« La poésie est un art de la mémoire, mais aussi de l'oubli ». Au travers de ce propos,
Jacques Ancet définissait les contours de son écriture, plus largement aussi ceux de la création poétique et de sa perception. Art éphémère, du temps qui passe, la poésie est là bien présente mais sait se faire oublier, qui au travers des mots de l'écrit saisissent le lecteur pour mieux s'éloigner de lui, une fois le livre refermé et les jours passant.
C'est cette part de brièveté, d'impermanence de l'écrit poétique que
Jacques Ancet met en évidence dans son recueil Zone Franche publié aux éditions Tarabuste. Dans des poèmes écrits de 1974 à 1980, le poète s'essaie à une écriture épurée, quasi minimaliste, qui tend vers la recherche d'une origine, d'une mise en résonnance de l'écrit poétique.
« y aurait-il autre chose
ce bleu derrière
les mots
ces veinules immobiles
comme les signes sur la page
ce blanc
ce cri
sans mot
sous l'ombre »
Le texte semble renfermé sur lui-même, avec son sens abstrait, son absence de rythme, ses sonorités contenues,… Seul accès à cette poésie, seule attitude pour en saisir la plénitude, être
« L'homme
penché
qui regarde
germer les mots
sur la page terre »
Dans des textes courts, l'écrivain et le lecteur, à voix hautes, murmurées ou silencieuses, s'entendent dire des mots, des couleurs, des mouvements, tout le dénommé et le perçu de la page. Ici, le mot se substitue au vers comme unité du poème. À lui seul, est accordé le temps d'un rayonnement et d'une résonance possible. Isolé, le mot se révèle, avec lui tous les éléments de sa signification, toute sa charge d'évocation, mais aussi la potentialité d'un lien, celui qui le relie aux autres mots et fait s'ouvrir le germe du poème.
« autre chose au bout des phrases nues
Chemin très lent dans le bleu tiède
(branches blanches)
Montrant le vide
Le silence »
le mot, cet impensé du poème,
Jacques Ancet lui donne toute sa place par des décrochés, des blancs au milieu du vers, une quasi absence de ponctuation et de majuscule. le mot seulement.
Chez Ancet, la poésie ne vaut que pour ce qu'elle a d'essentiel. Il y a comme un besoin chez lui, une envie de retrouver l'origine d'une parole qui soit indépendante, profonde et ductile, de retrouver une parole qui va des mots sur la page jusqu'à la sensibilité du lecteur.
« le voyage est sans fin
derrière le mot
d'autres mots
bougent
frôlent
un buisson d'étincelles
la main s'efface dans la page »
(*) Ce livre est le prolongement de
le jour commence (Poèmes I - 1966-1976).