L'Histoire de Bone

Grey et Garey racontaient bien qu’ils avaient l’intention de voyager une fois qu’ils auraient fini l’école, mais une fille ne pouvait pas aller se balader aussi facilement. Pourtant, Raylene l’avait fait et j’aimais bien me dire que moi aussi, je le ferais peut-être. Si je coupais mes cheveux très court, si j’apprenais à fumer et à dire des gros mots, ça pourrait peut-être passer. N’empêche que Raylne avait derrière l’oreille quelques vilaines cicatrices dont elle ne voulait pas parler et un air triste, songeur qui me faisait penser que ses voyages n’avaient pas été les aventures romantiques que les garçons décrivaient. Si je suivais son exemple, je pourrais revenir avec des cicatrices pires que les siennes, ou même ne pas revenir du tout. (p. 246)

Oncle Earle m’a attrapée et m’a serrée contre son épaule. J’ai regardé la clôture et plissé les yeux. Nous sommes malins, me suis-je dit. Nous sommes plus malins que vous pensez. Je me sentais méchante, puissante et fière de nous tous, de tous les Boatwright qui étaient allés en prison, qui avaient rendu les coups quand on ne leur laissait aucune chance et s’étaient accrochés à leur amour-propre. Quand tante Raylene m’a appelée, j’ai pris tout mon temps pour retourner à la voiture. (p. 295)

J’avais essayé, mais finalement, j’avais menti. Je ne lui avais pas dit qu’elle [tante Reese] était en train de mourir, je ne lui avais pas dit la vérité sur la peur que me faisait papa Glen. Je ne lui avais pas dit que je savais à quoi il pensait quand il me regardait, que je lisais dans ses yeux non seulement le désarroi et la colère, mais quelque chose d’encore plus violent et mauvais. Je ne lui avais pas parlé de la manière dont il m’avait touchée. J’avais eu trop honte. Maman croyait que m’éloigner de la maison était la solution, qu’être patiente, aimer papa Glen et lui donner l’impression qu’il était fort et important, tout cela arrangerait les choses peu à peu. Mais rien n’avait changé et rien ne s’était vraiment arrangé, tout avait seulement été retardé. Chaque fois que son père lui parlait durement, chaque fois qu’il ne pouvait pas payer ses factures, chaque fois que maman était trop fatiguée pour le flatter ou le tirer de sa mauvaise humeur par la plaisanterie, papa Glen tournait les yeux vers moi et mon sang se figeait. Je ne l’avais jamais dit à tante Ruth, je ne l’avais jamais dit à personne. Je ne savais pas comment le dire. (p. 316)

Ni l’un ni l’autre ne lisaient jamais et tout ce qu’ils savaient dire, c’est qu’un jour ils seraient très riches. D’après maman, on voyait qu’ils grandissaient au fait qu’ils étaient devenu stupides. Les adolescents étaient toujours stupides avant d’être dégourdis. Je me demandais si c’était ce qui était en train de m’arriver, si j’avais vraiment commencé à être stupide sans m’en apercevoir. Ce n’était d’ailleurs pas d’une grande importance stupide ou dégourdie, ça ne changeait pas grand-chose à mon avenir, ni à celui de Grey est de Garvey, ni d’ailleurs à celui de n’importe lequel d’entre nous. Grandir c’était un peu comme tomber dans un trou. Les garçons quittaient l’école, et tôt ou tard, allaient en prison pour quelque histoire idiote. Je ne quitterais peut-être pas l’école, pas tant que maman aurait son mot à dire, mais qu’est-ce que ça changerait ? Qu’est-ce que je serais dans cinq ans ? Ouvrière à l’usine textile ? Serveuse au petit restaurant, comme maman ? Tout me paraissait bien sombre. Pas étonnant si les gens devenaient fous en grandissant. »

Si les chanteurs de gospel arrivaient à me faire de l'effet, je trouverais le moyen d'en faire au monde entier.

Quand il a regardé maman, on aurait dit qu'elle venait de lui planter une aiguille dans le cœur.