Appanah Natacha – "
Tropique de la violence" – Gallimard/NRF, 2016 (ISBN 978-2-07-019755-2)
Un roman bien écrit, bien mené, sans pathos, au ras des faits, avec des changements du point de vue narratif, réparti entre les deux principaux protagonistes Moïse et Bruce, mais aussi Marie, Olivier et Stéphane. le récit se déroule dans le cadre du quartier Kaweni, surnommé "Gaza", à la lisière du chef-lieu Mamoudzou, à Mayotte, île des Comores restée dans le giron de la République française.
Née en 1973, l'auteur est mauricienne, ses aïeux sont arrivés de l'Inde, elle connaît ces îles de l'Océan Indien, elle a séjourné à Mayotte, elle écrit en français (dans une population massivement scolarisée en anglais, parlant créole ou l'une des langues indiennes, c'est méritoire). Elle ne recule pas devant les réalités les plus dures, celles qu'il est en général totalement interdit d'évoquer dans la France de la bien-pensance bisounours, qu'elle-même connaît pour les avoir vécues.
L'île de Mayotte est devenue le point d'entrée dans le "paradis" français et européen pour tous les gens qui fuient les régimes dictatoriaux kafkaïens de cette région d'Afrique australe, à commencer par les habitants des autres îles des Comores, devenues "indépendantes" et surtout miséreuses. A Mayotte se joue un drame au moins équivalent à celui qui se déroule sous nos yeux à Calais ou dans la Méditerranée des réfugiés naufragés, mais qui s'en soucie ?
L'auteur dépeint sans complaisance l'extrême violence engendrée par l'extrême misère, surtout dans ces vitrines de l'abondance et du gaspillage situées au contact direct avec la pauvreté confinant au pire dénuement. En tant qu'autochtone, elle aborde en toute connaissance de cause la personnalité et le destin de ce jeune noir – Moïse – recueilli et élevé par une infirmière blanche elle aussi pleine de bonnes intentions.
L'un des chapitres les mieux rendus est sans doute celui qui fait parler "Stéphane" (pp. 109-121), archétype du bon jeune-homme tout juste sorti du cocon familial européen bien douillet, venant là accomplir sa B.A. de boy-scout, comme il y en a tant et tant dans ces ONG qui pullulent dans le Tiers-Monde : l'auteur rend parfaitement l'état d'ignorance abyssale dans laquelle se trouve l'écrasante majorité des populations des pays crevant de richesses.
Un livre à lire, un bon témoignage qui est surtout un très bon roman.