalshamîn, seigneur des nuages et des pluies, peut-être vénéré encore par les bergers qu'on voyait pousser leurs chèvres dans les ruines.
Palmyre
Dominique Fernandez, p. 86 - 87