"Je chante les armes et les hommes...".
Aragon cite
Virgile en ouverture de son recueil, et il analyse même ce vers dans sa préface, puisque c'est son projet poétique ici. Oui,
les Yeux d'Elsa est un magnifique chant d'amour, oui
Elsa rejoint Laure ou Béatrice, qui elles aussi sont devenues immortelles en étant chantées par un poète célébrant leur beauté.
Mais "chant" en poésie renvoie à l'épopée. C'est le premier vers poétique de l'Occident, du premier poète "Muse chante la colère d'Achille"... Ce recueil d'amour n'est donc pas qu'un simple blason des yeux ou du coprs d'
Elsa, il s'inscrit donc dans un contexte, la défaite de 1940, l'Armistice et le début de l'Occupation. Et c'est ce qui pour moi fait toute la force de ce recueil, son originalité tragique, mais aussi son message d'espoir. Car comme l'écrit
Aragon dans les analyses littéraires qui suivent le recueil, l'art poétique français est inventé alors que la France n'est pas la France, découpée et asservie par des armées étrangères, que la langue elle-même n'existe pas encore, mais pourtant, dans une période si troublée, des poètes inventent des formes, des motifs, des personnages, qui vivront éternellement et se diffuseront dans toute l'Europe. Alors, lui aussi,
Aragon veut faire à nouveau briller la langue française, ses vers, ses rimes, et ses personnages. Ce n'est pas par pur choix esthétique qu'il convoque Lancelot, mais pour s'inscrire dans cette filiation. Mes
poèmes préférés sont donc ceux où l'amour d'
Elsa se mêle à l'amour de la France meurtrie, où le corps d'
Elsa devient le corps de la France. Par ses mots, ses vers et son amour,
Aragon fait à nouveau briller la France dans ces années noires.
En revanche, que ce soit la préface ou la postface, j'ai trouvé certaines analyses difficiles à comprendre. Certes, il développe sur sa filiation avec l'amour courtois, sa liberté absolue de rimer et de versifier, mais d'autres passages m'ont paru plus ardus.