L'Histoire de Bone

C'est l'été où il faisait si chaud que les sauterelles ne chantaient pas et que tout le monde passait les soirées sous la véranda, avec un grand verre de thé glacé (...). Le crépuscule arrivait tôt, lente atténuation de chaleur et de lumière, il rendait toute chose douce et magique, attirait les lucioles et ajoutait une fraîcheur enchanteresse aux échos métalliques de guitare slide qu'on entendait à la radio, dans la cuisine de tante Alma. Mamie se campait dans le rocking chair de la véranda, laissant aux filles d'Alma le soin d trier les haricots verts, d'espérer un orage et la pousser à raconter des histoires. Je me plaçais toujours derrière mamie, adossée au mur, à côté de la contre-porte de la moustiquaire, pour pouvoir écouter tout à la fois Kitty Wells et George Jones.

Greenville, cette petite ville de Caroline du Sud, était l'endroit le plus beau au monde en 1955. Des noyers noirs lâchaient leurs chatons vaporeux, sur la pelouse dense de tante Ruth, bien au delà de la zone où leurs racines noueuses sortaient du sol comme les coudes et les genoux d'enfants malpropres, foncés par le soleil et couverts de cicatrices. Des saules pleureurs suivaient les vagabondages de chaque ruisseau ou fossé, et leurs longues frondaisons en fouets formaient des tentes qui abritaient des lits de trèfles, à l'odeur sucrée

Je voulais que les gens gémissement en entendant le frisson dans ma voix quand je chanterais le miracle qui était survenu dans ma vie. Je voulais un miracle dans ma vie. Je voulais chanter et être aimé par le monde entier.

— Quand une femme se met en tête de devenir folle, autant ne pas la contrarier.

Tu ferais mieux de bien réfléchir à c'que tu veux et à ceux à qui t'en veux, Ruth Anne. Tu ferais mieux de bien réfléchir.

Les choses se défont tellement facilement quand elles ne tenaient que par des mensonges.

C'était à la mort que tante Ruth pensait tout le temps. C'était à cause de ça qu'elle parlait autant, aussi intensément. La mort était le feu qui la consumait.

Elle sait, ai-je pensé, elle sait ce que c'est que désirer ce qu'on aura jamais. Je l'avais sous-estimée.

Maman disait toujours qu'on pouvait déchiffrer l'âme sur un visage, qu'on pouvait y lire la méchanceté et le manque de charité. Avec toute la méchanceté que j'essayais de cacher, je m'étonnais de ne pas être plus affreuse qu'un crapaud dans sa vase.

La faim rend nerveux. On rêve de manger — pas n'importe quoi, mais quelque chose de parfait, le fin du fin, un repas magique, renommé et intimidant, un morceau de viande exceptionnel, un maïs onctueux au goût merveilleux, des tomates tellement mûres qu'elles éclatent et répandent une odeur sucrée, des haricots tellement croustillants qu'ils craquent entre les dents, de la sauce qui ressemble à du lait maternel et vous berce le sang.